Deux études révèlent que l’espérance de vie aux États-Unis diminue à mesure qu’augmente la mortalité chez les jeunes adultes

Alors que la plupart des pays à revenu élevé ont connu une baisse de l’espérance de vie en 2015 pour la première fois depuis des décennies, seuls les États-Unis et le Royaume-Uni ont vu cette tendance inquiétante se poursuivre en 2016.

La baisse récente de l’espérance de vie aux États-Unis est due en partie, mais non exclusivement, aux surdoses de drogues, au suicide et à l’alcoolisme. Au cours des quinze dernières années, les décès chez les Américains d’âge moyen ont également été attribués à des maladies du cœur, des poumons et d’autres organes, ainsi qu’à des troubles mentaux et de comportement.

Ce sont là les résultats de deux études publiées la semaine dernière dans la revue BMJ (auparavant appelée le British Medical Journal). La baisse continue de l’espérance de vie aux États-Unis – et l’augmentation de la mortalité chez les jeunes adultes dans tous les groupes ethniques – indique que des causes sociales systémiques sont à l’origine de cette crise.

La première étude, réalisée par les sociologues Jessica Ho de l’Université de Californie du Sud et Arun Hendi de l’Université de Princeton, a examiné les tendances de l’espérance de vie dans 18 pays dits à revenu élevé: Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Danemark, Espagne, États-Unis, Finlande, France, Italie, Japon, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Suède, Suisse et Royaume-Uni.

L’étude s’est concentrée sur les années 2014 à 2016, car des recherches antérieures avaient montré que l’espérance de vie avait diminué considérablement entre ces deux années. Ho et Hendi ont constaté que 14 des pays étudiés ont connu une baisse de l’espérance de vie des hommes et des femmes de 2014 à 2015. Seuls l’Australie, le Japon, le Danemark et la Norvège faisaient exception.

Espérance de vie à la naissance pour 18 pays développés (Source: BMJ)

La baisse de l’espérance de vie était généralement attribuable à la saison grippale exceptionnellement grave de 2014-2015. Les principales causes de décès survenus au cours de cette période dans les pays étudiés ailleurs qu’aux États-Unis comprenaient la grippe et la pneumonie, les maladies respiratoires, les maladies cardiovasculaires, la maladie d’Alzheimer, ainsi que les troubles mentaux et du système nerveux. La plupart de ces décès sont survenus chez les plus de 65 ans.

Mais alors que de nombreux pays ont connu un rebond de leur espérance de vie en 2016, les États-Unis et le Royaume-Uni ont continué d’enregistrer une baisse de l’espérance de vie pendant deux années consécutives. Bien que l’épidémie des opioïdes – ainsi que les maladies hépatiques liées à l’alcool, et les suicides – aient été considérés comme les principaux responsables de ces baisses de l’espérance de vie aux États-Unis, les taux de mortalité ont augmenté dans un vaste éventail de maladies impliquant plusieurs systèmes corporels. Les blessures impliquant des véhicules à moteur ont également été un facteur clé.

Bien que l’étude n’ait pas été conçue pour déterminer les raisons de la diminution de l’espérance de vie aux États-Unis et au Royaume-Uni, les auteurs supposent que l’accroissement des inégalités sociales et économiques et la diminution de l’accès à des soins de santé de qualité parmi certains groupes de la population peuvent être de puissants facteurs contributifs. Ho et Hendi écrivent: «Il est possible que la présence de plus grandes inégalités au sein d’un pays rende celui-ci plus vulnérable au déclin de l’espérance de vie.»

D’autres pays à revenu élevé connaissent également des inégalités de revenu, mais celles-ci se sont accrues à un rythme beaucoup plus rapide aux États-Unis. Les auteurs ajoutent que ces inégalités croissantes peuvent expliquer pourquoi les États-Unis «ont l’espérance de vie la plus faible de tous les pays développés à revenu élevé, et que les Américains s’en tirent si mal dans tout le vaste éventail d’âges, de conditions de santé et de causes de décès par rapport à leurs homologues des autres pays.»

La deuxième étude de la revue BMJ a été menée par Steven Woolf, épidémiologiste social à l’Université du Commonwealth de Virginie. Son étude a examiné les taux de mortalité chez les Américains âgés de 25 à 64 ans de tous les groupes raciaux et ethniques entre 1999 et 2016.

Des recherches antérieures avaient montré que les «décès en milieu défavorisé» – dus aux surdoses, à l’alcoolisme et aux suicides – ont été les principaux moteurs d’une augmentation de la mortalité chez les Américains d’âge moyen au cours de la dernière décennie et demie. Cependant, les recherches de Woolf ont également révélé une augmentation significative des décès dus aux maladies cardiaques, pulmonaires et autres maladies organiques, ainsi qu’à des troubles mentaux et de comportement. Woolf avait déjà fait une déclaration reprise par la revue BMJ que «L’épidémie des opioïdes ne constitue que la pointe de l’iceberg.»

Les chercheurs ont constaté qu’entre 1999 et 2016, la mortalité toutes causes confondues en milieu de vie aux États-Unis a connu une hausse significative de 5,6 % chez les Blancs non hispaniques. Les taux de mortalité toutes causes confondues avaient diminué au cours de la première moitié de cette période jusqu’en 2009 chez les Autochtones non hispaniques et insulaires du Pacifique, jusqu’en 2010 chez les Noirs non hispaniques, jusqu’en 2011 chez les Hispaniques et jusqu’en 2012 chez les Blancs non hispaniques.

Par la suite, tous ces taux de mortalité se sont mis à se maintenir ou à augmenter dans tous les groupes. Les progrès réalisés dans la réduction de la mortalité en milieu de vie due aux maladies cardiaques, au cancer, au VIH et à d’autres maladies ont été compensés par une augmentation statistiquement significative des décès dus à des causes externes: surdoses de drogues, intoxication alcoolique, suicides et diverses maladies organiques.

L’équipe de Woolf fait remarquer que «Le modèle de mortalité chez les défavorisés qui avait commencé dans certains groupes dans les années 1990 se propage maintenant aussi parmi les Hispaniques et les Noirs non hispaniques, un développement nettement plus conséquent» du fait que ces deux groupes présentaient déjà des taux de mortalité plus élevés au départ.

Les chercheurs ont également constaté que l’écart entre les sexes se rétrécit. Bien que les hommes d’âge moyen aient encore des taux globaux de mortalité plus élevés que les femmes d’âge moyen, l’augmentation relative des surdoses de drogues mortelles et des suicides était plus élevée chez les femmes.

La recherche sur l’espérance de vie s’est récemment concentrée sur la mortalité des Blancs dans les zones rurales défavorisées. Toutefois, l’étude de la revue BMJ montre que les Blancs non hispaniques et les Hispaniques ont connu la plus forte augmentation proportionnelle de décès par surdose de drogues en zones périurbaines, tandis que les plus fortes augmentations de décès pour les Noirs non hispaniques se sont produites dans les petites villes. Les Amérindiens et les Inuits de l’Alaska vivant en région métropolitaine ont quant à eux connu une augmentation relativement plus importante du nombre de suicides que leurs homologues des régions rurales.

Les chercheurs mettent en garde que cette augmentation du taux de mortalité chez les Américains d’âge moyen «signale une cause systémique et justifie une action rapide de la part des décideurs politiques pour s’attaquer aux facteurs responsables du déclin de la santé aux États-Unis». Comme l’ont fait remarquer à juste titre les auteurs de la première étude de la revue BMJ: «Il est possible que la présence de plus grandes inégalités au sein d’un pays rende celui-ci plus vulnérable au déclin de l’espérance de vie.»

Ils suggèrent que les solutions à l’épidémie de surdose de médicaments pourraient inclure de meilleurs programmes de surveillance des médicaments d’ordonnance, l’élargissement de l’accès aux traitements de la toxicomanie, l’établissement de centres d’injection supervisés et de programmes d’échange de seringues, et l’augmentation de la disponibilité de la naloxone pour contrer les surdoses.

Les chercheurs affirment également que des politiques sociales correctives devraient s’attaquer «aux conditions sociales et économiques sous-jacentes qui peuvent sous-tendre la consommation de drogues». Ce sont précisément ces conditions sous-jacentes qui se sont aggravées sous les administrations américaines successives et du fait de l’attaque bipartite contre les programmes sociaux dont dépendent des millions de travailleurs et leurs familles.

L’aide sociale en argent a été pratiquement éliminée sous Bill Clinton. La réduction des coupons alimentaires, qui s’est intensifiée sous l’administration Obama, s’est poursuivie sous Donald Trump. Le président actuel a certes déclaré que l’épidémie des opioïdes était une «urgence de santé publique», mais il n’a alloué aucun nouveau financement aux États pour faire face à la crise.

Il convient de noter que la première étude de la revue BMJ a révélé qu’entre 2010 et 2016, l’espérance de vie aux États-Unis avait stagné puis diminué, tandis que d’autres pays à revenu élevé ont connu des augmentations, certes modestes mais régulières de l’espérance de vie. Dans le sillage de la Grande Récession, la classe ouvrière a continué de voir ses conditions de vie se dégrader tandis que les deux grands partis du monde des affaires ont renfloué les banques et les super riches et continué de remplir leurs comptes bancaires aux dépens de la grande majorité.

Alors que les nouveaux taux d’espérance de vie en baisse aux États-Unis devraient sonner l’alarme, aucune réponse de ce genre n’a été obtenue de la Maison-Blanche ou du Congrès. Tous deux sont également restés silencieux lors de la récente publication d’un rapport de l’agence fédérale américaine CDC (Centers for Disease Control and Prevention) selon lequel 72.000 personnes sont mortes d’une surdose de drogue en 2017 aux États-Unis.

L’espérance de vie est l’un des indices les plus importants de la santé d’une société. L’augmentation des taux de mortalité – chose impensable dans les temps modernes, sauf dans les périodes d’épidémies et de guerres mondiales – est un avertissement à la classe ouvrière qu’elle doit développer une réponse socialiste à cette urgence sanitaire.

Les centaines de milliards de dollars alloués à l’appareil militaire américain pour mener ses multiples guerres doivent être détournés pour financer des centres de réhabilitation, des centres de santé mentale, des hôpitaux et des cliniques utilisant les méthodes scientifiques et les traitements les plus récents. Les richesses des entreprises pharmaceutiques, des chaînes d’hôpitaux géantes et des compagnies d’assurance privées doivent être expropriées et placées sous le contrôle des travailleurs. Un système de soins de santé socialisé doit être mis en place afin de donner accès à des soins de santé gratuits et de la plus haute qualité pour tous.

(Article paru en anglais le 21 août 2018)

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