«C’est comme de la torture mentale et physique chaque nuit pendant 10 heures de temps»

Une travailleuse d’Amazon blessée décrit la dystopie de haute technologie d’un entrepôt du Texas

Shannon Allen, une travailleuse blessée d’Amazon, a relaté à l’International Amazon Workers Voice les conditions qui prévalent au centre de distribution DFW-7 situé à Haslet, au Texas. Shannon a décrit les conditions de travail brutales, la surveillance de type autoritaire des travailleurs et les exigences de la direction pour maintenir des taux de production frénétiques.

Shannon, 49 ans, vit à Azle, au Texas, une petite ville de la banlieue ouest de Fort Worth. Elle s’est blessée alors qu’elle travaillait chez Amazon, puis est retournée au travail et s’est blessée à nouveau au même poste de travail. Physiquement incapable de continuer à travailler, Shannon est maintenant confrontée à l’itinérance en plus d’être blessée, mais elle est déterminée à «se battre jusqu’au bout».

«Je vais déménager dans ma voiture et prendre une photo que je vais envoyer, déclare Shannon. Comme ça les gens vont savoir c’est quoi travailler chez Amazon.» Incapable de payer pour se nourrir et se loger, Shannon a perdu deux tailles de pantalon et ne mange que tous les deux jours. «C’est pas que j’ai fait un mauvais choix avec mon argent, ajoute-t-elle, je n’avais même pas d’argent pour faire un choix.»

Shannon Allen: «Comme vous pouvez le voir, c’est un regard déterminé sur mon visage. J’espère pouvoir être la voix dont les gens ont besoin.»

 

Shannon est née à Tyler au Texas et a vécu quelque temps en Oklahoma. Avant de travailler chez Amazon, elle travaillait dans une garderie à 8 $ l’heure. Elle aime la musique heavy metal et les tatouages. Elle a élevé deux fils, maintenant âgés de 22 et 24 ans, et qui vivent en Arkansas et en Caroline du Nord.

Le salaire de base chez Amazon est de 12 $ l’heure, ce qui équivaut à moins de 25.000 $ par année. (Lors de sa première année à Amazon, Shannon dit qu’elle a été payée environ 13.000 $, ce qui est sous le seuil de pauvreté fédéral.) Lors de la réunion d’orientation, l’entreprise promettait 50 cents de plus l’heure pour le travail la fin de semaine et 1 $ de plus pour le travail de nuit. Ces taux avaient été écrits sur un tableau blanc à l’avant du groupe rassemblé.

Afin de maximiser son revenu, Shannon s’est portée volontaire pour un poste de nuit du samedi au jeudi. Le quart de travail commence à 18 h 30 pour se terminer le lendemain à 5 h du matin. Mais lorsque Shannon a reçu son premier chèque de paie, elle a réalisé que son salaire était de 13 $ l’heure pour les quarts de fin de semaine, et non pas 13,50 $ comme promis.

Shannon a commencé à travailler chez Amazon en mai 2017. Elle avoue qu’au début elle pensait que c’était excitant, nouveau et différent. «J’avais ce sentiment que je faisais tourner le monde, dit-elle. Elle travaillait dans l’une des entreprises les plus grandes et les plus high-tech au monde, distribuant d’énormes quantités de biens à un grand nombre de personnes.

Un «centre de distribution» d’Amazon contient des dizaines de millions de produits, triés dans des bacs disposés sur des «nacelles». Les nacelles, mesurant chacune de 7 à 8 pieds de haut, sont munies de 25 à 30 bacs de chaque côté. Lorsqu’un client passe une commande en ligne, un robot amène la nacelle où le produit est stocké à un «préparateur», qui reçoit immédiatement des instructions pour prendre le produit d’un bac et l’envoyer sur la ligne.

«Tout est fait par des ordinateurs et des robots», explique Shannon. Elle décrit les «robots Kiva», fabriqués par Amazon Robotics (anciennement Kiva Systems) comme «semblables à un Roomba, mais en plus gros. Certains sont aussi gros qu’un capot de voiture. Ils apportent les nacelles aux travailleurs. C’est génial la façon dont les robots viennent à vous. Je n’avais jamais rien vu de tel auparavant.»

Shannon travaillait comme «compteuse», et son travail consistait à vérifier le travail des ramasseurs et des préparateurs. Laisser passer une erreur équivaut à devenir la cible d’un système punitif d’«erreurs de qualité» et de «mesures correctives».

Peu de temps après avoir commencé à travailler chez Amazon, Shannon a commencé à découvrir ce qu’elle appelle les «sales secrets». «Ce sont les affaires dont ils ne vous parlent pas quand vous êtes embauché.»

Ainsi, chaque fois que les travailleurs quittent l’établissement, ils sont soumis à une fouille intrusive. «Il faut faire la queue, avec un seau, comme à l’aéroport, dit-elle. Il faut enlever sa ceinture, ses chaussures et son chapeau. Notre sac est mis sur une bande transporteuse et il faut subir un scan corporel intégral. Si l’alarme se déclenche, il faut subir une seconde fouille et on est passé au détecteur en avant et en arrière.»

Dans un quart de travail de 10 heures, les travailleurs ont droit à deux pauses de 15 minutes et une pause de 30 minutes pour manger. Pour sortir à l’extérieur, les travailleurs doivent se soumettre à la fouille et franchir la ligne de sécurité. «Les lignes pour sortir pendant la pause de 15 minutes comptent de 20 à 30 personnes par ligne, et il n’y a que deux lignes.» Les pauses sont chronométrées entre les deux scans, et tous sont bien informés de ne pas dépasser leur temps de pause de «pas une seconde de plus».

Le centre de distribution DFW-7 est divisé en modules «A» et «B», appelés «A-mod» et «B-mod». Chaque module compte quatre étages de 50 à 75 postes de travail chacun. Le poste de travail de chaque travailleur est muni d’une caméra pointée vers lui à l’arrière, ainsi que des caméras qui lui font face depuis la zone des nacelles. «Ils ont une vue arrière et une vue de face,» explique Shannon.

Les travailleurs portent un numériseur portatif avec un écran qui leur indique quoi faire à un moment donné. Dans le cas de Shannon, en tant que «compteuse», le numériseur lui dit quels bacs compter. Les travailleurs sont chronométrés sur chaque tâche, jusqu’aux plus petits incréments, «du moment où vous pointez à l’entrée jusqu’à la sortie du travail».

Les travailleurs n’ont pas le droit de manger ou de boire autre chose que de l’eau à leur poste. Après avoir été embauchés, ils reçoivent une bouteille d’eau Amazon. «Il est interdit de parler à votre voisin pour passer le temps. Vous ne pouvez pas non plus apporter de téléphone portable. Vous ne pouvez apporter aucun appareil électronique. Pas même d’écouteurs.»

«La chaleur est étouffante.» Shannon dit qu’il y a de ventilateurs ici et là, pointant vers le bas dans les allées empruntées par les travailleurs pour se rendre à leur poste de travail, mais pas vers les travailleurs pour les aider à se rafraîchir. «Celui qui a pensé à ce design est un idiot fini, déclare Shannon. Parce que nous n’avons aucun répit de la chaleur avec les ventilateurs pointés dans l’allée.»

Les températures atteignent les 28, 30 et même 32 degrés Celsius. «En été, il fait plus de 37 degrés, déclare Shannon. C’est là une autre idée de génie. Ils ont des panneaux numérotés suspendus pour identifier nos postes de travail. Ces panneaux sont probablement aussi gros qu’un téléviseur de 19 pouces. Ils bougent constamment à cause du souffle des ventilateurs. Mais nous, nous ne recevons aucun soulagement de la chaleur.»

«Juillet et août sont les pires mois et de loin, poursuit Shannon. C’est courant de voir une ambulance chez Amazon quatre à cinq fois par nuit.» Les travailleurs perdent connaissance à leur poste de travail, physiquement incapable de continuer à travailler. «Lors de mon quart de travail, déclare Shannon, nous ramassions des gens frappés d’épuisement par la chaleur.

La vue des ambulances attendant à l’extérieur pour ramasser les travailleurs qui se sont effondrés est une scène courante. «Chaque fois que nous allions en pause, les ambulances attendaient dehors pour aller chercher du monde. Mais pas un gestionnaire, personne des RH, personne de la sécurité n’est là pour escorter les gens aux ambulances. Ils s’en foutent. Tu es laissé à toi-même.»

Shannon raconte comment elle a emmené une collègue à l’urgence parce que sa tension artérielle avait monté en flèche. «Le médecin lui a dit que si elle n’était pas rentrée à l’hôpital, elle n’aurait pas survécu, déclare Shannon. C’est Amazon qui est responsable. Il faut maintenir la cadence, aller aussi vite que possible, sans faire d’erreurs de qualité. C’est comme courir sur place.»

«C’est comme de la torture mentale et physique chaque nuit pendant 10 heures de temps,» déclare Shannon. Monter et descendre l’échelle, se mettre à genoux, se baisser, sauter en arrière, remonter sur l’échelle.» Tous les travailleurs finissent par «se rendre au bout du rouleau» et «désespérer». La plupart des travailleurs qui ont été embauchés en même temps que Shannon ne travaillait plus chez Amazon.

En réaction à un rapport récent qui a classé Amazon parmi les lieux de travail les plus dangereux aux États-Unis, Shannon explique que beaucoup de gens ne comprennent pas comment sont les entrepôts d’Amazon à l’intérieur. «Les gens pensent qu’il s’agit d’une entreprise cool et branchée.»

«C’est comme faire 10 heures de cardio, cinq jours par semaine, dit-elle. L’exigence de rythmes de travail irréalistes signifie qu’un travailleur n’a même pas le temps de boire de l’eau ou d’aller aux toilettes. «J’ai un nombre de secondes imposé pour tout compter dans mon bac. S’il y a 150 cartes-cadeaux dans mon bac, j’ai x secondes pour les compter et les envoyer. Et si ma machine fait bip, je dois les compter à nouveau.»

«Quand j’ai commencé à travailler là-bas, le taux pour un compteur était de 519 comptes à l’heure. En janvier 2018, le nombre a été porté à 550 comptes. En mars, il a été porté à 600 comptes à l’heure.» Cela veut dire qu’il y a un compte toutes les 6 secondes. «C’est répétitif, déclare Shannon. J’avais l’impression de faire une crise cardiaque parce que j’étais tellement nerveuse de respecter les temps.»

En plus d’avoir des «attentes irréalistes pour le corps humain», déclare Shannon, l’entreprise s’attend à ce que les travailleurs se débrouillent avec l’équipement défectueux et des demandes constantes de respecter des délais stricts. Tenter de travailler à grande vitesse avec de l’équipement défectueux est une cause fréquente de blessure. «Les postes de travail eux-mêmes ne sont pas sécuritaires pour que les gens fassent leur travail,» déclare Shannon. Des travailleurs ont également glissé dans les escaliers.

Les travailleuses sont tenues de garder leurs cheveux noués en queue de cheval, et Shannon s’est dite terrifiée à l’idée de se pencher en avant sur les nacelles contrôlées par le robot. «Si jamais une nacelle était lâchée – ce qui s’est déjà produit – elle pourrait très bien attraper ma queue de cheval et me tirer la tête par les cheveux.»

«Amazon, c’est juste travaille, travaille, travaille, travaille, travaille,» déclare Shannon. Les employés sont harcelés pour des petites périodes dites de «temps non travaillé» (TOT Time). Si un gestionnaire venait poser une question à Shannon au sujet de quelque chose et que cela durait neuf minutes, un autre gestionnaire venait ensuite lui reprocher et elle devait explique les neufs minutes de «temps non travaillé». Pour se défendre contre ce régime, Shannon décrit comment les travailleurs se sont mis à apporter des cahiers et commencé à prendre des notes précises sur tout leur temps de production perdu. Il peut arriver parfois par exemple que les nacelles n’arrivent pas, l’une après l’autre (un «Pod-Gap»), et ce n’est pas la faute du travailleur.

Shannon se souvient d’un épisode où un gestionnaire s’est approché d’elle et a exigé de voir son cahier. Shannon lui a répondu: «Ce sont mes notes personnelles. Vous n’avez pas le droit de venir me demander mon carnet.» Le gestionnaire a réagi en la menaçant de la congédier si elle ne lui donnait pas son carnet. Shannon n’a pu conserver son emploi qu’en se plaignant aux ressources humaines.

Shannon se souvient d’avoir vu une fois un presse-papier avec le numéro 821 écrit dessus. C’est le nombre de personnes qui ont été licenciées de janvier à mai 2017: «Ils se vantent du nombre de personnes qu’ils renvoient.»

La première blessure de Shannon est survenue le 24 octobre 2017, à 22 h 30, soit environ cinq mois après avoir été engagée chez Amazon. «Je comptais, je comptais, je comptais, explique-t-elle. Je n’étais pas contente de mon poste de travail. Il n’y avait pas de garde-brosse pour me séparer de la nacelle. Un garde-brosse ressemble à un grand balai avec des poils de chaque côté. C’est un dispositif qui empêche les articles de tomber sur le plancher de Kiva. (Kiva Floor) Le plancher de Kiva, c’est là où les robots opèrent, et c’est une zone où il est interdit aux travailleurs d’entrer.

«Il fallait que je prenne un gros bac jaune et que je le mette entre mes jambes pour éviter que les choses ne tombent. J’étais à moitié au-dessus de mon poste de travail, à moitié au-dessus du plancher de Kiva. Il y a des mesures qui sont prises si on n’empêche pas les choses de tomber. Je comptais mes articles à la hauteur des yeux.» Avec le bac entre les jambes, elle devait se pencher encore plus en avant pour atteindre la nacelle tout en gardant la tête toujours vers l’avant. C’est dans cette position qu’elle a soudainement ressenti une douleur aiguë dans le dos.

«C’était la même sensation que si quelqu’un m’avait poignardé dans le dos et avait descendu le couteau tout le long de ma colonne vertébrale, dit Shannon. Je me suis tout de suite assise. Je suis restée assise là pendant quelques minutes. La douleur était si intense que j’ai cru que j’allais m’évanouir.»

Même si elle souffrait terriblement, elle s’est dit: «Je dois me relever ou sinon ils vont venir voir ce que je fais». Elle a alors essayé de recommencer à compter, mais n’a pas pu continuer. «J’avais l’impression que mon dos était en feu. Elle a alors dit à un gestionnaire: «J’ai horriblement mal au dos.»

«Attends un peu,» lui a dit le gestionnaire, avant d’appeler un autre gestionnaire. Ce dernier l’a accompagnée jusqu’à un ascenseur, puis l’a fait marcher jusque de l’autre côté de l’entrepôt, qui abrite la «zone de triage» d’Amazon. Pendant cette longue marche, Shannon a décrit la douleur comme insupportable. «Juste pour vous dire, l’établissement s’étend sur 23 acres, vous savez?» Rendue à la zone de triage, il n’y avait pas de médecins ou d’infirmières, seulement des ambulanciers.

Shannon s’est alors fait dire de s’allonger sur un coussin chauffant pendant 30 minutes, après avoir été relevée sans solde, ce que l’entreprise appelle de la «période volontaire sans solde» (Voluntary Time Off ou VTO). Plutôt que de l’envoyer voir un médecin, Amazon a mis en place un «plan de traitement» consistant à faire asseoir Shannon sur un coussin chauffant pendant 15 à 20 minutes par nuit.

«J’ai essayé de revenir le lendemain soir et de travailler, dit Shannon. J’ai continué à venir au travail et à essayer de travailler. J’en suis arrivée au point où je ne pouvais plus travailler après 22 h 30», c’est-à-dire les quatre premières heures de son quart de travail. Lorsqu’elle n’a plus été capable de terminer son quart de travail, l’entreprise l’a renvoyée chez elle sans rémunération.

«J’avais tellement mal que je pouvais à peine marcher jusqu’à la voiture quand je suis partie. Cela a duré des semaines. Ils n’ont jamais mentionné une seule fois de possibilité d’indemnisation pour accident de travail ou de consultation d’un médecin de l’extérieur. Je n’ai appris l’existence de l’indemnisation pour accident de travail que par mes amis et ma famille. Amazon a essayé de continuer de me faire travailler avec le traitement (c.-à-d. le coussin chauffant).

Shannon ne voulait pas utiliser ses vacances payées, dans l’espoir qu’elle pourrait les utiliser pour faire quelque chose d’amusant dans l’avenir. «Je mène une vie très simple, dit-elle. Je n’ai pas les extras que beaucoup de gens ont. Je n’ai pas le câble, ni le téléphone ou Internet à la maison. Mais j’ai l’Internet sur mon téléphone.» Elle attendait avec impatience quelques jours de vacances payées. Les travailleurs d’Amazon ont droit à environ 1,5 à 3 heures de vacances payées par période de paie, soit toutes les deux semaines, en plus d’un maximum de 48 heures de congés payés par année.

Après environ deux à trois semaines, les choses ont atteint un point culminant, lorsqu’un gestionnaire a dit bêtement à Shannon: «Nous ne te donnons plus de VTO. Tu dois retourner travailler.» Il s’en est ensuivi une confrontation au cours de laquelle Shannon a couru le risque de subir des représailles et a finalement exigé qu’on lui remette des formulaires pour demander une indemnisation pour accident de travail.

«Je n’ai jamais touché d’indemnisation pour accident de travail, explique Shannon. J’étais comme une souris aveugle à la commission des accidents du travail. Je ne savais pas qui appeler ou si quelqu’un allait m’appeler. J’ai juste essayé de faire tout ce qu’ils m’ont demandé de faire.»

«Après un accident de travail, tu n’as plus à faire avec Amazon, explique-t-elle. Tu es envoyée à l’“équipe des absences autorisées”. Cela leur a pris environ une semaine avant de m’appeler pour approuver mon congé d’invalidité de courte durée.»

Amazon donnait à Shannon 25 $ par semaine pour son invalidité de courte durée, tandis que Sedgwick, l’assureur des accidents de travail de l’entreprise, lui versait 211 $ par semaine. «Je me suis disputée avec l’ajusteur, dit Shannon. Je n’étais pas satisfaite de la façon dont les choses avançaient. Personne ne me prenait au sérieux à propos de ma blessure. Ma blessure était minimisée. On ignorait mon cas.»

Même si elle n’était physiquement pas capable de travailler, elle a continué de recevoir des courriels de menaces de la part d’Amazon, déclarant qu’elle ne «donne pas de nouvelles et ne se présente pas au travail» et qu’elle accumulait des «congés non rémunérés». Pendant tout ce temps, explique Shannon, «les médecins la Commission d’indemnisation des accidents de travail vous disent de retourner au travail. Les médecins n’ont fait aucun examen IRM ou de radiographie. «Ils m’ont piqué dans le dos une fois.»

Après s’être blessée, Shannon n’a cessé de recevoir des courriels de menaces d’Amazon.

«On n’a pas le même médecin à chaque fois, explique Shannon. C’est un nouveau médecin à chaque fois, et il faut tout recommencer. Ils ont essayé de me faire prendre des pilules. Je leur ai dit que je ne voulais pas prendre de leurs narcotiques, mais que je voulais aller mieux.»

«Mon dos allait parfaitement bien avant que je ne commence à travailler pour Amazon. La seule raison pour laquelle j’ai rempli les ordonnances, c’est pour les empêcher de dire que je ne suivais pas leurs instructions. Je ne prends pas de pilules. Je ne me drogue pas. Je ne voulais pas développer de dépendance à des médicaments. Je voulais que mon dos soit soigné. J’ai insisté là-dessus dès le départ.»

«J’avais l’impression qu’Amazon se foutait carrément que je me sois blessée, dit Shannon. Il y a 50 personnes qui attendent en ligne pour mon travail. Ils te brulent et puis ils te remplacent par la prochaine personne. Quelqu’un faisait mon travail pendant que j’étais absente. Et quelqu’un d’autre faisait mon travail avant moi.»

Entre le loyer, l’épicerie, la facture de téléphone et les rendez-vous chez le médecin, le maigre revenu d’invalidité de Shannon lui a vite filé entre les doigts. Son loyer a commencé à être versé en retard vers janvier, et le propriétaire de son parc de VR où elle habite a alors commencé à la menacer d’expulsion.

Shannon est donc retournée au travail le 27 janvier, un jour avant son anniversaire. «L’expert en sinistres et le gestionnaire du régime d’indemnisation pour accident de travail d’Amazon ont alors décidé que cela prenait trop de temps pour me rendre à mes séances de thérapie à 45 km de l’autre côté de la ville», déclare Shannon. La Commission d’indemnisation pour accident de travail lui avait prescrit six séances de physiothérapie.

Les séances de thérapie étaient à une heure de route en voiture. La thérapie elle-même consistait à faire deux étirements différents pendant 15 minutes. «Le temps de conduire aller-retour, j’avais encore plus mal au dos, sans parler du prix de l’essence.» Elle n’a pu terminer que trois séances avant qu’on lui ordonne de retourner au travail.

«Voici la photo de ma voiture où je vais vivre.»

L’entreprise a donné comme prétexte le «temps excessif consacré à suivre la thérapie» et a annulé l’indemnisation pour accident de travail de Shannon. Le jour même de son retour au travail, Shannon s’est blessée une deuxième fois: «J’ai travaillé une heure et 45 minutes avant de me blesser à nouveau au même poste de travail.» Ce coup-ci, le centre de triage d’Amazon l’a refusée et elle été renvoyée en congé.

Après déductions et retenues, le chèque de paie d’Amazon qui était de 24 $ par semaine ne s’élevait plus qu’à 34 $ aux deux semaines. Plutôt que de continuer à se rendre chez le thérapeute choisi par la compagnie d’assurance d’Amazon, Shannon a cherché son propre traitement, et a trouvé une jeune physiothérapeute à Azle qui l’a prise en charge: «Je l’adore. Je me sentais bien. Cette fille connaissait son travail et elle avait de la compassion. C’était une fille très compatissante.»

Après sept autres séances de thérapie, Shannon est retournée au travail en mars, mais ne pouvait travailler que quelques heures seulement par nuit. «Je ne pouvais pas me tenir droite. C’est toujours le même mouvement répétitif. Ça me tuait le dos. La blessure était toujours là. Ça s’était calmé avec la thérapie, mais là ça s’est encore aggravé. J’ai l’impression que quelqu’un m’a planté un couteau dans le dos et qu’il est toujours là.»

«J’ai travaillé presque un mois à deux heures par nuit. Juste me rendre au travail me prenait tout l’argent pour l’essence. Je ne faisais rien du tout. Je n’avais plus d’indemnités d’accident de travail. À travailler huit heures par semaine, vous pouvez imaginer pourquoi je prenais du retard sur le loyer. Mon chèque de paie était de 105 $. Je donnais 50 $ à mon propriétaire et je gardais le reste. J’allais travailler sans manger.»

Shannon a cessé de travailler en avril. «Je viens de leur dire que je ne pouvais plus continuer.» Ce qui a suivi est une série de visites frustrantes chez le médecin. Le premier groupe de médecins lui a dit qu’elle devrait éviter de s’abaisser ou de se pencher, mais a ensuite changé d’avis et l’a déclarée apte à retourner au travail. Les efforts d’Amazon pour «l’accommoder» ont consisté à lui offrir de décharger des camions, soulever des palettes, déplacer des palettes et déplacer des bacs.

Lors d’une rencontre en avril, le gestionnaire du régime d’indemnisation pour accident de travail d’Amazon a déclaré à Shannon que le directeur de la sécurité de l’entreprise avait déterminé qu’elle n’avait pas besoin de mesures d’adaptation pour son travail. «Je ne savais pas qu’il était allé à l’école de médecine,» lui a répondu Shannon. Lors d’une rencontre ultérieure, Shannon a failli perdre son sang-froid: «Je déteste cet endroit. J’ai l’impression de travailler dans un camp de prisonniers. Sais-tu ce que c’est que de travailler 10 heures par nuit et de ne pouvoir parler à personne?»

Shannon Allen a pris cette photo de l’entrepôt où elle s’est blessée.

Shannon a apporté son arme au prêteur sur gages, l’une de ses rares possessions de valeur, pour survivre. «Je ne pouvais pas passer un autre jour sans manger, explique-t-elle. J’ai enfin pu acheter de la nourriture et il me restait un peu d’argent.»

Elle est allée voir un autre médecin pour obtenir un deuxième avis. Ce médecin a dit qu’il ne comprenait pas pourquoi elle était déclarée apte à retourner au travail. Il a dit qu’elle était gravement blessée, lui a ordonné de s’absenter du travail pendant un mois et a mentionné qu’elle pourrait avoir besoin d’une intervention chirurgicale. Cependant, ce diagnostic a été infirmé par un «groupe d’examen par les pairs», qui a déterminé que les blessures de Shannon étaient causées par la «vieillesse» et non par le fait de travailler chez Amazon.

«C’est vraiment comme ça que cela s’est passé, dit Shannon. Je n’ai rien embelli. Tout ce qui compte pour eux, c’est les profits.»

«J’ai cherché en ligne toutes les maisons de Jeff Bezos. Ça m’a mise en furie. Pendant qu’il roule sur l’or, moi chez nous, j’ai juste une lumière d’allumée la nuit. Lui, il a toutes les lumières d’allumées. Pendant qu’il est à l’aise avec ses millions et ses millions et ses milliards, nous, on transpire comme des chiens dans ses entrepôts. J’appelle ça des conneries. Il y a des gens qui vivent dans le terrain de stationnement de DFW-7. Je l’ai vu de mes propres yeux. Ils vont se laver dans la salle de bains. Ils mangent chez Amazon. Ils ont des aliments réfrigérés que vous pouvez acheter à des prix bien plus élevés que les prix normaux.»

«Je veux que les gens qui sont dans la même position sachent qu’ils ne sont pas seuls, dit Shannon. Cela se passe partout, partout dans le monde. Je ne suis que l’une des centaines de milliers de personnes qui ressentent exactement la même chose, mais qui ont trop peur de parler.»

(Article paru en anglais le 8 mai 2018)

Loading