Le gouvernement turc tente de détruire le parti parlementaire kurde HDP

Le 4 novembre, la police turque a arrêté au moins 11 membres de haut rang du parti populaire démocratique kurde (HDP), y compris les coprésidents Figen Yüksekda&; et Selahattin Demirtaş.

Des parlementaires turcs de premier plan ont été agressés dans tout le pays, arrêtés et amenés manu militari aux commissariats de police. La police a saisi Demirtaş après avoir ravagé sa maison dans la capitale, Ankara, et a pris d’assaut la résidence de Yüksekda&; à Diyarbakır, la plus grande ville du sud-est de la Turquie à majorité Kurde. Ferhat Encü, Leyla Birlik, Selma Irmak, Abdullah Zeydan, İdris Baluken, Sırrı Süreyya Önder, Ziya Pir, Gülser Yıldırım et Nursel Aydo&;an ont également été arrêtés.

Une foule a manifesté autour de la maison de Baluken à Diyarbakır pendant que la police l’arrêtait et tentait de le faire entrer de force dans son véhicule. « Lâchez-moi ! Je représente des milliers de voix. Vous ne pouvez pas pousser ma tête et me prendre comme ça », a lancé Baluken aux policiers avant qu’ils le mettent de force dans le véhicule et l’emmènent en détention.

Alors que les responsables du HDP se faisaient arrêter, une voiture piégée a explosé à Diyarbakır, tuant deux policiers et sept civils et blessant plus de 100 personnes. L’attaque, revendiquée par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), interdit, aurait visé un bâtiment de police. Le HDP nie avoir des liens avec le PKK.

L’intervention pour décapiter le HDP, un parti parlementaire majeur en Turquie, montre que l’état d’urgence imposé en réponse au coup d’État raté en juillet contre le président Recep Tayyip Erdo&;an transforme rapidement la Turquie en dictature présidentielle. Ces pouvoirs seront, tôt ou tard, tournés contre l’opposition sociale et politique de la classe ouvrière. Les combattants nationalistes kurdes en Turquie et en Syrie se heurtent déjà aux forces turques. De plus, l’arrestation des hauts fonctionnaires du HDP ne fera qu’augmenter les tensions ethniques et l’effusion de sang au Proche-Orient.

Après que Demirtaş a affiché une déclaration sur Twitter indiquant que « la police est à ma porte avec un mandat pour m’emmener de force », les sites de médias sociaux, dont Twitter, Facebook, WhatsApp, Instagram et YouTube ont été bloqués en Turquie. Ars Technica a rapporté que Skype était également étouffé à l’intérieur du pays. Les autorités turques ont souvent bloqué l’accès à Internet après des crises majeures, dont les attentats d’octobre 2015 à Ankara et les arrestations de deux maires adjoints de Diyarbakır le mois dernier, afin de censurer l’information et de limiter les protestations sociales.

Yüksekda&;, Demirtaş et les autres responsables du HDP ont été arrêtés pour avoir refusé de témoigner dans le cadre des enquêtes sur leur prétendu soutien au terrorisme. Ces accusations portent sur la bataille d’octobre 2014 entre les forces kurdes et celles de l’État islamique (ÉI) à Kobane, en Syrie ; sur une réunion du Congrès pour une Société Démocratique (DTK) en décembre 2015 dans la province de Diyarbakır, où les responsables du HDP avaient exigé une large autonomie pour les régions kurdes de la région ; et sur des liens supposés avec le Groupe des communautés du Kurdistan (KCK), interdit. 

Les membres du HDP auraient publié une défense commune contre ces accusations, qui a été préparée lorsque le Parlement turc a voté pour lever sa propre immunité en juin afin de faciliter l’écrasement du HDP. 

« Seules les personnes qui m’ont élu peuvent me questionner sur mes activités politiques », déclare la défense commune. « Nous sommes les représentants élus du peuple. Nous représentons non pas nous-mêmes, mais les gens qui ont voté pour nous. Je suis devant vous en tant que représentant parlementaire et député en toute impunité. Jamais je ne laisserai quelqu’un manquer de respect à l’identité que je représente et à la volonté de mon peuple ». La défense ajoute que les responsables du HDP ne seront pas des « figurants dans une pièce de théâtre judiciaire commandée par Erdo&;an ». 

Le Premier ministre turc Binali Yıldırım a appuyé les arrestations d’hier, en insistant sur le fait que les représentants devraient « payer le prix » pour les activités de « terrorisme ». Il a confirmé que l’État avait délibérément bloqué l’Internet à des fins de « sécurité », ajoutant que les blocages étaient temporaires. 

Les arrestations ont eu lieu quelques jours seulement après l’arrestation lundi d’une douzaine de journalistes de haut niveau, y compris l’éditeur Murat Sabuncu, du journal d’opposition Cumhuriyet. Ils font face à des accusations d’avoir travaillé pour le PKK et pour Feithullah Gülen, un prêcheur musulman exilé aux États-Unis qu’Erdo&;an accuse d’avoir lancé le coup d’État contre lui en juillet. 

Des responsables américains et européens ont condamné la répression du HDP, le porte-parole de la Maison-Blanche, Josh Earnest, déclarant que Washington était « profondément perturbé » par les événements en Turquie. 

La diplomate en chef de l’Union européenne (UE), Federica Mogherini, a publié une déclaration indiquant que les co-dirigeants du HDP étaient des « interlocuteurs de confiance et de valeur » de l’UE. Elle a ajouté que les arrestations « compromettent la démocratie parlementaire en Turquie et exacerbent la situation déjà très tendue dans le sud-est du pays ». 

Les avertissements des États-Unis et de l’UE sur l’effondrement accéléré de la démocratie parlementaire turque sont hypocrites et faux, et dépeignent les puissances impérialistes comme des défenseurs de la démocratie en Turquie. Ces puissances ont surtout travaillé à miner la démocratie parlementaire en Turquie, en ne critiquant les politiques d’Erdo&;an que du point de vue de leurs intérêts impérialistes. 

Il y a moins de quatre mois, Washington et Berlin ont tacitement soutenu un coup d’État qui a failli renverser Erdo&;an, organisé à partir de la base aérienne turque d’Incirlik utilisée par l’OTAN. Tandis que les combattants d’Incirlik et les troupes de l’armée tentaient d’assassiner Erdo&;an et de s’emparer des infrastructures principales de la Turquie – reprenant les plans des coups soutenus par l’OTAN en Turquie de 1960, 1971, et 1980 – les responsables américains et européens n’ont fait que des déclarations insipides appelant à la « continuité » en Turquie. Le coup d’État visait avant tout à rompre les liens qui se développaient entre Erdo&;an et la Russie ainsi que la Chine. 

Erdo&;an, qui n’en a réchappé que de justesse, lance maintenant une large répression en Turquie, visant tous les partisans supposés de Gülen, les groupes nationalistes kurdes et les médias. 

La politique poursuivie par Erdo&;an est sans aucun doute profondément réactionnaire. Cependant, il n’y a pas besoin d’avoir une profonde perspicacité politique pour voir qu’il est avant tout en train de réagir aux crises provoquées par la guerre syrienne, pour laquelle les États-Unis et les puissances européennes portent la responsabilité principale. 

Lorsque Washington et l’UE ont exercé des pressions sur Erdo&;an pour abandonner sa politique étrangère de « zéro problème avec les voisins » et pour accepter leur guerre pour le changement de régime en Syrie il y a cinq ans, cela s’est avéré avoir des conséquences immenses et imprévues. La Turquie est devenue un point de transit important pour l’approvisionnement des milices d’opposition islamistes soutenues par l’OTAN en Syrie comme l’État islamique (ÉI) et le Front Al Nusra. 

Surtout, la précarité de la paix en Turquie entre Turcs et Kurdes s’est effondrée lorsque Washington a cherché à utiliser les milices kurdes syriennes comme des forces par procuration sur le terrain en Syrie. En nourrissant les aspirations séparatistes des Kurdes en Syrie et dans les régions voisines de la Turquie, lesquelles ont aussi été victimes des attentats terroristes perpétrés par des réseaux de l’ÉI en Turquie, la guerre par procuration de l’OTAN en Syrie a entraîné la Turquie elle-même dans une guerre civile. 

L’intervention militaire agressive actuelle du gouvernement d’Erdo&;an en Syrie et en Irak, qui était principalement une tentative de bloquer l’émergence d’un état kurde séparé le long de sa frontière méridionale, va de pair avec la tentative d’écraser l’opposition interne. 

Les deux aggravent également les tensions avec les puissances impérialistes. Alors que Erdo&;an se heurte à Washington sur le refus du gouvernement Obama de permettre aux troupes turques de participer pleinement à l’assaut mené par les États-Unis contre Mossoul, les tensions entre Erdo&;an et les responsables de l’UE se multiplient aussi. 

Jeudi, Erdo&;an a violemment attaqué la chancelière allemande Angela Merkel, qui avait dit la veille que la détention des journalistes de Cumhuriyet était « très alarmante », et il a accusé l’Allemagne de soutenir le terrorisme. 

« La terreur, c’est comme un scorpion. Finalement, il mordra celui qui le porte. Je ne vois pas un avenir brillant pour l’Allemagne. C’est devenu un endroit où les terroristes se réfugient. Il y a des attaques racistes contre les Turcs en Allemagne. Il est inacceptable que l’Allemagne protège les terroristes », a déclaré Erdo&;an, ajoutant : « Si l’Allemagne doute que l’organisation Gülen soit un groupe terroriste, je les invite à venir visiter les édifices du Parlement turc et des Forces spéciales qui ont fait l’objet d’un attentat le 15 juillet ». 

(Article paru d’abord en anglais le 5 novembre 2016)

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