Une enseignante mobilisée s'exprime sur l'austérité de Macron et les luttes

Des journalistes du WSWS ont rencontré Nadia, une enseignante dans un lycée professionnel de la région parisienne mobilisée hier contre les réformes de Macron. Elle a répondu à leurs questions sur les conditions de travail dans l'Education nationale et exposé son point de vue sur les perspectives pour les luttes de la classe ouvrière en France et en Europe.

Pourquoi êtes-vous venue manifester aujourd'hui?

Je suis enseignante en lycée professionnel, j'enseigne les lettres et l'histoire. A ce titre je suis venue manifester parce qu'en lycée professionnel, l'enseignement général est très très malmené par la réforme. C'est-à-dire que les heures d'enseignement général en particulier le français et d'histoire vont être diminuées de moitié voire même un peu plus et le français va se retrouver assujetti complètement à l'enseignement professionnel.

Ce que nous avons compris de cette réforme, c'est que les élèves de lycée pro qui sont souvent issus de milieux très défavorisés n'ont plus droit à une certaine culture, à la littérature, à une dimension symbolique des textes et des idées. On va se contenter de faire du français utilitaire, fonctionnel au service de certaines professions. Voilà, donc c'est ma première motivation.

Ensuite, bien évidemment nos statuts sont attaqués. Nous risquons de passer sous la domination de la région, de ne plus être éducation nationale. Bon tout ça c'est encore un peu flou, ce n'est pas explicité dans les rapports, mais tout de même c'est en toile de fond. C'est un deuxième point pour lequel je suis présente ici. Mais ma première motivation, c'est que l'enseignement général en lycée professionnel tend à être réduit à presque rien, et ça me désole au plus haut point.

Il y a des pertes au niveau de l'emploi, alors c'est pareil les chiffres sont flous. On a entendu trois mille, sept mille. Toujours est-il que je suis jury de concours et que jusqu'à présent normalement à cette époque de l'année on connait le nombre de postes ouverts au concours. ... Nous ne savons toujours pas combien de postes seront ouverts au concours. Alors on ne sait pas s'ils veulent en fait transformer les fonctionnaires en contractuels purement et simplement. C'est possible, car le nombre de contractuels a explosé ces dernières années.

Quelle est la progression du nombre de constractuels dans l'Education nationale?

Ils représentent presque un tiers des personnels de l'éducation nationale, administratif compris,.... On a au moins un quart des effectifs d'enseignants qui sont des contractuels donc des contractuels de deux ans avec des contrats de deux ans. Mais là cette année on a vu réapparaître des contrats extrêmement courts de 15 jours un mois deux mois. Leurs conditions de travail sont la plupart du temps très difficiles parce qu'ils jonglent entre plusieurs établissements et ils récupèrent les classes les moins faciles.

Que pensez-vous des commentaires de Macron, qui dit que Philippe Pétain était un grand général de la Première Guerre mondiale qu'il faut honorer aujourd'hui?

On marche sur la tête. Monsieur Macron a des positions intempestives sur tout un tas de points, notamment sur un homme qui a marqué tristement l'histoire de la France qui était tout de même à la tête du régime de Vichy. ... C'est hallucinant d'entendre ce propos aujourd'hui, hallucinant.

La casse du statut des cheminots, le statut de la fonction publique, les retraites payées par l'Etat, la Sécurité sociale, ce sont tous des acquis de la lutte contre le fascisme, établis à la Libération par une bourgeoisie qui craignait une révolution contre le régime pétainiste. Voyez-vous un lien entre la répudiation de ces acquis par Macron et l'admiration que l'on découvre qu'il porte pour Pétain?

C'est fort possible. Je vois un lien entre toutes les attaques depuis le code du travail l'an dernier, les cheminots au début de cette année. Maintenant c'est nous. Effectivement c'est tous les acquis du Conseil national de la Résistance qu'il veut faire voler en éclats. On sait très bien que ce Conseil national de la Résistance était tout de même composé de nombreux communistes, socialistes que ce sont leurs idées qui ont réussi à émerger. Et oui, Macron, il se peut que cette remarque ait révélée finalement ses sympathies pour l'extrême-droite française qui est toujours présente.

Avez-voussuivi la campagne pour réhabiliter Hitler dans la presse allemande?

Alors là aussi j'ai suivi d'un peu loin cette affaire-là. C'est à nouveau la montée des néo nazis, notamment face à la présence des migrants. Et oui, c'est très inquiétant.

Je ne sais pas si vous avez aussi vu avant la visite de Trump à Paris, il avait annoncé le retrait du Traité sur les armes nucléaires à portée intermédiaire. Que pensez vous de la montée des menaces de guerre en Europe, est-ce un sujet suivi aussi par vos lycéens et les étudiants?

Je sais que oui on c'est quelque chose qui intéresse et qui inquiète bien évidemment puisque oui oui bien sûr les bottes les bruits de bottes s'entendent maintenant clairement. Que ce soit du côté de Trump ou du côté de la Russie. ... Oui, c'est très inquiétant.

Cela rappelle de mauvais souvenirs de l'entre-deux-guerres. On avait à peu près à peu près les mêmes les mêmes schémas, des crises sociales forcément après le crash boursier de Wall Street. Voilà les crises se sont enchaînées en Europe et parallèlement on repense aux républicains espagnols ou à 36, la montée du Front populaire en France. On voyait bien qu'il y avait à la fois du fascisme et en même temps des aspirations à une autre société, une société non capitaliste.

Donc oui il y a des similitudes entre l'entre deux guerres et aujourd'hui c'est clair et c'est très inquiétant aussi. Une guerre, ce serait tragique compte tenu des armes que nous avons aujourd'hui.Alors là il y a le péril de la guerre effectivement mais il y a aussi le réchauffement climatique, tout de même, les problèmes du climat qui sont également très inquiétants. Donc il est temps de mettre un peu à plat les choses et de repartir sur de nouvelles bases.

Tous les partis politiques de «gauche» issus du milieu stalinien ou des étudiants postsoixantehuitards ont refusé de prendre position au second tour des présidentielles en 2017. Ils ont seulement laissé entendre qu'ils ne voulaient pas que Le Pen passe, ce qui était une manière de dire que quand même il faut voter Macron pour éviter Le Pen. Vu qu'on sait à présent que Macron a tellement de sympathie pour Pétain, que pensez-vous de leur décision à présent?

Je n'ai pas voté, j'ai voté blanc Je me suis refusé de voter pour Macron, connaissant l'homme, ses sympathies pour les milieux banquiers et son positionnement sur différents points, je ne me faisais aucune illusion. Le chantage à l'extrême droite, il a déjà été joué en France depuis des décennies, depuis Mitterrand. C'est lui qui a instrumentalisé un peu cette histoire de l'extrême droite. En fait, elle sert bien cette extrême droite. Je ne veux pas tomber dans le complotisme, mais tout de même, il y a des mécanismes là qui nous amènent à voter d'une certaine façon ...

Pour ma part, je ne joue plus à ça, et donc la peur de l'extrême droite ça ne fonctionnera pas. En tout cas pas pour les élections en ce qui me concerne.

Que pensez-vous du rôle des syndicats?

J'ai été très longtemps à la CGT. Je ne suis plus, mais je suis partagée. Il nous faut des organisations, nous manque toujours ça. Maintenant, je me souviens de grandes grèves en 2003 qui avaient été importantes, puissantes. Pour ma part on n'avait fait grève plus de deux mois, donc j'avais été obligée de vendre ma voiture. J'étais dans une situation économique compliquée et au printemps, on arrivait au moment des examens. On leur avait dit qu'il faut bloquer les examens, on ne va pas aux examens, on ne fait pas les examens.

Les syndicats ne nous avait pas suivis et nous avait dit, vous prenez vos responsabilités si jamais vous bloquez les examens. J'avais été extrêmement choquée par deux mois de grève pour finalement baisser les bras et se dire c'est terminé, on rentre chez nous, on n'obtient rien. A partir de ce moment-là, les maîtres les grèves et les manifestations en tout cas dans le milieu enseignant ont décliné très nettement c'est à dire que il y a eu de gros gros mouvements jusqu'à peu près en 2003. Après ça a été terminé. Alors je pense qu'ils sont en partie responsables d'une certaine démobilisation.

Est-ce que vous comptez sur Mélenchon, souhaitez-vous appuyer sa politique?

Monsieur Mélenchon, c'est une chose, je ne vais pas entrer dans les polémiques sur l'homme. Son parti et les gens qui travaillent avec lui, il y a des choses intéressantes dans ce qu'ils ont proposé comme programme. Ce qui m'a gênée, moi, c'est ce qui en ce qui concerne l'Union européenne, je pense qu'il est impossible de réformer l'Union européenne de l'intérieur. Je n'y crois pas. Je crois qu'il faut mettre tout par terre. Au niveau économique, il faut que les choses se passent vraiment tout autrement.

Donc la France insoumise, c'est ce vers quoi je me dirigerais parce que c'est moins pire pour l'instant. Maintenant ça ne me satisfait pas non plus complètement, parce que je pense qu'ils ne vont pas assez loin dans certains domaines ... Il n'y a qu'une remise en cause, sans proposition d'une autre organisation de société.

Ils ont tous une optique nationaliste ...

Oui, tout à fait ils sont nationalistes, ils n'ont pas été capables d'unir ne serait-ce qu'en Europe, et pourtant c'était facile avec la Grèce à un moment donné, il y a eu des ponts importants avec la Grèce. Il y a eu des ponts avec l'Espagne, il y a eu des mouvements les indignés qu'ils auraient pu fédérer mais là, très très curieusement les syndicats ont réagi de façon très timide, les partis sont restés en retrait de ces mouvements ...Ils n'ont pas rebondi sur ces initiatives qui auraient peut-être pu déboucher sur quelque chose.

Mais je ne suis pas complètement pessimiste, je pense qu'il faut du temps et que les choses vont se s'agréger petit à petit, parce que en revanche ce qui est sûr c'est qu'il y a une vraie colère, donc elle finira par aboutir.

La grève de 2003 a été une expérience extrêmement importante. Aux élections de 2002 il y avait eu aussi 3 millions de voix pour «l'extrême-gauche», Lutte ouvrière et la Ligue communiste révolutionnaire. Je suis d'accord avec vous qu'ils ne proposent pas de projet, le WSWS les critique là-dessus, mais il y a eu une très forte poussée à gauche dans l'opinion. Comment vous expliquez-vous le fait qu'ils n'aient pas pu construire un parti qui exprimerait les attentes des 3 millions d'électeurs qui avaient voté pour l'extrême-gauche?

Alors ça, je ne me l'explique pas. Je pense que c'est un drame, je crois que l'Italie vit à peu près la même chose. On retrouve ça dans pas mal de pays ... Pourtant les mécontentements sont un peu partout. Je ne me l'explique pas je ne sais pas si c'est un un problème purement individuel d'égo. J'aurais tendance à le penser.

Le WSWS a un lectorat international important, y compris parmi les enseignants qui se sont mobilisés aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Y a-t-il quelque chose que vous voudriez leur dire?

Je pense que tout seul chacun dans notre coin on ne s'en sortira pas. Il serait bon qu'on arrive à unir et à concentrer nos forces à travailler ensemble, parce que de toute manière je crois que les attaques sont les mêmes un peu partout que ce soit en Europe ou outre-Atlantique. On arrivera à quelque chose qu'à condition d'unir nos forces.

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