Washington a mis fin aux pourparlers sur la Syrie, Le risque d’un affrontement avec la Russie se développe

Dans la foulée de la rupture des pourparlers bilatéraux avec Moscou sur les efforts pour parvenir à une trêve et à un règlement politique en Syrie, l’Administration Obama aurait convoqué une réunion hier pour envisager une escalade de l’intervention militaire des États-Unis dans ce pays ravagé par la guerre.

Le soi-disant Comité des dirigeants auquel participeront les Secrétaires d’État et de la défense, le Président de l’état-major interarmées et le Directeur de la CIA ainsi que de hauts responsables de la Maison-Blanche a été convoqué au milieu d’une escalade de plus en plus dangereuse des tensions entre les États-Unis et la Russie, les deux plus grandes puissances nucléaires du monde.

Le Washington Post a rapporté mardi que la réunion examinera les propositions classées secrètes qui incluent « le bombardement des pistes des forces aériennes syriennes en utilisant des missiles de croisière et d’autres armes à longue portée tirés depuis les avions de la coalition et des navires, ainsi que d’autres actes d’agression militaire ». 

Un responsable de l’Administration qui n’a pas été nommé est cité par le Post en rapportant que : afin d’apaiser les inquiétudes de la Maison-Blanche sur le lancement de telles attaques militaires directes contre un autre pays sans l’autorisation du Conseil de sécurité des Nations Unies, il a été proposé que les frappes soient menées « secrètement et sans reconnaissance publique ».

Selon le responsable cité par le Post, la CIA et les chefs d’état-major ont déjà « exprimé leur soutien à ces options “cinétiques”. Un autre fonctionnaire anonyme de la haute administration a déclaré au Post que le Pentagone et la CIA soutenaient une telle option militaire parce que « la chute d’Alep porterait atteinte aux objectifs de lutte contre le terrorisme de l’Amérique en Syrie ».

C’est bien sûr un prétexte de propagande pour le lancement d’une autre intervention militaire américaine directe au Moyen-Orient. Ce que l’appareil militaire et des renseignements américains craignent vraiment, c’est que l’offensive du gouvernement syrien soutenu par la Russie pour prendre l’est d’Alep privera les prétendus « rebelles », qui ont été armés, financés et payés directement par la CIA et les alliés régionaux des Américains – Turquie, l’Arabie saoudite et Qatar – de leur dernier bastion dans les grands centres de population de l’ouest Syrie. Cela signifierait un renversement accablant dans ces cinq ans de guerre pour un changement de régime orchestré par Washington.

L’affirmation, selon laquelle cela « porterait atteinte aux objectifs de lutte contre le terrorisme de l’Amérique », ne fait que souligner que la fraude de la guerre américaine contre le terrorisme. La force de combat principale à l’intérieur d’Alep se compose l’affilié syrien de longue date d’Al-Qaïda et des milices islamistes alliées.

Alors que l’article du Post suggère que le président Barack Obama va probablement rejeter la proposition pour une action militaire, la pression conjuguée de la CIA et du commandement militaire pourrait bien forcer un changement de politique. Une réunion plénière du Conseil de sécurité nationale, y compris la participation probable d’Obama, est attendue dès la semaine prochaine, quand une décision serait probablement prise.

En même temps, le ministère russe de la Défense a annoncé mardi qu’il renforce les systèmes russes de défense aérienne à l’intérieur de la Syrie en déployant une batterie avancée de missiles surface-air S-300 pour protéger la base navale russe dans la ville portuaire syrienne de Tartous. Étant donné que les « rebelles » islamistes n’ont pas de forces aériennes, de tels systèmes d’armes sont destinés à augmenter le coût des frappes américaines sur les positions du gouvernement russe et syrien.

La rupture des pourparlers pour un cessez-le-feu en Syrie et les escalades militaires menaçantes par les deux parties ne sont pas uniquement le produit des violations individuelles de la trêve. Du côté américain, celles-ci étaient graves, avec les milices soutenues par les États-Unis entreprenant des centaines d’attaques. Encore plus décisif fut le bombardement américain le 17 septembre d’un avant-poste du gouvernement syrien près de la ville de Deir ez-Zor, qui a tué et blessé près de 200 soldats. Alors que le Pentagone a prétendu que ce raid aérien était un accident, la Syrie a taxé le raid d’intentionnel. Il a servi à faire sauter l’accord de cessez-le-feu et empêcher la mise en œuvre d’un accord de ciblage conjoint et le partage des renseignements avec la Russie auquel commandement militaire américain s’était ouvertement opposé.

Derrière ces affrontements sur le cessez-le-feu sont les objectifs diamétralement opposés poursuivis en Syrie par l’impérialisme américain d’une part et le gouvernement russe de Vladimir Poutine de l’autre. Washington intervient en Syrie – non pas de lutter contre le terrorisme ou de défendre les droits de l’homme – mais de poursuivre son entraînement de longue date pour affirmer l’incontestable hégémonie américaine sur le Moyen-Orient et ses vastes ressources énergétiques, et de refuser l’accès à la fois à la Russie et à la Chine. Il est prêt à prolonger l’effusion de sang aussi longtemps que nécessaire afin de provoquer un changement de régime et empêcher la Russie de consolider un gouvernement sous l’actuel président Bachar al-Assad, ou un successeur qui serait amendable aux intérêts russes.

Pour sa part, le gouvernement Poutine voit la Syrie dans le cadre d’une lutte plus large contre l’offensive des États-Unis pour encercler militairement la Russie. Il craint qu’une opération de changement de régime américain qui réussirait en Syrie serve de tremplin vers une intervention directe en Russie, y compris par le déchaînement des combattants islamistes financés par la CIA recrutés de la région russe du Caucase. Un régime client soutenu par les États-Unis à Damas pourrait contribuer à canaliser ces forces séparatistes, déjà formées sur le champ de bataille syrien et de retour en Russie, pour servir de forces par procuration aux occidentaux dans une campagne pour déstabiliser et, finalement, démembrer la Fédération de Russie.

Bien qu’il y ait eu un élément de défense dans l’intervention de Moscou, dans l’analyse finale, elle vise à défendre non pas les intérêts des masses en Russie ou en Syrie, mais plutôt ceux de l’oligarchie dirigeante qui a saisi sa richesse et sa puissance dans les opérations criminelles qui ont accompagné la restauration par la bureaucratie stalinienne du capitalisme et la dissolution de l’Union soviétique il y a un quart de siècle. Les méthodes en train d’être utilisées en Syrie, y compris dans le siège sanglant d’Alep, reflètent ces intérêts de classe là.

En même temps, la dénonciation de la part du gouvernement américain de la perte de vies civiles dans le bombardement russo-syrien d’Alep est tout à fait hypocrite. Après 15 ans de guerre d’agression au Moyen-Orient, au prix de plus d’un million de décès et de la destruction des sociétés entières, Washington est le dernier à pouvoir donner des leçons sur les « crimes de guerre ».

De plus, il y a de nombreuses indications que l’armée américaine se prépare à des opérations qui se révéleront aussi sanglantes et cuisantes que le siège actuel d’Alep. Des responsables de l’ONU estiment que jusqu’à un million de personnes peuvent être chassée de leurs foyers dans une offensive irakienne soutenue par les Américains, attendus dès le mois prochain, contre la ville irakienne de Mossoul, qui est sous le contrôle de l’État islamique (ÉI).

L’allié de Washington dans la région, la Turquie membre de l’OTAN, a émis des avertissements publics au sujet de la prochaine offensive de Mossoul. Le Premier ministre turc Binali Yildirim a décrit les plans américains comme « dangereux », ajoutant : « Les plans de nos partenaires pour l’opération de Mossoul ne sont pas transparents ». Yildirim a averti que l’utilisation des chiites et des milices kurdes pour prendre la ville « conduirait à l’attisement d’un nouveau feu dans la région ».

Les frictions entre Ankara et Washington se sont développées par rapport à l’utilisation des États-Unis des milices séparatistes kurdes syriennes comme leur principale force mandataire dans le nord de la Syrie. La Turquie est déterminée à repousser les forces kurdes et les empêcher de consolider un territoire autonome à la frontière de la Turquie.

Le Premier ministre Yildirim a promis que l’opération « Bouclier de l’Euphrate » de la Turquie, qui a envoyé des troupes en Syrie à partir de la fin d’août, continuerait afin de repousser les forces kurdes soutenues par les États-Unis et de se tailler une « zone de sécurité » de 5000 kilomètres carrés autour de El-Bab dans le nord de la Syrie.

Par ailleurs, un autre responsable turc, le ministre de la Défense, Fikri Isik, a commenté mercredi que, dans le cas d’une importante confrontation américano-russe en Syrie, « la Turquie protège toujours ses propres intérêts ».

Le président russe Vladimir Poutine doit rencontrer son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, en Turquie le 10 octobre, la première visite depuis que des avions de combat turcs ont abattu un avion russe sur la frontière turco-syrienne en novembre 2015.

Les tensions de la Turquie avec Washington et la poursuite par la Turquie de ses propres ambitions régionales en Syrie ne servent qu’à accroître les tensions géopolitiques qui pourraient transformer la guerre syrienne pour un changement de régime dans une nouvelle guerre mondiale.

(Article paru d’abord en anglais le 5 octobre 2016)

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