Le secrétaire à la défense américain et le premier ministre australien menacent la Corée du Nord et la Chine

Le secrétaire à la Défense de États-Unis, James Mattis, et le premier ministre australien, Malcom Turnbull, ont utilisé le Dialogue Shangri-La à Singapour pour demander, une fois de plus, à la Chine de forcer la Corée du Nord à abandonner ses programmes nucléaires et de missiles. Les deux hommes ont insisté qu’ «un ordre international basé sur la loi», c’est-à-dire l’hégémonie de l’impérialisme américain en Asie, doit être maintenu. Ils ont mis la Chine en garde de ne pas essayer de défendre son influence régionale. 

Le Dialogue, la première conférence asiatique sur des questions stratégiques et de défense, prend place au milieu de tensions intenses sur la péninsule coréenne alors que les États-Unis menacent la Corée du Nord de guerre et continuent de masser leurs forces militaires dans la région. La marine américaine a entamé des exercices conjoints avec le Japon dans la mer du Japon la semaine dernière. Ces exercices comprennent deux portes-avions, le USS Vinson et le USS Ronald Reagan, avec leurs deux groupes d’assaut et des navires de guerre japonais – un porte-hélicoptère et un destroyer. 

Même si le Pentagone a minimisé le tout comme étant des exercices de routine, c’était la première fois qu’ils comprenaient deux portes-avions sur la péninsule coréenne depuis 20 ans et la toute première fois qu’ils comprenaient des navires japonais. Un troisième groupe d’assaut, transporté par le porte-avion USS Nimitz, est apparemment en train de se diriger vers la région. L’armée américaine est aussi engagée dans des exercices de guerres élaborés avec la Corée du Sud dans les derniers mois, qui impliquent des forces navales et aériennes comprenant jusqu’à 300.000 soldats. 

Lors de son discours à Singapour, le secrétaire à la Défense Mattis a dénoncé la Corée du Nord pour ses activités dites criminelles et ses tests nucléaires et de missiles qualifiés d’ «illégaux». Il a déclaré que le régime de Pyongyang était «un danger clair et actuel», c’est-à-dire une menace imminente, «pour nous tous». Dans des commentaires dirigés en particulier contre la Chine, il a ajouté: «c’est par conséquent impératif que nous fassions tous notre part» afin d’assurer la dénucléarisation de la péninsule coréenne. 

Tout en notant les efforts de la Chine pour forcer la Corée du Nord à se dénucléariser, Mattis a réitéré les remarques du président Donald Trump selon lesquelles la politique de la «patience stratégique» était finie. En d’autres termes, les États-Unis ne vont pas attendre indéfiniment que la Corée du Nord se plie à leurs demandes, mais vont utiliser la force contre le régime de Pyongyang. Dans des avertissements dirigés tant contre Beijing que contre Pyongyang, Trump a tweeté la semaine dernière que si la Chine ne s’occupe pas de la Corée du Nord, les États-Unis vont «régler le problème sans eux».

Mattis a aussi averti Pékin que les États-Unis n’allaient pas tolérer ses activités de création de terre-plein en Mer de Chine méridionale et allaient tout faire pour assurer la «liberté de naviguer» dans les eaux contestées. Il a directement accusé la Chine d’avoir du «mépris pour la loi internationale» et du «dédain pour les intérêts des autres nations». Ses commentaires interviennent moins d’une semaine après que la marine américaine ait, dans un geste provocateur, envoyé un missile guidé destroyer à l’intérieur des limites des 12 miles nautiques revendiquées par la Chine autour du récif Mischief dans la Mer de Chine méridionale. 

Mattis a accusé la Chine d' «affaiblir l’ordre basé sur la loi qui a bénéficié à tous les pays représentés ici aujourd’hui y compris, et spécialement, la Chine». Ses références répétées à l' «ordre basé sur la loi» de l’après-Deuxième guerre mondiale comme étant la base de la «paix et de la prospérité» dans l’Asie pacifique est une fraude monumentale. Après avoir vaincu le Japon, les États-Unis ont renforcé leur domination en menant deux féroces guerres néo-coloniales – en Corée et au Vietnam – qui ont coûté la vie à des millions de personnes, ainsi qu’en orchestrant des coups d’État et en appuyant des dictatures militaires à travers la région. L’impérialisme américain n’a réussi à mettre en place les conditions pour finalement stabiliser sa position stratégique en Asie que par son rapprochement avec la Chine en 1972

Dans le contexte du marasme économique qui persiste depuis la crise financière de 2008, toutes les structures de l’Après-guerre, y compris en Asie, se désintègrent rapidement. Confronté à son déclin historique, l’impérialisme américain a recours avec de plus en plus d’imprudence à des moyens militaires pour renforcer son hégémonie et contrecarrer ses rivaux, particulièrement la Chine et la Russie.

Le danger d’une guerre menée par les États-Unis contre la Corée du Nord ne provient pas d’abus des droits de l’Homme par ce régime, ou de la menace supposée de son arsenal nucléaire, mais plutôt de la détermination d’affaiblir la position stratégique de Pékin en attaquant son seul allié formel.

Mattis a clairement indiqué que la réponse des États-Unis aux «défis» dans l’Asie pacifique serait avant tout militaire. Il a expliqué le renforcement des alliances et partenariats stratégiques américains à travers la région, la solidification des capacités militaires de ses alliés et partenaires, et avant tout, la propre course à l’armement du Pentagone.

Mattis s’est vanté du fait que «60 pour cent de tous les navires américains, 55 pour cent des forces de l’armée, et à peu près deux tiers de la flotte marine sont déployés dans la région sous la responsabilité du commandement américain dans le Pacifique» et que «bientôt, 60 pour cent de nos moyens d’aviation tactique d’outremer seront déployés dans cette région».

Le Premier ministre australien Turnbull, qui a donné le discours d’ouverture au Dialogue, a préparé le terrain pour Mattis, évoquant l’esprit essentiel du discours du secrétaire américain à la défense.

Seulement quelques jours auparavant, Turnbull avait rencontré le sénateur américain John McCain, le président du comité influent du sénat sur les services armés, qui, dans un discours extraordinaire à Sydney, a fortement critiqué Trump tout en insistant que les États-Unis «comptaient sur l’Australie et nos alliés pour rester avec nous». Dans une menace à peine voilée, McCain a déclaré: «Personne n’a jamais fait fortune en pariant contre l’Amérique, mes amis, et ce n’est pas le moment de commencer».

Suivant les traces de McCain, Turnbull a averti la Chine concernant la Corée du Nord et a fait appel aux représentants du gouvernement présents de se tenir aux côtés de l’impérialisme américain en tant que garant de la stabilité régionale. Critiquant franchement la Chine, il a dit que celle-ci tentait de soumettre l’Asie à une version contemporaine de la doctrine Monroe américaine, qui avait soumis l’Amérique latine à la domination des États-Unis au dix-neuvième siècle.

Turnbull a mis Pékin en garde: «Une Chine coercitive trouverait que ses voisins n’aiment pas se faire demander de céder leur autonomie et leur espace stratégique, et qu’ils tenteraient de contre-balancer la puissance de Pékin en renforçant les alliances et partenariats, entre eux-mêmes et surtout avec les États-Unis». Il a incité Pékin «à entretenir la confiance et la coopération», affirmant qu’il n’y avait «pas de meilleure ou plus urgente occasion» d’ «utiliser son influence» pour «contrer le comportement illégal, imprudent et dangereux de la Corée du Nord».

Turnbull a décrit les aspects «décevants» des politiques du gouvernement Trump – son retrait du Partenariat transpacifique (PTP) que beaucoup de pays asiatiques considéraient comme un bienfait économique, et son retrait plus récent de l’accord de Paris sur le changement climatique. Il a toutefois ajouté: «on ne devrait pas présumer que le désir de relations différentes revient à ne pas vouloir de relations du tout».

Le Premier ministre australien s’est dit confiant que «ce gouvernement et ceux qui suivront» reconnaîtront que l’intérêt des États-Unis dans la région indo-pacifique «demande plus d’engagement et non pas moins».

La visite de McCain en Australie a eu lieu au milieu d’une crise politique à Washington concernant la politique étrangère, reflétée dans les attaques accrues contre le gouvernement Trump par rapport aux liens qu’il est accusé d’entretenir avec la Russie. Son message, reflété dans les remarques de Turnbull, de voir plus loin que l’administration Trump et de «rester avec nous» était à la fois un appel et un avertissement.

Le grand danger est que le gouvernement Trump ait recours aux provocations et conflits militaires afin non seulement de rappeler les alliés à l’ordre, mais aussi de s’extirper des problèmes grandissants qui entourent autant sa politique étrangère qu’intérieure.

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