Le Pentagone rejette l’appel de l’ONU à une pause dans le siège de Raqqa

Le Pentagone a rejeté un appel urgent des responsables des Nations Unies à une pause humanitaire dans le siège de Raqqa, dirigé par les États-Unis, pour permettre à 25 000 civils piégés dans la ville syrienne aux mains du groupe État islamique (ÉI) d’échapper à l’aggravation de l’effusion de sang.

Dans le Middle East Eye, le directeur des relations publiques pour l’état-major de l’opération Inherent Resolve (le nom donné par le Pentagone à l’offensive militaire américaine en Irak et en Syrie), le colonel Joe Scrocca, a déclaré : « Ralentir ne fait que retarder la libération et en fin de compte coûte la vie à plus de civils […] Le seul moyen de sauver les gens est de les libérer de l’ÉI. Plus cela prendra de temps, plus les gens souffriront sous l’ÉI. »

L’offensive qui dure depuis près de trois mois a déjà détruit la ville, expulsant quelque 270 000 de ses habitants et laissant une grande partie de la ville en décombres. Ceux qui restent n’ont pas accès à la nourriture, à l’eau, à l’électricité et aux soins médicaux. Les résidents en seraient réduits à manger des feuilles et de l’herbe pour survivre. Au moins la moitié de ceux qui sont piégés dans la ville sont des enfants.

Des centaines, sinon des milliers, de civils ont été tués par des bombes, des roquettes et des obus d’artillerie américains. Le collectif de veille Airwars basé à Londres a donné une estimation prudente à la fin de la semaine dernière d’au moins 725 décès depuis que le siège a commencé en juin. L’Observatoire syrien des droits de l’homme, un autre groupe basé au Royaume-Uni, qui maintient une veille sur ces événements, a donné le nombre de 773 civils tués par des frappes américaines, dont 197 enfants et 119 femmes.

Les troupes au sol qui servent d’intermédiaires aux États-Unis, organisées dans les « Forces démocratiques syriennes » (FDS), dominées par la milice de l’YPG kurde syrien, et opérant sous la direction des troupes des opérations spéciales des États-Unis, auraient capturé jusqu’à 60 % de la ville, laissant ce qui reste de la population piégée dans des zones urbaines fortement peuplées.

Le principal conseiller de l’Envoyé spécial des Nations Unies pour la Syrie a récemment déclaré aux médias à Genève qu’il ne pouvait imaginer un « pire endroit sur terre » que cinq quartiers centraux densément peuplés de Raqqa où la majorité de la population civile de la ville a été soumise à un bombardement implacable.

Appelant à une pause dans le siège, Egeland a déclaré : « C’est le moment de tout tenter pour permettre de sortir de la ville en sécurité. À l’heure actuelle, peu de gens partent, parce qu’ils ont peur pour leur vie. Il y a de lourds bombardements des forces environnantes et qui encerclent la ville, et il y a des frappes aériennes constantes de la coalition. Les victimes civiles sont donc très nombreuses. Il ne semble pas y avoir de possibilité de s' échapper pour les civils. »

Egeland a expressément appelé à la fin des attaques américaines contre les bateaux transportant des civils qui tentent de fuir Raqqa en traversant le fleuve Euphrate.

Plus tôt cet été, le lieutenant-général Stephen Townsend, commandant des forces américaines en Irak et en Syrie, a annoncé que l’armée américaine tirerait « sur chaque bateau que nous trouvons ».

En plus des dizaines de frappes aériennes quotidiennes, les unités maritimes américaines ont apporté leur soutien à l’avancée des milices kurdes en bombardant la ville avec des obusiers de 155 mm ainsi que des mortiers de 227 mm dirigés par GPS. Dans un récent rapport, Amnesty International a condamné l’utilisation de ces armes, « qui ont un large rayon d’impact et qui ne peuvent être dirigées avec précision contre des cibles spécifiques », et a noté que leur utilisation contre « les quartiers civils a fait de nombreuses victimes civiles ».

Leur utilisation, selon ce rapport, constituait « non seulement des attaques disproportionnées, mais aussi des attaques aveugles », c’est-à-dire un crime de guerre. Le Pentagone a également utilisé des obus au phosphore blanc dans Raqqa, une arme chimique qui brûle la chair jusqu’à l’os, interdite d’utilisation dans les zones peuplées en vertu des Conventions de Genève.

Mercredi, le commandement dirigé par les États-Unis a signalé qu’il avait mené 51 frappes aériennes en Syrie le jour précédent – dont 46 contre des cibles à Raqqa – impliquant 84 « engagements » distincts.

Sur le terrain, Raqqa devient silencieusement le lieu d’un massacre : un groupe de veille initialement formé pour révéler les crimes de l’ÉI au sein de la ville a rapporté sur son compte Twitter mardi qu’il y avait eu 140 frappes aériennes au cours des 48 heures précédentes, dont une qui a détruit l’hôpital Almoasa.

Washington répète à Raqqa le massacre criminel qu’il a dirigé contre la population civile de la ville de Mossoul au nord de l’Irak, où l’on estime que le nombre de civils tués au cours d’un siège de neuf mois dirigé par les États-Unis s’élève à 40 000.

Dans les deux villes, le Pentagone a utilisé ce que le secrétaire à la défense, le général des Marines récemment retraité James Mad Dog Mattis a décrit comme une « tactique d’annihilation totale », ce qui revient à une violence aveugle contre des zones fortement peuplées.

Les massacres de Mossoul et de Raqqa ont été largement passés sous silence par les mêmes médias américains et occidentaux qui ont dénoncé sans relâche à la fois le gouvernement syrien et son allié Russe pour des crimes de guerre lors de la reprise de l’est d’Alep aux milices liées à Al-Qaïda, une opération dont le coût en vies civiles fut bien moindre que celui infligé par les sièges dirigés par les États-Unis.

Le rejet par les États-Unis de l’appel de l’ONU à une pause dans le siège contre Raqqa n’est motivé par aucun désir de sauver des vies humaines ou de « libérer » des civils des griffes de l’ÉI. Washington est déterminé à faire une offensive ininterrompue dans le but de prendre le contrôle d’un territoire stratégiquement vital dans l’est de la Syrie et dans l’ouest de l’Irak, détenu jusque-là par l’ÉI, et le dénier ainsi aux forces du gouvernement syrien soutenues par l’Iran et la Russie.

Pendant que les États-Unis et leurs forces mandataires assiègent Raqqa, l’armée syrienne a largement repoussé les forces de l’ÉI de la région désertique centrale, avançant vers l’Est dans la province de Deir Ezzor, à moins de 70 km de sa capitale, où les forces gouvernementales et environ 200 000 civils subissent un siège de l’ÉI depuis 2015.

La région est le centre de l’industrie pétrolière syrienne et a une frontière avec l’Irak. Washington a l’intention de prendre le contrôle de la zone frontalière afin de contrer l’influence iranienne dans la région et d’interrompre une route terrestre qui relie l’Iran et son allié, le puissant mouvement politique libanais du Hezbollah et ses milices, en passant par l’Irak, la Syrie et le Liban. À cette fin, les forces américaines et britanniques ont établies une base dans le sud-est de la Syrie, qui forme des « rebelles » qu’elles espèrent employer pour prendre du territoire à l’ÉI et éviter que ce soit Damas qui le prenne.

Le risque que cette ruée pour prendre l’est de la Syrie se transforme en une guerre régionale plus large a été alimenté par la posture agressivement anti-iranienne adoptée par le gouvernement Trump, qui semble déterminé à rompre l’accord nucléaire de 2015 conclu par Téhéran avec le groupe de pays dit P5 + 1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies – Chine, France, Russie, Royaume-Uni, États-Unis, plus l’Allemagne).

Pendant ce temps, l’intervention des États-Unis a été compliquée par les affrontements armés entre les troupes américaines et une milice soutenue par la Turquie dans le nord de la Syrie, près de la ville de Manbij, dont les FDS, dominées par les Kurdes et soutenues par Washington, se sont emparés l’année dernière. La Turquie s’est opposée à la consolidation à sa frontière d’une entité autonome contrôlée par les Kurdes.

« Nos forces ont essuyé des tirs et ont riposté et se sont ensuite déplacées vers un endroit sûr », a déclaré mercredi le porte-parole du Pentagone, le colonel Ryan Dillon, ajoutant que les États-Unis ont dit à la Turquie de préciser aux forces qu’elle soutient en Syrie que cette attaque sur les forces américaines « n’est pas acceptable ». Ces mêmes « rebelles » étaient auparavant armés et soutenus par la CIA.

(Article paru en anglais le 31 août 2017)

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