Paris réunit Fayez al-Sarraj et Haftar pour un cessez-le-feu en Libye

Le ministre des Affaires Étrangères du gouvernement Macron, Jean-Yves Le Drian a organisé une rencontre en région parisienne avec Fayez al-Sarraj chef du gouvernement de Tripoli et son rival le maréchal Khalifa Haftar, homme fort de l'est libyen pour négocier un cessez le feu et la préparation d'élections à une date indéterminée.

Selon les sources officielles françaises, Sarraj et Haftar auraient tous les deux indiqué leur soutien à l'accord voulu par Paris. Toutefois, les chances que cet accord mettra fin aux combats en Libye semblent presque nulles. Les deux dirigeants libyens ont d'ailleurs refusé de signer l'accord.

Le gouvernement d'unité nationale libyen de Fayez al-Sarraj soutenu par l'ONU n'a pas su régler les conflits sanglants entre les différentes milices mobilisées par l'OTAN en 2011 dans sa guerre pour renverser le colonel Mouammar Kadhafi. Ces milices ont enfoncé le pays dans une guerre civile dévastatrice et provoqué une crise migratoire entrainant la mort de milliers de réfugiés en mer Méditerranée depuis 2011.

Paris soutient officiellement le régime Sarraj mais en même temps soutient le General Haftar, autoproclamé chef de l'état major dans l'est du pays, où sont présentes les forces françaises. Haftar maintient sa volonté de constituer sa propre armée depuis la chute du régime Kadhafi.

La rencontre organisée par Le Drian et soutenue par le nouveau représentant spécial de l'ONU pour la Libye, Ghassan Salamé, est une tentative par Paris de faire reconnaître la légitimité de leur mandataire actuel, Haftar, par le pouvoir central à Tripoli et par les milices de Misrata.

La guerre civile provoquée par la guerre de 2011 attise également les tensions inter-impérialistes. La rencontre organisée par la France est mal vue par l'Italie, ancienne puissance coloniale et premier investisseur en Libye. Selon RFI, « son ministre de l'Intérieur, Marco Minniti, est fortement impliqué dans ce dossier et Rome a des forces sur le terrain, très précisément à Misrata. »

« La France ne doit pas répéter en Libye les erreurs commises par le passé », a commenté Sandro Gozi, secrétaire d'Etat italien aux Affaires européennes à RFI. Malgré le coup de fil de Le Drian avec Rome lundi matin, Gozi estime que l'engagement français en Libye « doit être inclusif » et s'appuyer sur « une relation spéciale » avec l'Italie.

Ces tensions franco-italiennes liées aux rivalités des différentes milices en Libye sont le produit du caractère criminel et sanglant de la guerre de l'OTAN en Libye en 2011, qui était elle-même le point culminant de décennies d'intrigues impérialistes visant la Libye.

La trajectoire de Haftar souligne le caractère réactionnaire de l'intervention impérialiste en Libye. C'est un ancien officier supérieur de l’armée libyenne devenu agent de la CIA à la fin des années 1980. Il fit défection à l'armée libyenne pour rejoindre le Front National de Salut Libyen (FNSL), la principale force d’opposition à Kadhafi, qui avait le soutien de la CIA.

Il organisa sa propre milice qui opéra au Tchad jusqu’à la déposition d’Hissène Habré en 1990 par Idriss Déby, son rival appuyé par la France. En 1995-6, il a participé à une rébellion armée contre Kadhafi. Selon le Washington Post du 23 mars 1996, qui adopte une transcription alternative de son nom, cette rébellion avait pour « chef le colonel Khalifa Iftar [et est] une organisation du type 'contra' (rebelles anti-communistes de droite au Nicaragua aux années 1980) basée aux Etats-Unis et appelée Armée Nationale Libyenne. »

Le général putchiste, soutenu par la France, viserait à imiter le général Al Sissi. Celui-ci a mis en place une dictature militaire en Egypte après le coup d'état en 2013, qui réprima l'opposition de la classe ouvrière par l'assassinat et la torture de masse. La France voit donc Haftar comme étant le plus capable d'assurer la stabilité de la Libye et donc ls intérêts de l'impérialisme français en Libye.

Après que Haftar ait proclamé la victoire de son Armée Nationale Libyenne à Benghazi, l'ONU s’inquièt du sort d’autres prisonniers en Libye, qui risquent la torture et les exécutions sommaires.

Sous prétexte de défendre une révolution qui ferait chuter le régime de Mouammar Kadhafi, l'OTAN a fourni une aide aérienne massive aux groupes islamistes liés à Al Qaïda. Ces groupes islamistes ont été les principales forces au sol de la guerre organisée par l'OTAN afin de mettre en place un régime fantoche et faire main basse sur un pays stratégique et riche et pétrole.

La Libye a ensuite servi de base aux alliés islamistes de la France, qui a permis l'envoi de forces islamistes pour mener une guerre sectaire en Syrie. Le Conseil National Libyen, l’organisation basée à Benghazi qui parle au nom des forces rebelles qui luttent contre le régime de Kadhafi en 2011, avait désigné Haftar pour diriger ses opérations militaires.

Le chaos en Libye souligne la faillite des forces de pseudo gauche comme le NPA ou Mélenchon qui ont tous soutenus la guerre impérialiste en Libye. Le NPA n'agissait pas seulement comme couverture de gauche à la guerre impérialiste menée par procuration par les islamistes ; il rencontrait les membres du CNT et participait à l'élaboration stratégique des guerres impérialistes.

L'alignement de la pseudo gauche sur les guerres impérialistes révèle le caractère de classe de ces organisations. Ils représentent les classes moyennes aisées qui tirent profit du pillage des ressources et de l'exploitation de la main d'oeuvre par les interventions militaires des puissances impérialistes.

Dès le début de la guerre, le NPA a présenté le Conseil national de transition (CNT) à Benghazi — comme des combattants « révolutionnaires » contre Kadhafi. À la veille des frappes aériennes britanniques et françaises le 19 mars 2011, le NPA a exigé que la France arme l’opposition libyenne. Dans un communiqué de presse de la veille, il écrivait : « Notre solidarité pleine et entière va au peuple libyen auquel il faudrait donner les moyens de se défendre, les armes dont il a besoin pour chasser le dictateur, conquérir la liberté et la démocratie ».

Alors que les frappes aériennes de l’OTAN tuaient des dizaines de milliers de civils et menaient finalement à la torture et au meurtre extrajudiciaire de Kadhafi, le NPA a salué le résultat comme une « bonne nouvelle », affirmant qu’une révolution avait été menée à bien. Il a déclaré : « La chute du dictateur Kadhafi est une bonne nouvelle. Le NPA est entièrement solidaire du processus révolutionnaire qui continue dans la région arabe ».

Mélenchon lui saluait les frappes de l'OTAN pour des raisons humanitaires : « Si le Front de gauche gouvernait le pays […] serions-nous intervenus directement ? Non. Nous serions allés demander à l’ONU un mandat. Exactement ce qui vient de se faire. Je peux appuyer une démarche quand l’intérêt de mon pays coïncide avec celui de la révolution. »

A l'annonce de la mort de Kadhafi, le NPA s’est enthousiasmé pour cette situation clamant que : «C’est une nouvelle vie qui s’ouvre pour le peuple libyen. La liberté, les droits démocratiques, l’utilisation des richesses dues aux ressources naturelles pour la satisfaction des besoins fondamentaux du peuple sont maintenant à l’ordre du jour ».

Le désastre provoqué par cette politique pro-impérialiste réactionnaire dure encore. L'accord sur un cessez le feu entre el Sarraj et Haftar ne mettra pas fin au chaos dans le pays, mais ne représente qu'une tentative de plus par les puissances impérialistes d'en saisir le contrôle.

Voir également:

Un instrument de l'impérialisme: le Nouveau parti anticapitaliste français soutient la guerre contre la Libye

[28 mars 2011]

France: La « gauche » petite-bourgeoise complote une intervention militaire en Syrie

[1 décembre 2011]

Loading