Dans la rivalité croissante entre la Chine et les Etats-Unis, l’Australie devient une « poudrière géopolitique »

Un commentaire intitulé : « Pourquoi la chance pourrait abandonner l’Australie » paru dans le Financial Times (FT) de cette semaine est symptomatique du regain d’attention porté à l’Australie alors que montent les tensions géopolitiques dans la région Asie-Pacifique.

Rédigé par Gideon Rachman, le principal commentateur du FT pour les affaires étrangères, l’article souligne le dilemme de la classe dirigeante australienne au moment où son allié stratégique américain de longue date affronte son plus grand partenaire commercial, la Chine, sur tous les plans : diplomatique, économique et militaire.

En ligne avec les commentaires occidentaux sur la région Asie-Pacifique, Rachman suggère que la Chine et son essor économique sont responsables de l’exacerbation des tensions géopolitiques. Sans expliquer pourquoi, il avertit que l’Australie « est en danger de devenir un paratonnerre pour la colère chinoise vis-à-vis de l’Occident en général et des États-Unis en particulier. »

Rachman souligne « des invectives incohérentes des nationalistes chinois » contre l’Australie sur deux points : d’une part le soutien de Canberra à la décision de la Cour permanente d’arbitrage (CPA) le mois dernier, niant les droits maritimes de la Chine en mer de Chine méridionale et d’autre part les remarques provocatrices, bien moins significatives, d’un nageur olympique australien accusant son rival chinois d’être un tricheur.

Les raisons de la colère chinoise sont tout à fait compréhensibles. Au cours des cinq dernières années, dans le cadre de son « pivot vers l’Asie, » Washington, soutenu à fond par Canberra, a délibérément attisé la rivalité en mer de Chine méridionale, encourageant des pays comme les Philippines et le Vietnam à poursuivre plus énergiquement leurs revendications territoriales contre la Chine. Les États-Unis ont soutenu et aidé les Philippines à constituer leur dossier pour la CPA à La Haye que la Chine a condamné comme illégitime dès le départ.

Si le journal appartenant à l’État chinois Global Times a destiné une partie de ses invectives les plus sévères au soutien de l’Australie à la décision de la CPA, ceci reflète sans doute le calcul du régime chinois que Canberra peut être utilisé comme souffre-douleur avec moins de conséquences que Washington.

Rachman souligne le changement sous-jacent de la position objective du capitalisme australien, qui était connu dans le passé comme « le pays de la chance », riche en ressources et « séparé des points chauds de la planète par de vastes océans. » Cette « bonne fortune historique » dépendait en partie de la position dominante de la Grande-Bretagne, puis des États-Unis en Asie-Pacifique.

« Toutefois, si la mer de Chine du Sud et le grand océan Pacifique deviennent les eaux contestées, l’Australie fait face à un choix délicat. Faut-il s’habituer à l’idée que la Chine finira par dominer la région Asie-Pacifique ? Ou l’Australie devrait-elle miser sur la domination continue d’un allié traditionnel ayant les mêmes idées, les États-Unis ? » écrit Rachman.

En réalité, alors que des inquiétudes profondes subsistent quant aux conséquences économiques de toute rupture avec la Chine, le choix stratégique essentiel a été fait. L’Australie s’est alignée sur le « pivot » des États-Unis qui vise à maintenir la suprématie américaine en Asie en subordonnant la Chine aux intérêts américains.

Ces cinq dernières années, Canberra a intégré les forces armées australiennes plus étroitement dans le renforcement des capacités militaires des États-Unis contre la Chine, ouvrant des bases aux Marines, aux navires et aux avions de guerre américains dans le nord de l’Australie. Comme le fait remarquer Rachman, Washington presse de plus en plus Canberra de le rejoindre dans la conduite provocatrice « d’exercices de liberté de navigation » en mer de Chine méridionale en envoyant des avions ou des navires de guerre dans les 12 milles marins entourant les îlots chinois.

De plus, le gouvernement australien prend, sans aucun doute sous la pression de Washington, des décisions impactant sur les relations économiques avec la Chine. La semaine dernière, Canberra a bloqué les offres de deux sociétés chinoises pour le bail d’opération du réseau d’électricité Ausgrid dans l’Etat de Nouvelle-Galles-du-Sud, invoquant des préoccupations, non divulguées, de « sécurité nationale, » et provoquant de vives critiques de Pékin.

Le commentaire de Rachman reflète une discussion sur le danger croissant de guerre qui était encore il y a peu, largement confinée aux milieux de la politique stratégique et extérieure, mais s’exprime à présent plus visiblement dans la presse de l’établissement. Lundi, la première page de l’Australian de Murdoch soulignait un rapport récent de la Rand Corporation des États-Unis, commandité par l’US Army et évaluant les résultats potentiellement catastrophiques d’une guerre des États-Unis avec la Chine, maintenant et d’ici une décennie.

Dans des commentaires faits à l’Australian, l’analyste stratégique de longue date Paul Dibb, a placé sans détour la décision concernant Ausgrid dans le contexte de la guerre avec la Chine, qui, disait-il, pouvait éclater presque par accident. « Le coût serait-il un facteur [pour la Chine] dans une crise où nous étions impliqués et où ils voudraient couper l’approvisionnement en électricité, à nos agences de renseignements, par exemple ? » a-t-il demandé.

Tout en affirmant qu’un conflit était peu probable, Dibb a dit : « il est plausible et pourrait venir à mon avis d’une erreur de calcul ou d’un acte délibéré de provocation entre la Chine et les États-Unis dans la mer de Chine orientale ou méridionale. »

Le rôle central de l’Australie dans une guerre des États-Unis avec la Chine a été souligné par David Gompert, l’auteur principal du rapport de la Rand et ancien directeur principal adjoint du renseignement national américain. Il a déclaré lundi à la radio australienne que l’Australie serait « de grande conséquence » dans un conflit avec la Chine.

Gompert a suggéré que la participation militaire australienne pourrait inclure « L’Australie soutenant les États-Unis de manière logistique, les forces australiennes se chargeant de missions effectuées avant par les forces américaines, libérant [ces dernières] pour le conflit. » Il a ajouté que l’armée australienne pouvait « entrer effectivement dans les opérations, et bien sûr les forces américaines et australiennes savent comment fonctionner ensemble ce qui aurait des conséquences opérationnelles importantes pour les Chinois. »

Comme ancien haut conseiller du renseignement, Gompert sait bien que les nouveaux arrangements concernant les bases militaires pour les forces américaines en Australie, la répétition régulière de plans de guerre dans des exercices conjoints, et l’intégration directe du personnel et des actifs australiens dans l’armée américaine servent à préparer une telle participation australienne dans un conflit avec la Chine. Compte tenu de la dépendance des États-Unis de bases comme Pine Gap en Australie centrale pour le renseignement et le ciblage, toute décision prise par les États-Unis de déclencher une guerre contre la Chine impliquerait automatiquement l’Australie.

Dans ce contexte, le commentaire de Rachman dans le Financial Times, un journal qui dans le passé n’a que rarement commenté les affaires australiennes, prend une importance accrue. Après avoir examiné l’impact de la montée des tensions régionales, il conclut : « Tous ces développements suggèrent que, si peu probable que cela puisse paraître actuellement, l’Australie pourrait devenir une poudrière géopolitique dans les décennies à venir. »

La seule correction à faire à cela est que la probabilité du conflit s’accélère rapidement et que cela ne prendra pas des décennies.

(Article paru d’abord en anglais le 17 août 2016)

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