Qu’est-ce qu’il y a derrière la course à la guerre de l’Allemagne contre la Syrie ?

Suite à la déclaration de soutien du gouvernement Merkel pour l’attaque américaine vendredi contre la Syrie, les médias allemands ont démarré au cours du week-end pour une massive extension de l’agression contre ce pays.

Dans l’édito de son édition actuelle Der Spiegel exige : « Ce qui est nécessaire, c’est plus qu’un simple timide réarmement des rebelles ou des négociations de paix. Pourquoi ne pas adresser un avertissement militaire à Assad en bombardant par exemple les pistes d’atterrissage de sa force aérienne ? Pourquoi ne pas mettre en place des zones de protection pour les civils ? Pourquoi ne pas lancer une guerre cybernétique contre Damas ? » Il existe « d’autres alternatives au déploiement militaire, des alternatives à une escalade incontrôlée. » Elles sont « en partie risquées, mais pas impensables. »

Dans son édition de samedi, le rédacteur en chef du Süddeutsche Zeitung, Kurt Kister, a plaidé en faveur de l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne. L’Union européenne pourrait « sérieusement tenter de faire s’asseoir autour d’une même table les partenaires récalcitrants de la Russie et des États-Unis ». Ensuite, a-t-il ajouté : « Les premières démarches – des zones de sécurité, des interdictions de vols, des convois d’aide sécurisés – sont possibles. L’Allemagne n’y jouerait aucun rôle indépendant, mais elle pourrait être une force motrice au sein de l’UE. »

Les journaux qui ont critiqué Trump l’ont fait d’un point de vue encore plus à droite. Le correspondant étranger de Die Welt, Ansgar Graw, a réclamé que Trump bombarde la Corée du Nord en plus de la Syrie. Il écrit : « Un coup de semonce très clair contre Assad n’a que trop tardé. De même la réaction au programme de missiles de Pyongyang ne doit pas se limiter à une “démonstration de force”, une simple preuve de [notre] puissance. Le fait de réfléchir à une action militaire préventive contre la Corée du Nord n’est pas seulement légitime, c’est nécessaire. »

Graw a critiqué le président des États-Unis parce qu’il manquerait d’une véritable stratégie de guerre, mais de jeter par contre des bombes en réaction à ses mauvais scores de popularité dans les sondage d’opinion. « Nous nous féliciterions d’un engagement accru des États-Unis en Syrie, ainsi qu’en Corée du Nord, si l’on était sûr que les deux cas étaient insérés dans des stratégies claires. Mais la crainte demeure que ce qui importe pour un Trump désespéré c’est juste d’essayer de redorer son blason. »

Les journalistes et les écrivaillons qui réclament à cor et à cri la guerre avec la Syrie et la Corée du Nord sont parfaitement conscients des conséquences catastrophiques qu’elles entraîneront. Kister relate l’attaque militaire en Syrie qu’il soutient : « Cette action symbolique violente recèle néanmoins le risque d’une escalade entre la Russie et les États-Unis. » Le danger est grand, « parce que plusieurs milliers de soldats russes sont stationnés en Syrie. »

Le magazine Der Spiegel commente : « Mais, si Trump veut vraiment mettre en place une zone d’exclusion aérienne ou une zone de protection pour les civils, cela sera difficilement réalisable par voie aérienne. Ceci nécessiterait sans doute un nombre important de soldats au sol et une massive opération militaire et logistique. Lors de sa campagne électorale, Trump s’était clairement opposé à de tels plans en mettant en garde contre une « Troisième Guerre mondiale. » Et effectivement, même dans le cas d’une frappe militaire limitée, il y a un risque de confrontation entre l’armée de l’air américaine et les avions de chasse et des dispositifs antiaériens russes. »

Qu’y a-t-il derrière la campagne hystérique menée par les médias allemands pour une guerre qui pourrait rapidement dégénérer en Troisième guerre mondiale ? La réponse réside dans la crise profonde du système capitaliste. Tout comme le gouvernement Trump, la classe dirigeante allemande réagit à l’effondrement des relations économiques et politiques d’après la Seconde Guerre mondiale, à la désintégration de l’UE et à la polarisation sociale croissante par la course à la guerre et au réarmement.

Déjà en 2014, le Parti de l’égalité socialiste (Sozialistische Gleichheitspartei, SGP) écrivait dans une résolution à propos de la « résurgence de l’impérialisme allemand » : « Le renouveau du militarisme est la réponse de la classe dirigeante aux tensions sociales explosives, à l’aggravation de la crise économique et aux conflits croissants entre les puissances européennes. Son objectif est la conquête de nouvelles sphères d’influence, de marchés et de matières premières sur laquelle repose l’économie allemande très tributaire des exportations ; la prévention d’une explosion sociale en orientant les tensions sociales contre un ennemi extérieur ; et la militarisation de la société dans son ensemble, y compris le développement d’un dispositif de surveillance et de répression sur tout le territoire national, la suppression de l’opposition sociale et politique et la mise au pas des médias. »

Si les politiciens et les médias allemands emboîtent à présent le pas aux États-Unis contre la Syrie en allant jusqu’à exiger une agression militaire encore plus grande, ils ne le font pas en tant que partisans de la politique belliciste de Trump, mais pour promouvoir les propres objectifs de l’Allemagne. Afin de transformer une fois de plus l’Allemagne en une puissance militaire de premier plan en Europe – une puissance capable d’asseoir ses intérêts économiques et géostratégiques en recourant à des mesures militaires et, le cas échéant, militairement contre ses rivaux – l’élite dirigeante intensifie son offensive en faveur de la guerre et du militarisme.

Sous le titre « La guerre froide vous donne le bonjour », le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung rapporte que le ministère de la Défense prévoit une mise à niveau massive de ses forces militaires. Outre l’annonce de la semaine dernière comme quoi une nouvelle unité serait créée pour lutter contre la cyberguerre, le gouvernement projette également « d’établir trois divisions de campagne entièrement équipées et composées principalement de formations de blindés et d’infanterie mécanisée. » Leur force pourrait aller « de 10 000 à 30 000 soldats. » La force de l’artillerie devrait être portée de trois bataillons actuellement à 14 bataillons. Les experts militaires estiment que « les besoins supplémentaires ne pourraient être satisfaits à long terme qu’en introduisant le service militaire obligatoire pour les hommes et les femmes. »

Le week-end dernier, le quotidien économique Handelsblatt a consacré un dossier spécial à « La nouvelle course à l’armement. » Le compte rendu mentionne que la Bundeswehr (armée allemande) se dotera de 100 autres chars de combat Leopard. La nouvelle acquisition fait « partie d’une gigantesque mise à niveau qui engloutira quelque 130 milliards d’euros d’ici 2030. » En plus d’agrandir la marine, de nouveaux avions de chasse, des avions ravitailleurs, des sous-marins et des bâtiments de guerre doivent être acquis. » À Berlin, « on débat de l’acquisition d’armes nucléaires, une “bombe D” [Deutschland]. »

à lire également : The return of German militarism and the tasks of the Partei für Soziale Gleichheit (Socialist Equality Party of Germany, Resolution of the Special Conference Against War of the Partei für Soziale Gleichheit [en anglais]

(Article original paru le 11 avril 2017)

 

 

 

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