Mélenchon appuie tacitement la ligne xénophobe de l’Insoumis Kuzmanovic

Jean-Luc Mélenchon a gardé le silence pendant deux semaines après que le responsible France insoumise (LFI) chargé des questions géopolitiques, Djordje Kuzmanovic, se soit posé en défenseur des Français face aux travailleurs immigrés. Il avait salué le mouvement xénophobe «Aufstehen» lancé par l’allié allemand de Mélenchon, Sahra Wagenknecht. Par son silence, Mélenchon donne un soutien tacite à des forces au sein de LFI qui poussent vers le populisme de droite.

Réagissant début septembre dans L’Obs sur la création d’Aufstehen pour prôner la militarisation de l’Union européenne et l’hostilité envers les réfugiés, qui voleraient le gagne-pain des ouvriers, l’ex-para Kuzmanovic a dit que LFI devrait récupérer le vote ouvrier sur un programme nationaliste.

Il a déclaré: «Certains électeurs de gauche basculent vers les populismes de droite, mais le problème principal est qu’une large partie des catégories populaires s'abstient. S’il y a un électorat à récupérer, c’est bien celui-là! Le risque, si nous n’y arrivons pas, est de se retrouver dans une situation similaire à l’Italie, où les forces progressistes sont en miettes et la droite xénophobe au pouvoir. Le discours que tient Sahra Wagenknecht sur la question migratoire me semble donc être de salubrité publique.»

Kuzmanovic a également réclamé que les forces de l’ordre déportent «rapidement» tout réfugié auquel elles refuseraient le droit d’asile, en prétendant que cette politique serait «marxiste.»

L’interview dans L’Obs a provoqué des remous au sein de LFI. Quelques jours après sa parution, Mélenchon a donc demandé à L’Obs de supprimer la description de Kuzmanovic en tant que «conseiller» de Mélenchon de l’article. Mélenchon a également demandé à L’Obs d’ajouter une note de sa part, qui dit: «Le point de vue qu'il exprime sur l'immigration est strictement personnel. Il engage des polémiques qui ne sont pas les miennes.»

Cette tentative de prendre ses distances de Kuzmanovic est politiquement malhonnête, car LFI n’a aucune divergence fondamentale avec Kuzmanovic et Aufstehen. Il tente seulement d’éviter que les positions xénophobes au sein de l’appareil de LFI ne discrédite son mouvement auprès de ses électeurs. En effet, ceux-ci ont voté pour Mélenchon afin de marquer leur opposition aux frappes de Trump en Syrie, aux noyades de réfugiés en Méditerranée, aux néo-fascistes et au nationalisme.

Mais les déclarations des dirigeants de LFI temoignent du large soutien dont disposent les positions xénophobes de Kuzmanovic au sein de l’appareil du mouvement.

Alexis Corbière, député et porte parole de LFI, a déclaré son soutien pour Kuzmanovic: «Djordje est un ami, intelligent et précieux, qui ne mérite pas la caricature grossière dont il est victime».

Les Inrockuptibles ont cité un «historique» de LFI qui expliquait que Kuzmanovic servait de fusible pour Mélenchon: «Quand je lis l’interview, je n’ai pas l’impression que Djordje diverge de ce que Jean-Luc affirme dans son discours de Marseille.» L’historique a ajouté: «Ça ressemble plus à une tactique qu’à une question de désaccord de fond. Il sert de fusible en quelque sorte sur cette question de l’immigration. Personne n'aurait osé s'en prendre à Jean-Luc frontalement.»

Revenant sur l’interview dans L’Obs, Kuzmanovic a dit regretter dans l’interview «d’avoir ajouté ‘Et rapidement’, à propos des personnes qu’on devait renvoyer chez elles car déclarées non-éligibles au droit d’asile.» Mais il a ajouté: «Les journalistes peuvent chercher ce que Jean-Luc Mélenchon a pu dire sur ces questions-là et comparer à ce que j’ai répondu… Si c’est si différent que ça, alors j’ai mal suivi la musique.»

En effet, quatre jours avant la parution de l’interview dans L'Obs, Jean-Luc Mélenchon soutenait l’intiative de Wagenknecht applaudi par Kuzmanovic, en publiant un post Facebook invitant à lire et «comprendre dans le texte» un article de Libération citant Wagenknecht: «Plus d’immigration signifie de plus en plus de concurrence pour les emplois [...] Et, bien sûr, une plus grande charge sur l’infrastructure sociale.»

Le soutien tacite de Mélenchon à la ligne xénophobe de Kuzmanovic et Wagenknecht démasque le l’hostilité essentielle de LFI envers une politique marxiste et envers la classe ouvrière, qu’ils tentent de diviser sur des lignes nationales. Alors que la colère ouvrière monte contre Macron et sa politique de casse sociale, la direction de LFI tente de freiner un mouvement vers la gauche parmi les travailleurs.

Elle préfère diffuser parmi les travailleurs une ligne xénophobe compatible avec l’extrême-droite, voire carrément inviter Les Républicains (LR, de droite) parler à l’université d’été de LFI sur les questions de défense.

Comme écrivait le WSWS sur l’interview de Kuzmanovic, «La fondation plus récente de Die Linke, Syriza, Podemos, LFI et à présent d’Aufstehen n’ont été au fond qu’un toilettage en surface des tendances nationalistes et petite-bourgeoises, d’origine stalinienne ou pabliste—comme Mélenchon, qui a commencé en politique dans l’Organisation communiste internationaliste de Pierre Lambert, qui avait rompu avec le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) et avec le trotskysme en 1971. Il a rejoint le PS en 1976 pour ensuite travailler étroitement avec Mitterrand.»

Ceci démasque ce qu’a été la stratégie de Mélenchon et la nature de sa rupture avec le PS. Après les défaites du PS entre 2002 et 2007 en raison de l’hostilité des travailleurs envers les gouvernances de Mitterrand et de Jospin, Mélenchon a essayé de reconstituer la Gauche plurielle de Jospin via le Parti de gauche et le Front de Gauche en 2009. Il y travaillait avec des tendances pablistes, staliniennes et vertes afin de récupérer des électeurs à la gauche du PS.

Quand l’effondrement de la popularité de Hollande après son élection en 2012 a discrédité le PS, Mélenchon a déclaré la mort de la gauche et du socialisme dans L’ère du peuple. Les positions réactionnaires et antimarxistes qu’il y adoptait, sous couvert de mettre à jour le logiciel de lutte des classes populaires au 21e siècle, préparaient des appels de pied en direction de l’extrême-droite.

Dix ans après la crise mondiale du capitalisme de 2008, l’accroissement des inégalités, les menaces de guerre et l’instauration d’un état policier engendrent une radicalisation internationale de la classe ouvrière. Mélenchon et les classes moyennes aisées politiquement actives qu’il représente évoluent rapidement vers la droite, accompagnant ainsi l’ensemble de la politique européenne officielle.

Wagenknecht dialogue en Allemagne avec l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) néo-fasciste, alors que Podemos applaudit la politique du ministre néo-fasciste Salvini en Italie tout en restant silencieux sur la déportation des migrants. Tous prennent comme modèle Syriza en Grèce qui mène une politique austéritaire et anti-réfugiés au gouvernement, en coalition avec les Grecs indépendants (Anel) d’extrême-droite.

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