Les États-Unis menacent la Russie de la fin de la coopération en Syrie, les combats font rage à Alep

Le secrétaire d’État américain John Kerry a averti le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov hier que Washington pourrait rompre toute coopération bilatérale avec Moscou si les combats en Syrie continuent. 

Kerry a émis cette menace alors que les forces loyales au président syrien Bachar al-Assad, avec le soutien de la puissance aérienne russe, ont lancé une offensive majeure contre Alep et auraient pris le contrôle de zones dans le centre de la ville. Citant la télévision publique syrienne, RT a rapporté que les rebelles avaient fui certains quartiers et abandonné des armes lourdes, mais ces rapports ne sont pas vérifiés. 

Lors d’un appel téléphonique avec Lavrov, Kerry a exigé que la Russie arrête son soutien de l’offensive du gouvernement syrien et œuvre à réimposer l’accord de cessez-le-feu du 9 septembre. « Nous parcourons les mesures que nous pourrions avoir à prendre pour commencer à suspendre notre engagement avec la Russie sur la Syrie. On n’a pas encore pris ces mesures », a commenté le porte-parole du département d’État John Kirby interrogé sur la déclaration de Kerry, « Le message au ministre des Affaires étrangères [russe] aujourd’hui c’est que nous sommes parfaitement disposés à avancer sur ces mesures, et capables de le faire, ce qui se terminerait par la suspension de l’engagement bilatéral américano-russe en Syrie ».

Bien que Kirby n’ait pas été aussi précis, la « suspension de l’engagement bilatéral américano-russe » signifierait sans doute que non seulement le récent accord de cessez-le-feu, mais aussi l’accord conclu en octobre dernier pour réglementer les protocoles de sécurité et de communication entre les avions russes et ceux de la coalition menée par les États-Unis intervenant supposément contre l’État islamique seraient supprimés. Cela augmenterait considérablement le risque d’une confrontation directe entre les forces russes et américaines qui pourrait rapidement exploser en une véritable guerre. 

L’ultimatum de Washington intervient quelques jours seulement après que les diplomates, menés par les États-Unis et la Grande-Bretagne, ont sauté sur les accusations de crimes de guerre contre la Russie afin d’intensifier la pression et d’ouvrir la voie à la guerre. L’ambassadrice à l’ONU des États-Unis, Samantha Power, a dénoncé la Russie pour « barbarie » lors d’une réunion du Conseil de sécurité dimanche. 

Selon les organisations humanitaires, au moins 400 personnes ont été tuées à Alep au cours de la dernière semaine, dont au moins 96 enfants, et 1700 blessés. Des avions russes ont été accusés d’avoir déployé des bombes bunker buster (bombes à charge pénétrante). Deux hôpitaux auraient été frappés hier dans les dernières attaques. 

Environ 250 000 civils sont pris au piège dans l’est d’Alep, avec seulement 30 médecins pour fournir des soins médicaux. Bien qu’ils aient été soumis à des bombardements quotidiens par la Russie et les forces gouvernementales syriennes, il a également été signalé que les milices rebelles, qui sont dominées à Alep par le Front al-Nusra djihadiste, empêchent les civils de fuir. 

Lavrov a réagi à la menace de Kerry en attaquant les États-Unis pour leur incapacité à séparer du Front Al-Nusra les milices de l’opposition dite modérée. Al-Nusra, qui était jusqu’à récemment la branche syrienne d’Al-Qaïda, représente la grande majorité des forces rebelles qui combattent dans l’est d’Alep. 

Kirby a ajouté menaçant, « Les groupes extrémistes continueront à exploiter les vides qui sont là en Syrie pour étendre leurs activités, qui pourraient inclure des attaques contre les intérêts russes, peut-être même les villes russes. La Russie continuera d’envoyer des gens au pays dans des sacs mortuaires, et continuera de perdre des ressources, peut-être même des avions ». 

Ce commentaire, ainsi qu’une déclaration du Département d’État que des options « non diplomatiques » ont été considérées pour mettre fin aux combats à Alep, a des conséquences très inquiétantes. L’impérialisme américain a une longue histoire de collaboration avec les terroristes islamistes qui remonte aux années 1980 en Afghanistan contre l’invasion soviétique.

La tentative des États-Unis de se présenter comme défenseur des droits de l’Homme des Syriens contre l’agression russe, et de l’accord de cessez-le-feu du 9 septembre, est totalement cynique. Le gouvernement Obama a utilisé l’accord de paix afin de donner aux forces de l’opposition en difficulté un peu de répit et de préparer une escalade majeure du conflit. Le 17 septembre, l’aviation américaine a visé un poste de l’armée syrienne près de Deir ez-Zor, tuant au moins 60 soldats, en blessant plus de 100, permettant aux combattants de l’État islamique de s’emparer de la position. Il y a aussi de nombreux rapports selon lesquels les forces de l’opposition, y compris le Front al-Nusra, ont été réarmées pendant la trêve. Lorsque les combats ont éclaté à Alep suite à une attaque sur un convoi d’aide humanitaire le 19 septembre Washington et ses alliés ont accusé la Russie et le gouvernement syrien pour l’assaut, une affirmation que Moscou et Damas ont niée. 

Les droits de l’Homme ont été le prétexte invariablement invoqué par l’impérialisme américain pour justifier une série d’interventions militaires dévastatrices au cours des dernières années. En 2011, les États-Unis et l’OTAN ont utilisé leur prétendue préoccupation au sujet du sort des civils libyens pour légitimer une vaste campagne de bombardements pour renverser le régime de Kadhafi, aboutissant à la mort de dizaines de milliers de Libyens et le brutal lynchage de Kadhafi plongeant l’ensemble du pays dans des luttes intestines entre groupes régionaux et religieux.

La guerre civile syrienne, qui dure maintenant depuis plus de cinq ans et a coûté la vie à près d’un demi-million de Syriens, a été fomentée par Washington et ses alliés, y compris en soutenant directement les extrémistes islamistes, pour renverser le régime d’Assad et installer un pantin pro-occidental à Damas. Cela faisait partie du programme plus large des États-Unis d’assurer sa domination géopolitique sans partage sur le Moyen-Orient et l’Asie centrale riches en énergie contre ses principaux rivaux, la Russie et la Chine, un programme qui a vu Washington mener guerre sur guerre au cours du dernier quart de siècle. 

La Russie a répondu l’an dernier avec sa propre intervention militaire, visant à épauler son principal allié dans la région et à maintenir la seule base militaire qu’il lui reste en dehors de l’ancienne Union soviétique. La défense par le Kremlin des intérêts de l’oligarchie riche de la Russie n’a rien à voir avec une préoccupation pour le peuple syrien, ce que les dernières attaques démontrent encore une fois. Comme le World Socialist Web Site l’avait annoncé à l’époque, loin de stabiliser la situation, les opérations militaires de la Russie et les fanfaronnades nationalistes du régime de Poutine ne font que renforcer le risque d’un affrontement avec l’impérialisme américain et ses alliés qui pourrait rapidement échapper à tout contrôle et déclencher une guerre mondiale. 

Des sections importantes de l’establishment politique et militaire aux États-Unis sont prêtes à risquer une guerre avec la Russie dans la poursuite de leurs plans téméraires d’hégémonie mondiale, comme l’ont indiqué les commentaires la semaine dernière du président du Comité des chefs d’état-major des États-Unis Joseph Dunford. Dunford a déclaré au Congrès que le contrôle de l’espace aérien sur la Syrie nécessiterait la guerre avec la Russie. 

Le tollé sur les crimes de guerre russes vise à donner à cette marche agressive à la guerre un vernis de légitimité « humanitaire ». Le Pape François a exprimé à Rome sons soutien à la campagne mercredi en critiquant les responsables du bombardement à Alep. « Je lance un appel à la conscience de ceux qui sont responsables des bombardements, qui devront un jour avoir à rendre compte à Dieu », a-t-il dit. 

Lors d’une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies hier, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon a également attaqué la Russie et la Syrie, en disant : « Ceux qui utilisent des armes toujours plus destructrices savent exactement ce qu’ils font. Ils savent qu’ils commettent des crimes de guerre ». 

Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault a déclaré mercredi qu’il œuvre pour une résolution du Conseil de sécurité appelant à un cessez-le-feu à Alep, et a averti que tout pays qui s’y opposerait serait considéré comme complice de crimes de guerre. 

L’indignation des États-Unis et des politiciens occidentaux sur les violations des droits de l’homme en Syrie est très sélective. Un rapport de l’Observatoire syrien des droits de l’homme selon lequel les bombardements des rebelles ont entraîné la mort de 49 enfants dans l’ouest d’Alep en juillet a à peine reçu une mention. 

L’impérialisme américain a systématiquement attisé les tensions ethniques et religieuses depuis le début de la guerre syrienne avec son soutien aux forces séparatistes kurdes et aux extrémistes islamiques. En août, Washington a approuvé l’incursion de la Turquie dans le nord de la Syrie pour repousser le contrôle kurde sur une région à la frontière turque. 

Au cours des derniers jours, des informations supplémentaires ont émergé sur les relations étroites entre les États-Unis et leurs alliés, et Al-Nusra. Le journaliste allemand Jürgen Todenhöfer a mené un entretien à Alep avec un commandant d’Al-Nusra, Abu Al Ezz, qui a déclaré que son organisation recevait des armes américaines par des pays tiers. Le commandant a prétendu que des « experts » d’un certain nombre de pays, y compris les États-Unis, la Turquie, l’Arabie Saoudite, Israël et le Qatar, étaient présents en Syrie pour former les combattants d’Al-Nusra dans l’utilisation d’armes telles que des lance-missiles. 

Al-Nusra a été accusé d’atrocités répétées. En juillet, Amnesty International a indiqué que le groupe avait procédé à une vague d’enlèvements, de tortures et d’exécutions sommaires dans les provinces d’Idlib et d’Alep. D’autres groupes rebelles impliqués dans des crimes de guerre comprennent Ahrar al-Sham, Mureddin Zinki, le Front du Levant et la Division 16, dont certains sont soutenus directement par les États-Unis. 

(Article paru en anglais le 29 septembre 2016)

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