Les pertes civiles montent dans l’offensive contre Mossoul

L'offensive dirigée par Washington pour reprendre Mossoul de l'Etat islamique (EI) fait de plus en plus de morts et de blessés parmi les civils irakiens, piégés dans la ville, qui craignent les représailles à la fois de l’EI et des milices fidèles à Bagdad.

Selon Abdul-Ghani Asadi, le chef du contingent antiterroriste de l'armée irakienne, l'artillerie irakienne s'était assez rapprochée de Mossoul lundi pour pilonner systématiquement la ville, autrefois la deuxième métropole du pays, et qui compte toujours plus d'un million d'habitants. L'EI l'a capturée en 2014, quand des troupes irakiennes formés par les Etats-Unis se sont enfuis devant l'avancée de combattants islamistes bien moins nombreux.

Si cette milice islamiste brutale et réactionnaire a pu tenir la ville si longtemps, c’est en grande partie à cause de l'hostilité populaire à Mossoul envers l'Etat central à Bagdad. Les forces gouvernementales, dominées par les chiites, ont systématiquement réprimé les sunnites à travers l'Irak.

L'offensive contre Mossoul aggrave ces divisions sectaires, produites par les destructions causées la guerre américaine lancée en 2003 et la stratégie de diviser pour mieux régner employée par Washington pendant huit années d'occupation. Les civils en font les frais.

Selon certains reportages, des civils sunnites, qui ont risqué la mort aux mains de l'EI en fuyant Mossoul, auraient été emprisonnés et torturés par les forces gouvernementales.

Mardi, le Washington Post a décrit une femme qui, avec ses six enfants, a fui Mossoul vers sud et les forces irakiennes.

Alors qu'elle « parlait dans un camp pour les nouveaux réfugiés au sud de Mossoul, surveillée par des hommes armés, sans électricité et sans nourriture dans sa tente, ses enfants jouant dans la poussière, son évasion semblait avoir été le prélude à une autre épreuve misérable ».

Dans le même camp, un groupe de bergers a dit « qu'ils avaient été battus par des soldats après s’être échappés de l'Etat islamique ».

Dans un autre camp à l'est de Mossoul, selon le Post, « on gardait des dizaines de jeunes qui avaient fui la ville et ses alentours derrière une porte cadenassée, séquestrés de familles qui se déplaçaient librement dans d'autres parties du camp. Certains y étaient depuis 40 jours sans aucune indication du moment où ils seraient autorisés à partir, ont-ils expliqué ».

«'Nous avons fui une prison pour nous retrouver dans une autre,' dit Mohamed Asad, qui était assis avec un groupe de jeunes dans une tente. »

Lors des offensives antérieures pour chasser l’EI de Falloujah et de Ramadi, des centaines de sunnites ont été massacrés, et les troupes gouvernementales irakiennes et les milices chiites ont maintes fois eu recours à la torture.

A Kirkouk – la ville riche en pétrole au sud de Mossoul où les Peshmergas kurdes contrattaquent l'EI, qui avait attaqué afin d'attirer des forces gouvernementales depuis Mossoul – on inflige des punitions collectives à l'importante population d’Arabes sunnites.

L'ONU et des habitants de la ville ont dit au New York Times que les responsables kurdes à Kirkouk « ont réagi en chassant des centaines de familles arabes qui y cherchaient refuge ».

« Des habitants arabes de Kirkouk interviewés mardi ont rapporté que des agents de sécurité kurdes armés avaient enlevé les familles pour les forcer à regagner les camps », écrit le Times. « Selon eux, plusieurs maisons ont également été détruites, dans ce qui semblait être une tentative méthodique de chasser autant d'Arabes que possible ».

A Kirkouk et à Mossoul, l'offensive soutenue par Washington menace de déclencher une guerre sectaire qui impliquerait les puissances régionales, dont la Turquie et l'Iran.

Des informations émergent également de Mossoul, selon lesquelles l'EI organiserait des représailles brutales contre ceux qu'ils soupçonnent de contester son pouvoir.

A Genève, le porte-parole de l'ONU sur les droits de l’homme Rupert Colville a dit que les forces irakiennes avaient découvert les corps de 70 civils, criblés de balles, à Tuloul Naser, près de Mossoul, le 20 octobre. 50 anciens policiers détenus à l'extérieur de la ville auraient également été massacrés.

Dans un incident signalé dans un autre village, Safina, 15 civils ont été assassinés et leurs corps jetés dans la rivière ; six hommes attachés à un véhicule avaient été traînés à travers le village, afin de terroriser la population.

Selon Colville, l’EI a également abattu trois femmes et trois filles et blessé quatre autres enfants, quand ils ont pris du retard au cours d'un déplacement forcé.

Vu le passé de l’EI, ces informations sont très crédibles, comme celles selon lesquelles l'EI utilise les civiles comme « boucliers humains ». Le fait qu'elles sont largement rapportées rend d'autant plus frappant le silence que font les médias sur les atrocités similaires commises par les « rebelles » soutenus par Washington en Syrie, les milices liées à Al Qaïda tout à fait semblables à l'EI.

Cela fait longtemps que les médias adoptent la pratique de deux poids, deux mesures. L'EI ne posait aucune problème à Washington avant qu'il n'envhaisse une grande partie de l'Irak, dévoilant au grand jour la dégenerescence de l'Etat bâti par les Etats-Unis dans ce pays.

Plusieurs reportages suggèrent que l'un des objectives de Washington dans l'offensive actuelle contre Mossoul serait de pousser les combattants de l’EI vers la Syrie pour qu'ils y continuent de combattre le régime du président syrien, Bachar al-Assad.

Sheikh Abdullah Alyawer, un chef tribal à Rabia, à la frontière syrienne, a dit à CNN que des centaines de combattants de l’EI traversaient la frontière avec leurs familles à un endroit contrôlé par l’EI à Ba'aaj, au sud de Sinjar.

Ceci confirmerait les accusations formulées par Damas et Moscou, selon lesquelles les Etats-Unis et leurs alliés laissent ouvert un couloir à l'ouest de Mossoul volontairement, afin de faciliter la fuite des combattants islamistes vers la Syrie. Ceci renforcerait les forces islamistes qui servent de truchement à l'OTAN dans leur guerre pour renverser Assad.

Lors d'une réunion des ministres de la défense de 13 pays à Paris, le président français François Hollande a souligné le transfert de combattants de l’EI de Mossoul assiégée à Raqqa en Syrie.

Le commandement militaire russe a déclaré mardi qu'il surveillait la frontière irako-syrienne et se tenait prêt à mener des frappes contre les forces de l’EI. Une telle intervention mettrait à mal tous les objectifs des États-Unis et augmenterait encore le danger d'une confrontation entre les deux principales puissances nucléaires.

Dans un éditorial mardi sur Mossoul, le Wall Street Journal a souligné l'un des principaux objectifs de Washington en envoyant des milliers de soldats américains appuyer l'offensive.

« Vaincre l'EI à Mossoul est un intérêt américain vital, mais la seule façon pour le prochain gouvernement d’empêcher une résurgence de l’EI ou la domination iranienne de la région est d'envoyer plusieurs milliers de soldats américains à long terme en Irak, à la fois en tant que force de réaction rapide régionale et pour exercer une pression politique sur l'Irak », affirme l'éditorial. En clair, la bataille pour Mossoul n'est qu'un préparatif pour des guerres beaucoup plus larges, au Moyen-Orient et au-delà.

(article paru en anglais le 26 octobre 2016)

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