La Turquie prépare une action conjointe avec des États-Unis en Syrie

Le gouvernement turc est prêt à mener un assaut conjoint avec les États-Unis sur la « capitale » de l’État islamique (ÉI) à Raqqa en Syrie, a déclaré le président Recep Tayyip Erdogan aux médias turcs.

Erdogan a fait ces remarques à des journalistes à bord de son avion au retour du sommet du G20 à Hangzhou, en Chine, où il a déclaré que le président américain Barack Obama avait proposé l’action commune.

« Obama veut notamment faire quelque chose ensemble [avec nous] à propos de Raqqa », a déclaré M. Erdogan, selon le quotidien Hurriyet. « Nous lui avons dit que ce n’est pas un problème pour nous. » Il a ajouté que des commandants militaires de haut niveau des deux parties devraient se rencontrer et « alors ce qui est nécessaire sera fait. »

La Turquie a lancé ce qu’elle a baptisé « l’Opération Bouclier de l’Euphrate » il y a deux semaines, avec l’envoi de troupes et de chars à l’autre côté de sa frontière avec la Syrie pour attaquer les deux positions de l’ÉI et celles des séparatistes kurdes syriens du Parti d’union démocratique kurde (PYD) en Syrie et son aile armée, les Unités de protection du peuple (YPG). Les forces kurdes ont été utilisées comme principales forces par procuration du Pentagone pour les opérations terrestres contre l’ÉI, recevant des armes, du financement, de la formation et du soutien des unités américaines d’opérations spéciales sur le terrain en Syrie.

La Turquie a soutenu ses propres « rebelles », composés de milices turkmènes et Arabes islamistes sunnites, pour attaquer non seulement l’ÉI, mais aussi pour repousser les forces kurdes hors des zones qu’ils avaient arrachées à l’ÉI avec le soutien américain. Dès le début de l’intervention, il a été évident que ces forces sont les cibles principales de la Turquie. Ankara craint que si les succès militaires continuent, les YPG pourraient mener à une consolidation d’une région autonome kurde à sa frontière et encourager le mouvement séparatiste kurde propre à Turquie, le PKK, avec lequel le mouvement kurde syrien est politiquement aligné.

Le vice-premier ministre de la Turquie, Nurettin Canikli, a déclaré aux médias que les forces turques avaient tués jusqu’à présent un total combiné de 110 combattants de l’ÉI et des Kurdes. Trois soldats turcs ont été tués dans une attaque à la roquette par l’ÉI mardi, tandis qu’un autre est mort au début de l’offensive dans des affrontements avec l’YPG.

Le responsable turc a ajouté que, après avoir obtenu la zone frontalière, les forces turques pourraient pousser plus loin en Syrie.

Il semble que c’est ce que l’armée turque prépare. Des sources syriennes ont rapporté mercredi que des avions de combat turcs ont frappé des cibles dans la ville de Al-Bab tenue par l’ÉI, qui est à 180 kilomètres au nord-est sur la route menant à Raqqa. Au moins 14 civils auraient été tués dans les bombardements turcs.

Une bataille pour le contrôle d’Al-Bab pourrait se révéler particulièrement sanglante et impliquer plusieurs camps en plus de l’ÉI. Les forces turques et les milices islamistes soutenues par les Turcs avancent sur la ville depuis l’ouest, l’armée syrienne soutenue par la Russie est à distance de frappe depuis le sud et les forces kurdes soutenues par les États-Unis se rapprochent depuis le nord et l’est. L’objectif principal de la Turquie semble être d’empêcher la milice kurde de prendre Al-Bab, ce qui leur permettrait d’unir leur principale enclave dans le nord-est avec le territoire Syrien qu’ils contrôlent dans le nord-ouest.

Les responsables turcs parlent déjà de l’incursion la plus récente qui a taillé une « zone de sécurité de facto » qui diviserait les zones contrôlées par les kurdes syriens dans l’est et l’ouest de la zone frontalière et permettrait à la Turquie d’occuper une partie du territoire syrien de façon plus ou moins permanente.

Un porte-parole du YPG a dit que le groupe avait demandé à des forces américaines de prendre position dans leur défense contre l’offensive turque. « Ils ont répondu qu’une décision sera prise à Washington », a-t-il dit.

Pendant ce temps, le ministère russe des Affaires étrangères a publié un communiqué mercredi se déclarant préoccupé par l’offensive de la Turquie en Syrie. « Cela remet en question la souveraineté et l’intégrité territoriale de la République arabe syrienne », a-t-il dit, ajoutant : « Nous demandons à Ankara d’éviter de prendre toute mesure qui pourrait déstabiliser davantage la situation en Syrie ». Il a souligné que l’opération turque avait été lancée sans l’autorisation du gouvernement syrien ni l’autorisation de l’Organisation des Nations Unies.

La Turquie a renouvelé les relations avec Moscou le mois dernier dans le sillage du coup d’État avorté du 15 juillet, qui a été largement considéré comme ayant été soutenu par Washington. La désescalade des tensions a joué un rôle important en libérant la main d’Ankara afin de lancer son opération syrienne. Après un incident en novembre de l’année dernière dans lequel des avions de combat turcs ont tendu une embuscade et abattu un jet russe dans la zone frontalière, les relations ont été brisées et la menace d’un conflit armé majeur entre la Russie et la Turquie, membre de l’alliance de l’OTAN menée par les États-Unis, ont augmenté considérablement.

Le gouvernement Erdogan semble maintenant disposé à poursuivre ses propres intérêts en montant Washington et Moscou l’un contre l’autre, leurs objectifs stratégiques en Syrie – sous le vernis d’une lutte commune contre le terrorisme – étant diamétralement opposés.

Le ministre américain des affaires étrangères, John Kerry, et le russe, Sergueï Lavrov, se réuniront à Genève, jeudi et vendredi, à indiqué le ministère russe des Affaires étrangères. Washington a exigé la mise en œuvre d’un cessez-le-feu immédiat, en particulier dans la région d’Alep, où une offensive du gouvernement a fait battre en retraite des milices liées à Al-Qaïda que Washington et ses alliés ont soutenues dans la guerre longue de cinq ans pour un changement de régime en Syrie.

« On ne va pas accepter un accord qui ne répond pas à nos objectifs de base », a déclaré le conseiller adjoint de la sécurité nationale américain, Benjamin Rhodes, aux journalistes lors d’une escale par le président Obama au Laos.

Ces « objectifs » ont été énoncés mercredi dans un « plan de transition » de 25 pages émis par le prétendu « Haut comité des négociations », un front représentant les milices islamistes et les politiciens exilés syriens alignés avec divers pouvoirs et leurs agences de renseignement qui a été concocté par la monarchie saoudienne. Elle exige l’éviction de « Bachar al-Assad et sa clique » dans les six mois et l’installation d’un « organe de transition » qui gouvernerait le pays pendant 18 mois précédant des élections.

Comment sélectionnerait-on un tel organisme ? Cela n’est pas spécifié, mais l’objectif transparent est d’imposer un régime à Damas qui serait aligné avec Washington et ses alliés, réalisant ainsi les visées impérialistes des États-Unis de favoriser leur hégémonie sur le Moyen-Orient riche en pétrole et d’accroître l’isolement de la Russie et de la Chine.

L’insistance sur ces objectifs associés à la faiblesse croissante des forces soutenues par les États-Unis sur le terrain en Syrie et la nouvelle intervention agressive de membre de l’OTAN en Turquie créent une situation extrêmement volatile dans laquelle la menace croit, d’heure en heure, vers une confrontation directe entre les deux puissances nucléaires majeures du monde, les États-Unis et la Russie.

(Article paru d’abord en anglais le 8 septembre 2016)

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