Soutenues par Washington, les forces turques en Syrie tuent des civils

La Turquie a bombardé des zones contrôlées par les Kurdes du nord de la Syrie samedi, alors que son incursion continuait à s’étendre, soutenue par les Américains. Au moins 35 civils ont trouvé la mort lors de frappes aériennes, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme.

Les forces aériennes et les « conseillers » militaires américains appuient l'invasion depuis son lancement mercredi dernier, soi-disant pour chasser les combattants de l’État islamique (EI) de Jarablus, l'une des dernières villes contrôlées par l’EI près de la frontière turque. L'objectif primordial de la Turquie est toutefois de déloger les milices kurdes précédemment soutenues par Washington des zones proches de la frontière syro-turque dont elles ont pris le contrôle, afin d'empêcher la création durable d'une enclave kurde.

Quant aux États-Unis, ils soutiennent l'offensive turque afin d'intensifier la guerre en Syrie et de créer les conditions pour le renversement du régime de Bachar al-Assad à Damas.

L'invasion d’Ankara enflamme la guerre civile syrienne, qui a déjà duré cinq ans, coûté la vie à près d'un demi-million de Syriens et réduit la population du pays de plus de 5 millions. Elle est entreprise en collaboration avec les «rebelles» syriens proaméricains et proturcs, hostiles aux milices kurdes.

Turquie a d'abord affirmé que les Unités de protection du peuple kurde (YPG) auraient une semaine pour se retirer à l'est de l'Euphrate. Quelques heures après, des affrontements ont éclaté entre «rebelles» syriens proturcs et les YPG. Un porte-parole de l'Armée syrienne libre a déclaré ce week-end que l'ASL avait repris 10 villages de troupes aux YPG et quatre à l’EI.

La Turquie a prétendu avoir tué 25 « terroristes » kurdes lors de bombardement près de Jarablus ; la première victime turque a été signalée dans le cadre d'une attaque à la grenade par les Forces syriennes démocratiques, à majorité kurdes.

Des séquences vidéo ont souligné le caractère antikurde de l'opération turque Euphrates Shield (Bouclier de l'Euphrate). Elles montrent des membres de la brigade Sultan Murat, un groupe proturc syrien «rebelle» qui battent des prisonniers kurdes dans le village de Yusuf Beg et les traitent de « chiens du PKK [Parti des travailleurs du Kurdistan] ».

La volonté de Washington de jeter son poids derrière ces forces sectaires reflète son mépris pour les peuples de la région et constitue une condamnation de tous ceux qui soutiennent, au nom des «droits de l'homme, » l'intervention américaine. La trahison par les USA de ses alliés kurdes souligne le fait que le but principal de Washington est de consolider sa position géostratégique dominante au Moyen-Orient en installant un régime fantoche à Damas.

A Genève, où il rencontrait son homologue russe Sergueï Lavrov, le secrétaire d'État John Kerry a dit que les zones kurdes devraient rester des parties intégrantes de la Syrie.

« Nous sommes pour une Syrie unie. Nous ne soutenons pas l’initiative d’une indépendance kurde », a-t-il déclaré, avant de prétendre que le soutien américain aux forces kurdes avait été limité. Il a voulu souligner, moins de 48 heures après le début de l'invasion turque, que «Nous comprenons la sensibilité de nos amis turcs par rapport à cela. »

L'intervention de ce qui est en fait une force de l'OTAN en Syrie, c'est-à-dire l'armée turque, renforce la possibilité d'un affrontement direct entre la Russie et les Etats-Unis, qui pourrait rapidement dégénérer et impliquer les autres grandes puissances impérialistes.

Suite à ses discussions avec Kerry, qui n'ont pas pu parvenir à une résolution, Lavrov a attaqué l’incursion turco-américaine en faisant remarquer que seuls la Russie et l'Iran opéraient en Syrie avec le consentement du gouvernement. Les autres forces dans le conflit, a-t-il ajouté, sont en violation de la souveraineté syrienne.

Lors d'un briefing vendredi, le secrétaire de la Maison Blanche Josh Earnest a pointé du doigt la Russie et le gouvernement syrien pour la poursuite des violences dans le pays, bien que ce soit les forces américaines qui ont appuyé l'escalade turque. « Si la Russie est prête à soutenir les tactiques meurtrières du régime Assad qui coûtent souvent la vie à des femmes et à des enfants innocents, il est difficile de parvenir à une solution politique, » a-t-il dit. Il a ensuite ajouté que l'intervention russe « ne fait qu’attiser l'extrémisme » en Syrie.

En réponse à une question sur la création de zones « de sécurité » en Syrie, Earnest a nié que cela était envisagé comme une option politique par Washington, car cela nécessiterait des forces militaires supplémentaires. En fait, Washington soutient déjà une opération turque dont l'objectif explicite est la création d'une zone dans le nord de la Syrie contrôlée par les troupes turques.

La violence a continué de se propager en Turquie suite à un attentat vendredi par des partisans du PKK, qui a tué 11 policiers turcs et blessé 78 personnes. Dimanche, des rebelles du PKK ont lancé une attaque à la grenade sur l'aéroport de Diyarbakir ; un soldat turc et 10 militants du PKK ont trouvé la mort lors d'affrontements dans la province de Hakkari.

Lors d'un rassemblement dimanche à Gaziantep, à 30 km de la frontière syrienne, le président turc Recep Tayyip Erdogan a fait savoir que l'intervention turque serait longue et sanglante. Il a indiqué que Ankara ne ferait pas de distinction entre le PKK, avec lequel la Turquie est quasiment en guerre depuis l'année dernière, et les YPG en Syrie. Après avoir juré d’éliminer l’EI, il a déclaré: «Nous ferons pareil quant au PYD [Parti démocratique de l'Union], aile syrienne de l'organisation séparatiste terroriste... Nous continuerons jusqu'à ce que nous déracinions cette organisation terroriste. »

Il règne un quasi silence dans les médias américains sur la montée dramatique du conflit syrien. Ni l'un ni l'autre des deux candidats présidentiels des grands partis du patronat ne l'a soulevé. Les actualités dimanche au sujet de la Syrie portaient sur des accusations que le régime Assad larguait des bombes barils sur un quartier résidentiel contrôlé par l'opposition à Alep ; le meurtre de civils par les forces turques a été passé sous silence.

La candidate démocrate Hillary Clinton, qui bénéficie du soutien écrasant de l'establishment militaire et du renseignement, compte intensifier les opérations militaires américaines en Syrie après les élections en novembre, même si cela déclenche une confrontation directe avec la Russie. Les experts du Center for a New American Security (Centre pour une nouvelle sécurité américaine) cofondé par Michèle Flournoy, une ancienne fonctionnaire du Pentagone qui pourrait prétendre au poste de secrétaire à la Défense sous Clinton, ont déclaré en juin qu'un futur gouvernement américain devrait autoriser des frappes contre les forces d'Assad.

(Article paru en anglais le 29 août 2016)

Loading