Le ministre britannique des affaires étrangères révèle les visées prédatrices de l’OTAN dans la guerre contre la Libye

Lors d’une réunion en marge de la conférence du Parti conservateur à Manchester mardi dernier, le ministre des Affaires étrangères Boris Johnson a clairement indiqué que les guerres britanniques en Libye et dans tout le Moyen-Orient et en Afrique du Nord n’ont rien à voir avec l’humanitarisme ou la lutte contre le terrorisme.

Répondant à une question sur sa récente visite en Libye et les conditions à Sirte, la ville déchirée par la guerre sur la rive nord libyenne, Johnson a déclaré que la ville pourrait devenir une destination touristique et commerciale de classe mondiale.

Il a déclaré : « Il y a un groupe de gens d’affaires britanniques, des gars merveilleux qui veulent investir à Syrte, sur la côte, où Kadhafi a effectivement été capturé et exécuté comme certains d’entre vous l’ont peut-être vu. »

« Et ils ont littéralement une vision de génie pour transformer Sirte, avec l’aide de la municipalité de Sirte, pour la transformer en une autre Dubaï. »

« Il ne reste qu’une chose à faire, dégager les cadavres et ils y seront. »

Sirte était la ville natale du dirigeant Mouammar Kadhafi et son dernier bastion avant sa défaite et sa torture et meurtre brutal aux mains des islamistes des forces par procuration de l’OTAN.

Ses remarques ont provoqué un torrent d’appels hypocrites pour sa démission ou son renvoi par la Première ministre Theresa May, y compris par les opposants pro-européens de Johnson au Parti conservateur. Emily Thornberry, ministre fantôme des Affaires étrangères du Parti travailliste, a qualifié ses commentaires de « incroyablement crasseux, insensibles et cruels ».

D’autres l’ont appelé à s’excuser pour sa « bévue » et l’ont condamné pour « son incapacité à fermé sa gueule ».

Ce qui a rendu les remarques de Johnson inacceptables, c’est qu’il a dit la vérité, dépourvue des paroles hypocrites habituelles, réservées aux discussions publiques plutôt que privées dans les milieux dirigeants.

Alexander Boris de Pfeffel Johnson, un homme qui ne connaît pas le mode silence, incarne l’arrogance de classe et le privilège social de l’élite politique britannique. Fréquemment mis en avant comme l’homme pour évincer Theresa May, il est classé comme l’une des créatures les plus répugnantes vomies par l’impérialisme britannique en plusieurs siècles.

Johnson a soigneusement cultivé une personnalité publique de bouffon jovial du Parti conservateur, quelqu’un qui n’a pas peur de « parler vrai », qu’il utilise pour articuler ses vues d’extrême droite. Quelques jours plus tôt, l’ambassadeur britannique au Myanmar a été contraint de l’arrêter à mi-phrase lorsqu’il récitait la Route de Mandalay de Rudyard Kipling dans le temple le plus sacré du pays.

Le poème comprend la déclaration : « Les cloches du temple, disent-elles / Reviens-toi soldat anglais. » La Grande-Bretagne colonisa le Myanmar, autrefois connu sous le nom de Birmanie, de 1824 à 1948 et a réprimé brutalement les luttes de libération successives.

Les propos de Johnson sur la Libye reflètent fidèlement la vraie nature de la guerre britannique pour le changement de régime en Libye. Thornberry a décrit la guerre contre la Libye en 2011 comme étant « moralement juste pour protéger les civils d’un dictateur impitoyable et l’action a été autorisée par l’ONU ». Elle est furieuse parce que Johnson a sapé dans les termes les plus crus toutes les tentatives de faire passer la guerre comme une intervention « humanitaire ».

L’opération de changement de régime orchestrée par les États-Unis a cherché à renforcer l’impérialisme en Afrique du Nord, qui fut ébranlé par le renversement des dictatures soutenues par les États-Unis en Égypte et en Tunisie. En invoquant la doctrine libérale impérialiste de « Responsabilité de protéger » (R2P), le Premier ministre britannique d’alors et conservateur David Cameron a joué un rôle majeur dans l’intervention de l’OTAN.

La participation de la Grande-Bretagne à la guerre libyenne, comme dans ses autres interventions en Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak et en Syrie et ailleurs, est en relation avec ses propres intérêts géostratégiques, économiques et financiers : ces pays – et d’autres – doivent être ouverts aux bonimenteurs et escrocs des entreprises et les banques britanniques. C’était encore une autre guerre pour le pétrole et le gaz.

L’année dernière, la commission parlementaire des Affaires étrangères a publié un rapport accablant révélant le raisonnement frauduleux de la guerre. Il a critiqué Cameron pour avoir affirmé sans preuve que Kadhafi était sur le point de mener un massacre de proportions génocidaires contre les manifestants à Benghazi.

Cameron avait poursuivi « une politique opportuniste de changement de régime », tout en disant au Parlement en mars 2011 que l’intervention n’était pas pour le changement de régime. Seulement un mois plus tard, Cameron a signé une lettre conjointe avec les présidents français et américain déclarant leur but de poursuivre « un avenir sans Kadhafi ».

Il a soutenu les soi-disant rebelles qui, tout le monde le savait, comprenaient les groupes terroristes islamistes. Parmi ces « rebelles » se trouvait Abdul Hakim Belhaj, qui avait combattu avec Al-Qaïda en Afghanistan et a été l’un des fondateurs du Groupe de lutte islamique libyenne (LIFG) qui a cherché à « transformer la Libye en un État islamique ».

Dans les années 1990, le gouvernement conservateur britannique a donné à lui et à d’autres membres du LIFG un sanctuaire à Londres et les a utilisés dans des complots pour assassiner Kadhafi. En 2004, le Premier ministre du Parti travailliste, Tony Blair, a fait un coup de théâtre en signant un accord avec Kadhafi qui a ouvert la Libye au géant pétrolier BP. Son gouvernement a collaboré avec la CIA dans son programme de détention et torture secrètes, menant à l’emprisonnement de Belhaj par le régime de Kadhafi.

En 2011, le gouvernement conservateur-libéral démocrate a redécouvert son utilité et a travaillé en étroite collaboration avec Belhaj, le LIFG et des groupes similaires pour renverser le régime de Kadhafi, facilitait par les bombardements aériens de l’OTAN.

Belhaj est devenu le chef du Conseil militaire de Tripoli chargé de maintenir l’ordre dans la capitale après l’assassinat de Kadhafi. Selon les informations des médias en 2015, il est devenu un des chefs de l’État islamique qui a nouvellement émergé en Afrique du Nord.

La guerre, entre mars et octobre 2011, a tué au moins 20 000 personnes et a plongé la population libyenne dans une catastrophe humanitaire qui persiste jusqu’à ce jour. À la suite du renversement de Kadhafi, les combats entre des centaines de milices pour le contrôle des riches ressources de la Libye ont conduit à la fuite de 2 millions de personnes, un tiers de la population d’avant-guerre, vers la Tunisie, l’Égypte et ailleurs, et le déplacement interne de centaines de milliers de personnes.

Selon un rapport du Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies publié l’été dernier, au moins 1,3 million, soit 20 pour cent de l’ensemble de la population libyenne, qui comptait 6,4 millions avant la guerre, sont encore dans la pénurie de nourriture et le logement, et ont besoin d’une aide humanitaire urgente.

Ce fut un pays qui autrefois bénéficiait d’une prospérité économique et de stabilité et avait le plus haut classement de l’indice de développement humain (IDH) en Afrique. Bien que son énorme richesse en pétrole ait été accaparée par une petite élite corrompue, l’État a assuré un niveau de vie relativement élevé en offrant une éducation, des soins de santé et d’autres services gratuits.

Le classement de l’IDH en Libye a chuté de 53 à 102 sur 169 pays dans le rapport 2016 sur le développement humain de l’ONU. Belhaj est maintenant l’un des nombreux islamistes devenus hommes d’affaires et politiciens. Très riches, grâce à leurs parrains dans le Golfe et l’Ouest, ce sont eux qui cherchent à faire des affaires avec les « merveilleux gars qui veulent investir à Syrte » de Johnson.

Sirte, une ville autrefois prospère, est une scène de dévastation complète et de tragédie humaine. Elle est jonchée de dispositifs explosifs improvisés (IED) laissés par l’État islamique pendant le siège de la ville de presque un an par les forces du gouvernement libyen. L’État islamique a pris la ville en mars 2015 avant qu’elle ne soit récupérée au milieu de 2016 avec l’aide des raids aériens américains et des forces fidèles au gouvernement soutenu par l’ONU basé à Tripoli.

Johnson a effectué deux visites à Tripoli cette année. En août, il a convenu d’un ensemble de mesures avec le Premier ministre Fayyez Al-Serraj, qui dirige l’un des trois gouvernements en Libye. Il s’agit notamment du financement de la formation pour éliminer les IEDS et les mines et pour reconstruire les infrastructures élémentaires et restaurer les services publics de base par le biais du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Cela vise sans doute à créer un environnement approprié pour « la prochaine Dubaï ». La marine royale britannique participe également à la formation des forces de sécurité locales pour empêcher les migrants africains d’utiliser la Libye comme un tremplin vers l’Europe.

(Article paru en anglais le 9 octobre 2017)

 

 

 

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