En consolidant l'alliance indo-américaine Modi fonce tête baissée vers la guerre

La visite de deux jours du premier ministre indien Narendra Modi à Washington cette semaine a marqué un tournant dans la transformation de l'Inde en Etat de « première ligne » dans l'offensive militaire stratégique de l'impérialisme américain contre la Chine. 

Cette offensive, connue à Washington sous le nom de « pivot vers l'Asie » ou de « rééquilibrage », a déjà vu les États-Unis redéployer la plus grande partie de leur puissance navale et aérienne dans la région indo-pacifique, renforcer les liens militaires avec leurs alliés traditionnels de la région, élaborer des plans pour un bombardement massif aérien et maritime de la Chine (Air-Sea Battle), inciter divers pays d'Asie du Sud-Est à appuyer leurs revendications territoriales contre la Chine en mer de Chine du Sud, et effectuer des « survol » armés et des exercices de « liberté de navigation » pour contester la souveraineté chinoise d’îlots dans cette mer. 

La déclaration conjointe publiée mardi par Modi et le président Obama après leurs entretiens présentait des plans pour accroître la coopération militaire indo-américaine à travers les régions de l'océan Indien et de l'Asie-Pacifique et dans tous les « domaines ... terrestre, maritime, aérien, spatial et cybernétique ».

L'Inde doit laisser l’armée américaine accéder d'office à ses ports et bases militaires pour le ravitaillement, les réparations et le repos. Washington a reconnu l'Inde en tant que « partenaire majeur pour la Défense », signifiant qu'elle peut désormais acheter des armes américaines avancées accessibles seulement aux plus proches alliés du Pentagone. 

Le gouvernement Obama a également promis de faire pression pour une inscription rapide de l'Inde au Groupe des fournisseurs nucléaires (NSG) bien que l'Inde n'ait pas rempli une condition essentielle de l'adhésion – la ratification du Traité de non-prolifération nucléaire. L'inclusion dans le NSG donnera à l'Inde un meilleur accès à la technologie nucléaire civile de pointe, ce qui lui permet de concentrer son programme nucléaire national sur le développement d’armes. 

L'Inde demeure officiellement un « allié hors traité» des États-Unis et continue de se tenir en dehors du système d'alliances que l'impérialisme américain créa suite à la Seconde Guerre mondiale pour étayer son hégémonie mondiale. Mais cette distinction n’est plus guère qu’une façade. 

Parallèlement à l’essor de ses liens militaires avec les Etats-Unis, l’Inde sous le gouvernement Modi dirigé par le BJP ( Parti Bharatiya Janata, nationaliste hindou de droite) a depuis deux ans considérablement augmenté ses liens stratégiques bilatéraux et trilatéraux, dont des exercices militaires, avec les principaux alliés de Washington dans la région Asie-Pacifique, Japon et Australie. 

Dans la « Déclaration d'une vision commune des États-Unis et de I'nde pour la région Asie-Pacifique » d’Obama et Modi,, l'Inde annonçait en janvier 2015 un partenariat avec les Etats-Unis en Asie orientale. La déclaration proclamait que le « rééquilibrage » anti-Chine de Washington et la politique « Agir à l'orient » de l'Inde se renforçaient mutuellement. Depuis, New Delhi répète fidèlement la ligne des États-Unis sur le conflit de plus en plus explosif en mer de Chine méridionale et revendique agressivement un intérêt stratégique dans cette mer. À la mi-mai, quatre navires de guerre indiens sont allés en mer de Chine méridionale, première étape d'une tournée de deux mois et demi du Pacifique oriental qui comprendra un exercice conjoint avec les marines américaines et japonaises près des îlots Diaouyu/Senkou détenus par le Japon mais revendiqués par la Chine. 

Pour souligner le soutien bipartite à l'alliance indo-américaine aux États-Unis, Modi, qui jusqu'il y a deux ans était exclu des États-Unis en raison de son rôle dans le pogrom anti-musulman du Gujarat en 2002, a été invité à s'adresser à une session conjointe du Congrès mercredi. Il a utilisé son discours pour déclarer la volonté de la bourgeoisie indienne de servir de satrape à l'impérialisme américain. Sans surprise, il a été plusieurs fois ovationné debout. 

Proclamant l'Amérique « partenaire indispensable » de l'Inde, Modi a déclaré qu'« un partenariat indo-américain fort » pouvait servir d' « ancrage » aux intérêts stratégiques américains « de l'Asie à l'Afrique et de l'Océan Indien au Pacifique ». 

Il a loué les « sacrifices » faits par l'armée américaine, le « poing de fer » avec lequel l'impérialisme américain avait combattu la révolution sociale et a maintenu sa domination mondiale, au « service de l'humanité » et a peint Washington comme le défenseur de la paix et de la démocratie contre ceux qui n'acceptaient pas les « règles et normes internationales » (une référence anti-chinoise parmi d’autres). 

Modi a combiné ses courbettes avec un plaidoyer pour les propres ambitions de grande puissance de l'Inde, ce qui serait facilité par des changements des « institutions internationales adaptées à la mentalité du 21e siècle ». 

L'alliance entre la vénale bourgeoisie indienne et l'impérialisme américain représente un changement fondamental de la géopolitique mondiale, avec des implications explosives pour les relations inter-étatiques en Asie et dans le monde.

Parce que l'Inde nouvellement indépendante avait résisté aux exigences américaines qu'elle subordonne sa politique étrangère aux machinations de la guerre froide de Washington contre l'Union soviétique, les États-Unis avaient traité New Delhi en adversaire jusqu'aux années 1990. Pendant des décennies, les Etats-Unis avaient fait du Pakistan, rival de l'Inde, leur principal partenaire régional, le poussant à développer sa rivalité militaro-stratégique avec l'Inde.

Maintenant, les États-Unis se vantent de leurs plans pour soutenir l'Inde et Obama déclare que l'alliance indo-américaine a le potentiel d'être « le partenariat déterminant » de Washington au 21e siècle.

L'Inde est un pays désespérément pauvre. Des centaines de millions de personnes y vivent dans une pauvreté absolue et les trois quarts de la population subsistent avec moins de 2 dollars par jour. Mais des gouvernements américains successifs l’ont convoitée comme un enjeu stratégique majeur.

La population de l’Inde égale presque celle de la Chine. Elle a une grande armée en pleine expansion (à plus de 50 milliards de dollars, le budget militaire de l'Inde est comparable à celui de la France ou de la Russie), équipée d'armes nucléaires et de porte-avions. Elle domine géographiquement l'océan Indien, voie navigable commerciale la plus importante du monde et lien vital pour l'économie chinoise.

En s’alignant sur les États-Unis, l'Inde resserre l'encerclement stratégique de la Chine et renforce la menace des États-Unis de détruire l'économie chinoise en lui refusant l'accès de l'océan Indien en cas de guerre ou de crise guerrière. La bourgeoisie indienne stimule et encourage donc Washington dans son action irresponsable pour contraindre la Chine à accepter l'hégémonie des USA – une action dont la logique, comme l'attestent les plans du Pentagone, est une guerre totale entre des puissances munies d’armes nucléaires. L’offensive impérialiste américaine a déjà suscité des tensions extrêmes en mer de Chine méridionale.

Encouragé par le soutien américain, l'Inde affirme agressivement sa prétention à être l'hégémon en Asie du Sud, exigeant que ses rivaux plus petits reconnaissent sa prédominance et sa résistance à l'influence économique croissante de la Chine. Récemment, New Delhi a forcé les Maldives à déclarer qu'elles poursuivraient « une politique étrangère en faveur de l’Inde, » et, bien que cela ait été moins fructueux, le gouvernement a imposé un blocus économique au Népal enclavé pendant cinq mois dans une tentative de le forcer à faire des changements à sa nouvelle constitution pour donner à l’Inde une plus grande influence sur Katmandu.

Le pivot américain vers l'Asie et la promotion de l'Inde comme partenaire junior des USA enflamment une série de conflits inter-Etats impliquant les pays d'Asie du Sud, les mêlant à la confrontation sino-américaine et ajoutant à chaque conflit régional une nouvelle dimension explosive.

Un exemple évident est celui des relations entre l'Inde et la Chine, dont la frontière commune reste en litige. Mais les relations sont surtout tendues entre l'Inde et le Pakistan, qui fut créé suite à la partition communautariste du sous-continent indien. Les deux nations, munies d’armes nucléaires, ont mené trois guerres déclarées et de nombreuses guerres non déclarées au cours des sept dernières décennies.

Islamabad a lancé des avertissements de plus en plus alarmants que le partenariat stratégique indo-américain avait renversé l'équilibre du pouvoir en Asie du Sud. Mais Washington, soucieux de consolider son alliance anti-chinoise avec New Delhi, a cavalièrement ignoré ces avertissements.

La réponse du Pakistan a été double. Il a élargi son arsenal nucléaire, dont le développement d'armes nucléaires tactiques, et il a cherché à renforcer ses liens de sécurité militaire de longue date avec la Chine – liens que les Etats-Unis avaient fortement appuyés alors que Pékin était allié à Washington dans les dernières décennies de la guerre froide.

Pékin a longtemps cherché à encourager le Pakistan à rechercher un rapprochement avec l’Inde dans le cadre de ses propres efforts pour améliorer les relations avec New Delhi et contrer les efforts américains pour faire de l'Inde le pilier occidental de son alliance anti-Chine. Mais comme le gouvernement Modi refusa d’accepter les propositions de la Chine de participer à la construction d'infrastructures pour relier l'Eurasie (la Nouvelle route de la Soie) et préféra plutôt l'intégration de plus en plus complète dans le programme stratégique de Washington, Pékin a annoncé l'an dernier un investissement de 46 milliards de dollars au Pakistan pour construire un Corridor économique Chine/Pakistan (CPEC). Le CPEC fournirait des liens ferroviaires, routiers et des pipelines depuis le port pakistanais de Gwadar dans la Mer d'Arabie jusqu’à l'ouest de la Chine, pour contourner, au moins en partie, les plans des États-Unis pour un blocus de la Chine par le contrôle du détroit de Malacca et d’autres points d'étranglement de l' océan Indien et de la mer de Chine méridionale.

L'armée pakistanaise reste un allié et un atout important de Washington. Mais les Etats-Unis, frustrés par la force de l'insurrection afghane, irrité par le CPEC, et désireux de courtiser l'Inde, intensifient la pression sur le Pakistan.

Le mois dernier, les Etats-Unis ont transgressé une « ligne rouge » pakistanaise quand ils ont sommairement exécuté par une frappe de drone sur le territoire pakistanais le chef politique des Talibans, mettant en pièces les efforts du Pakistan pour attirer les Talibans dans les pourparlers de paix. Dans le but probable de forcer le Pakistan à porter une charge encore plus grande dans la guerre AfPak, Washington encourage l'Inde à augmenter sa présence en Afghanistan, longtemps une arène de rivalité stratégique indo-pakistanaise.

L'élite indienne en a longtemps voulu à Washington de ne pas la laisser libre d’agir avec le Pakistan et elle continue de tester jusqu'où Washington lui permettra d'aller. L'an dernier a vu des affrontements frontaliers sur des mois et le week-end dernier, le ministre de la Défense de l'Inde a affirmé que la fenêtre se refermait rapidement sur ​l’offre hautement conditionnelle de Modi d’engager des pourparlers de paix avec le Pakistan.

Il y a depuis des voix dans les milieux militaro-sécuritaires américains faisant valoir que des tensions américano-pakistanaises étaient bienvenues car elles facilitaient le renforcement de l'alliance indo-américaine contre la Chine.

Cherchant désespérément à compenser les conséquences de son déclin économique et à maintenir sa domination mondiale, l'impérialisme américain poursuit l'agression et la guerre et enflamme dans le processus, dans une région après l’autre, les relations entre les États.

(Article paru en anglais le 10 juin 2016)

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