La Russie prévient que les frappes des États-Unis en Syrie peuvent mener à la guerre

Signe que le conflit syrien risque de dégénérer en guerre entre les deux puissances majeures dotées d’armes nucléaires, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a mis en garde hier contre les frappes aériennes et de missiles de l’OTAN sur ses forces et ses alliés en Syrie, en déclarant que la Russie répondrait militairement.

Lavrov s’est référé aux rapports dans les médias selon lesquels les États-Unis envisagent de bombarder les forces syriennes ou russes en Syrie. « C’est un jeu très dangereux », a-t-il dit, « étant donné que la Russie est en Syrie à l’invitation du gouvernement légitime de ce pays, y a deux bases, et des systèmes de défense aérienne pour protéger ses intérêts. »

Moscou a également envoyé des missiles Iskander-M à capacité nucléaire à la ville russe de Kaliningrad sur la Baltique vendredi soir. De Kaliningrad, les missiles peuvent frapper des cibles, y compris les bases de l’OTAN, à travers la Pologne et les républiques baltes. Les responsables du ministère russe de la Défense ont déclaré que les missiles ont été chargés sur un cargo en mer Baltique « juste en dessous d’un satellite de reconnaissance américain » afin qu’ils puissent surveiller sa réaction et clarifier à l’armée américaine que les missiles étaient bien en route vers Kaliningrad.

Des fuites vers des journaux américains, dont le Washington Post la semaine dernière ont révélé que les responsables américains discutent du lancement d’une attaque contre les forces gouvernementales syriennes dans le dos du peuple américain. Alors qu’une poignée de reportages de presse ont vu le jour sur les fuites elles-mêmes, un silence assourdissant règne dans les médias américains et européens sur le danger et les conséquences d’une telle escalade.

Mercredi, Josh Rogin a écrit dans le Post, « Des responsables du Département d’État, de la CIA et les chefs d’état-major interarmées ont discuté des frappes militaires limitées contre le régime [syrien]… Les options envisagées, qui restent classées, inclurent le bombardement des pistes des forces aériennes syriennes en utilisant des missiles de croisière et d’autres armes à longue portée tirées depuis des avions et des navires de la coalition, m’a dit un responsable de l’Administration qui faisait partie des discussions. Une façon proposée pour contourner l’objection de longue date de la Maison-Blanche pour frapper le régime d’Assad sans une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies serait de réaliser les secrètement et sans reconnaissance publique, a indiqué le responsable ».

Dans un discours de 2013 devant des banquiers de Wall Street divulgué par Wikileaks, Hillary Clinton a déclaré que d’imposer une telle « zone d’exclusion aérienne » entraînerait des pertes civiles massives : « Pour avoir une zone d’exclusion aérienne, vous devez détruire toutes les défenses aériennes, dont beaucoup sont situés dans des zones habitées. Donc, nos missiles, même s’ils sont tirés de loin de sorte que nous ne mettons pas nos pilotes en danger, vont tuer beaucoup de Syriens ».

Après le bombardement américain du mois dernier à Deir ez-Zor qui a tué au moins 62 soldats syriens et blessés 100, il faut supposer que des raids des États-Unis auront pour but de causer également des pertes militaires syriennes massives.

Même avant que Lavrov a fait ses remarques, les responsables militaires russes ont réagi à des fuites comme le reportage du Post en avertissant les responsables américains qu’ils risquaient de provoquer une guerre majeure. Le porte-parole du ministère de la Défense russe, le général Igor Konashenkov, a déclaré que ses forces présumeraient que des frappes américaines seraient hostiles, localiseraient et détruiraient les combattants américains, y compris les avions furtifs, en Syrie.

« Des missiles ou des frappes aériennes quelconques sur le territoire contrôlé par le gouvernement syrien vont créer une menace claire pour les militaires russes », a déclaré Konashenkov. « Les équipes des systèmes de défense aériens russes ont peu de chances d’avoir le temps pour déterminer, dans une “ligne droite,” les trajectoires de vol exactes de missiles, puis à qui les ogives appartiennent. Et toutes les illusions d’amateurs sur l’existence d’avions « invisibles » seront confrontées à une réalité décevante ».

Au sujet des « fuites » telles que le reportage du Post, il a ajouté, « l’information selon laquelle les initiateurs de ces provocations sont des représentants de la CIA et du Pentagone, qui […] aujourd’hui réclament des scénarios “cinétiques” en Syrie, est particulièrement préoccupante ».

Konashenkov a averti Washington qu’il devrait faire un « calcul approfondi des conséquences possibles de ces plans ».

Cette remarque est effrayante. Si Konashenkov ne l’a pas dit, l’importance des remarques de Moscou est claire : la mise en œuvre de plans américains signifie un affrontement militaire avec la Russie, et les conséquences possibles d’un tel affrontement incluent l’escalade vers une guerre nucléaire à part entière qui tuerait des milliards de personnes. Les arrangements diplomatiques qui pour un temps ont stabilisé les relations entre l’OTAN et la Russie dans la période suivant la dissolution par la bureaucratie stalinienne de l’URSS en 1991 se sont effondrés.

Comme Moscou conclut apparemment qu’il n’a pas d’autre choix que de se préparer à la guerre si Washington et ses alliés de l’OTAN décident de la lancer, les travailleurs du monde entier sont en train de devenir la seule catégorie sociale pouvant s’opposer à une guerre catastrophique.

La force motrice de cette crise de guerre est la politique agressive des puissances impérialistes de l’OTAN, menées par les États-Unis. L’émergence de la Russie comme un obstacle à des guerres effrénées des États-Unis et de l’OTAN au Moyen-Orient, en s’opposant à une guerre de l’OTAN prévue en Syrie en 2013, est totalement inacceptable pour Washington.

Maintenant, au moment où les forces islamistes d’Al-Qaïda en Syrie, qui sont mandatées par l’OTAN, font face à la défaite autour d’Alep, des factions de l’État américain appellent ouvertement au lancement une guerre pour les sauver. Il y a un mois, le général américain Joseph Dunford a indiqué son soutien à l’imposition d’une « zone d’exclusion aérienne » sur la Syrie au Sénat américain, ajoutant que cela « nous obligerait à mener une guerre contre la Syrie et la Russie ».

La semaine dernière, le chef d’état-major de l’armée des États-Unis, Mark Milley, a parlé de la Russie et de la Chine comme d’ennemis, et s’est adressé à eux directement, en déclarant : « Je veux être clair pour ceux qui veulent nous faire du mal […] que les forces armées des États-Unis – en dépit de tous nos défis, en dépit de notre tempo [opérationnelle], en dépit de tout ce que nous avons fait – nous vous arrêterons et nous allons vous battre plus fort que vous n’avez jamais été battu avant. Ne vous méprenez pas à ce sujet ».

Alors que les puissances de l’OTAN portent la responsabilité centrale de la crise en Syrie, la réponse de l’oligarchie capitaliste post-soviétique en Russie est aussi irresponsable et réactionnaire. Incapable, et hostile, à un appel à l’opposition internationale à la guerre dans la classe ouvrière, elle vise à utiliser sa force militaire pour dissuader l’escalade des États-Unis et l’OTAN en Syrie afin de négocier un accord avec les puissances impérialistes.

Cette politique a totalement échoué. Implorer Washington pour un accord à un moment et faire l’escalade de l’action militaire en Syrie au suivant : de telles oscillations du Kremlin ont eu comme résultat que ce dernier s’est fait entraîner dans une confrontation avec l’OTAN qui va en s’approfondissant et qui menace maintenant de déclencher un conflit militaire majeur.

Le déploiement par la Russie des missiles à Kaliningrad est un signal à Washington et ses alliés européens que Moscou ne croit pas seulement que la guerre est une possibilité très réelle, mais prévoit qu’une telle guerre se propagerait rapidement depuis la Syrie vers l’Europe. L’OTAN a déployé des dizaines de milliers de soldats près des frontières de la Russie en Europe de l’Est depuis son soutien à un putsch fasciste qui a renversé un régime pro-russe en Ukraine en 2014.

Lavrov a déclaré que cela posait une menace intolérable pour la sécurité nationale russe. « Nous avons assisté à un changement fondamental de circonstances qui se trouve [dans] l’agression russophobe qui est maintenant au cœur de la politique américaine envers la Russie, » a-t-il dit. « Ce n’est pas de la rhétorique russophobe, mais des mesures énergiques qui concernent vraiment nos intérêts nationaux et mettent en danger notre sécurité. L’élargissement de l’OTAN, des [déploiements de] l’infrastructure militaire de l’OTAN à côté de nos frontières […] et le déploiement d’un système de défense antimissile – toutes ces mesures sont des actions inamicales et hostiles ».

Notamment, Moscou a été indigné par la menace du porte-parole du département d’État américain, John Kirby, à savoir : si la Russie n’obéit pas aux ordres des États-Unis en se retirant de Syrie, les groupes islamistes pourraient « étendre leurs activités, ce qui pourrait inclure des attaques contre les intérêts russes, peut-être même les villes russes. La Russie va continuer à renvoyer des troupes à la maison dans des sacs mortuaires et continuera de perdre des ressources, peut-être même des avions ». Dans ce contexte, l’observation ultérieure de Kirby que Washington peut influencer « quelques » milices de l’opposition en Syrie avait le caractère d’une menace.

Puisque les armes de la CIA parviennent aux armureries du front Al Nusra lié à Al-Qaïda dans Alep, il est clair que si Moscou permet simplement la chute du régime syrien face à l’opposition islamiste, la Russie pourrait bientôt se trouver ciblée par le même type d’opérations islamistes que l’OTAN utilise actuellement en Syrie. Cela a apparemment convaincu Moscou, au moins pour l’instant, de risquer une confrontation avec les États-Unis dans une tentative désespérée pour dissuader l’action militaire de l’OTAN contre la Syrie et la Russie.

(Article paru d’abord en anglais le 10 octobre 2016)

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