Kerry lance des accusations de « crimes de guerre », Washington fait monter les tensions avec la Russie

Washington et ses alliés ont délibérément intensifié les tensions avec Moscou sur fond de signes grandissants qu’une offensive par les forces gouvernementales syriennes soutenues par les Russes est sur le point de vaincre les “rebelles” affiliés à Al-Qaïda et soutenus par les États-Unis dans l’est d’Alep.

Le secrétaire d’État américain John Kerry a appelé vendredi à ce que la Russie et le gouvernement syrien du président Bachar al-Assad soient soumis à une enquête pour « crimes de guerre » concernant les frappes menées par des avions de combat syriens et russes contre les milices islamistes.

Se référant à un bombardement nocturne d’un hôpital qui aurait eu lieu, Kerry a déclaré : « Ce sont des actes qui exigent une enquête appropriée pour des crimes de guerre. Ils sont actuellement au-delà de l’accident, bien au-delà, des années au-delà de l’accidentel. Ceci est une stratégie conçue pour terroriser les civils et tuer tous ceux qui font obstacle à leurs objectifs militaires ».

Plus tard dans la journée, un porte-parole a admis que le Département d’État avait été incapable de confirmer l’accusation de Kerry, déclarant que « si oui ou non il y a eu une attaque la nuit dernière sur un hôpital ou Alep est plutôt hors sujet ».

L’indignation feinte de Washington à propos de l’effusion de sang dans l’est d’Alep est démentie par le soutien des États-Unis et leur complicité directe dans les crimes de guerre similaires et pires au Yémen, où l’ONU a fait état de plus de 10 000 morts, en grande partie suite à une campagne de bombardements par une coalition menée par l’Arabie saoudite qui est armée par le Pentagone et en reçoit des renseignements et une aide logistique indispensables. Des responsables onusiens ont averti que la guerre soutenue par les Américains dans ce pays menace de famine une grande partie de la population.

D’ailleurs, ni Kerry ni aucun autre responsable américain n’a fait preuve d’aucune inclination à soutenir des enquêtes sur les crimes de guerre de la guerre d’agression illégale de Washington contre l’Irak, qui a coûté plus d’un million de vies et a jeté les bases pour les conflits sanglants qui ont éclaté depuis dans toute la région.

Il est également intéressant de noter que Kerry n’a exprimé aucune préoccupation pour les meurtres et la terreur infligés aux civils dans l’ouest d’Alep contrôlé par le gouvernement, où habite la grande majorité de la population. Les « rebelles » soutenus par Washington ont mené des attaques terroristes continues sur la zone avec des roquettes, des mortiers et des hell cannon [artillerie improvisée réputée pour son manque de précision, ndt] ainsi que des armes chimiques, tuant des centaines de personnes.

L’attaque rhétorique de Kerry a été montée à des fins de propagande. Il est peu probable que la Russie, qui exerce un pouvoir de veto au Conseil de sécurité des Nations Unies, n’accepte une enquête sur les crimes de guerre dans sa campagne de bombardement en Syrie, pas plus que Washington ne permettrait une telle enquête sur les crimes perpétrés par l’impérialisme américain partout le monde.

Le secrétaire d’État américain a fait ses remarques en s’exprimant aux côtés de son homologue français, le ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault, qui est passé par Washington en route pour l’Organisation des Nations Unies à New York, où il doit faire pression pour l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité imposant un nouveau cessez-le-feu en Syrie.

Tout comme le gambit « crimes de guerre » de Kerry, la résolution française est également destinée à des fins de propagande, rédigée d’une manière qui assurera un veto russe. Elle exige l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne sur Alep, obligeant de retenir au sol tous les avions militaires russes et syriens. L’ambassadeur de la Russie Vitaly Churkin a déclaré aux journalistes vendredi que la résolution française était sans précédent dans sa demande qu’un membre permanent du Conseil de sécurité vote pour une mesure qui retienne ses propres actions. Il devrait y avoir un vote lors d’une séance du Conseil de sécurité samedi.

La résolution française ignore délibérément les événements qui ont conduit à la rupture du dernier accord de cessez-le-feu qui a été conclu entre les États-Unis et la Russie le 9 septembre. Avant son effondrement définitif après à peine une semaine, le cessez-le-feu a vu des centaines de violations par les « rebelles », qui ont continué d’attaquer les positions du gouvernement, tout en utilisant la cessation des frappes aériennes et de l’offensive du gouvernement pour réarmer et repositionner leurs forces.

Moscou a protesté contre la réticence et l’incapacité de Washington à mettre en œuvre une disposition clé de l’accord, qui a appelé à ce que les rebelles dits « modérés » soutenus par les États-Unis soient séparés des milices affiliées à Al-Qaïda qui sont désignées par l’ONU comme des terroristes et exclues du cessez-le-feu. Ce que l’accord a clairement confirmé c’est qu’une telle séparation est impossible puisque les éléments d’Al-Qaïda représentent le pilier des forces par procuration employées par les États-Unis dans sa guerre pour le changement de régime en Syrie.

La réticence de Moscou à accepter un nouvel accord de cessez-le-feu est également liée aux progrès indéniables réalisés par les forces gouvernementales syriennes à Alep, où se trouve le dernier bastion des milices islamistes dans une grande agglomération. Leur défaite signalera un revers stratégique dans la guerre de cinq ans et demi pour le changement de régime.

Voilà ce qui motive la rhétorique américaine de plus en plus hystérique, ainsi que la pression croissante au sein de l’armée américaine et des services de renseignement pour une escalade qualitative de l’intervention américaine en Syrie. Ces couches voient un tel revers non seulement comme une débâcle pour l’intervention américaine en Syrie, mais comme une tendance plus large de la part de la Russie et la Chine de bloquer la marche de l’impérialisme américain pour affirmer son hégémonie mondiale.

Le président Barack Obama serait prêt à réunir son Conseil national de sécurité complet ce week-end pour examiner les propositions d’une escalade militaire en Syrie. Selon les responsables du gouvernement cités dans les médias, des frappes américaines de missiles de croisière contre des cibles gouvernementales syriennes et la fourniture d’armes plus sophistiquées aux rebelles, y compris des missiles sol-air tirés à l’épaule, ont été proposées, avec le soutien de l’état-major interarmées et de l’Agence centrale de renseignement (CIA).

La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères Maria Zakharova a déclaré dans une interview télévisée vendredi que la décision de Moscou de déployer une batterie de systèmes de défense antimissile S-300 à la base navale russe à Tartous a été prise en réponse aux annonces de Washington que des frappes aériennes américaines étaient en cours de préparation.

La veille, le porte-parole du ministère de la Défense russe le Major-Général Igor Konashenkov a lancé une mise en garde contre l a prise pour cible des forces gouvernementales syriennes par les États-Unis. « Je recommande à nos collègues à Washington de peser prudemment les conséquences possibles de la réalisation de ces plans », a-t-il dit.

Le porte-parole du Pentagone Peter Cook, a rejeté l’avertissement, disant aux journalistes : « Nous allons continuer à mener nos opérations comme nous l’avons fait depuis des mois en Syrie, et nous continuerons de le faire, tout en prenant toutes les mesures possibles dont nous avons besoin pour assurer la sécurité de nos pilotes d’avion ».

Avec des signes croissants que les États-Unis et la Russie, les deux principales puissances nucléaires du monde, pourraient être au bord d’une confrontation militaire en Syrie, Washington a encore intensifié les tensions avec la publication vendredi d’une déclaration officielle du directeur du renseignement national et du Department of Homeland Security (ministère de l’Intérieur), alléguant que le gouvernement russe était responsable du piratage des ordinateurs du Comité national démocrate et d’autres entités politiques, des actions « destinées à s’immiscer dans le processus électoral américain ».

Tant le Parti démocrate que les responsables du gouvernement ont répété les accusations non fondées que ce piratage avait été ordonné par le gouvernement du président Vladimir Poutine. Ces allégations ont servi à détourner l’attention du contenu divulgué des e-mails, qui a démontré que la direction du Parti démocrate avait cherché à truquer le processus des primaires pour assurer la victoire d’Hillary Clinton contre son rival pour l’investiture présidentielle, Bernie Sanders.

La conclusion formelle de la responsabilité russe, qui n’a été étayée par aucune preuve, pourrait bien conduire à une nouvelle série de sanctions américaines contre Moscou.

En même temps, dans ce qui constituait un avertissement indubitable et effrayant à l’égard de la Russie, l’US Air Force a rapporté jeudi un exercice organisé plus tôt ce mois-ci à la zone d’essai de Tonopah dans le Nevada, où deux bombardiers furtifs Spirit B-2A avaient largué deux armes nucléaires B61, sans leurs ogives.

« L’objectif principal de l’essai en vol est d’obtenir la fiabilité, la précision, et les données de performance dans des conditions opérationnelles représentatives », a expliqué la National Nuclear Security Administration, NNSA (l’Autorité de Sécurité nucléaire nationale des États-Unis) concernant cette répétition pour une guerre nucléaire.

(Article paru en anglais le 8 octobre 2016)

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