Le syndicat de Postes Canada reste muet sur la menace de Trudeau de criminaliser la grève

Le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) n'a pas dit un mot en réponse à la menace du premier ministre Justin Trudeau d'interdire les recours collectifs contre la société d’État Postes Canada.

Jeudi dernier, Trudeau a dit au Parlement que «toutes les options seront sur la table» si le syndicat ne parvient pas rapidement à une entente de principe avec Postes Canada et met fin à sa campagne de trois semaines de grèves tournantes locales d'un et deux jours.

Si Trudeau n'a pas fait spécifiquement mention d'une loi de retour au travail, c'est parce qu'il n'y était pas obligé. Au cours des 40 dernières années, les gouvernements fédéraux libéraux et conservateurs ont criminalisé une demi-douzaine de grèves postales.

Lundi, après plusieurs autres jours au cours desquels, selon le syndicat, Postes Canada a refusé avec mépris de répondre aux préoccupations des travailleurs et travailleuses des postes concernant «la santé et la sécurité, l’embauche adéquate, la surcharge de travail, la sécurité d'emploi, une réduction de l'emploi précaire, un salaire équitable pour tous et un meilleur équilibre travail-famille», une assistante de la ministre du Travail Patty Hadju a rappelé la menace de Trudeau.

«Si les parties ne parviennent pas à conclure une entente négociée très rapidement, a déclaré Véronique Simard à la Presse canadienne, le gouvernement utilisera toutes les options pour trouver une solution afin de réduire les répercussions pour les Canadiens, les entreprises, Postes Canada et leurs travailleurs.»

La direction de Postes Canada a annoncé mardi qu'en raison des perturbations causées par les grèves tournantes, elle ne peut plus respecter ses garanties de service (délai de livraison) et qu'elle les suspend indéfiniment, ce qui constitue un prétexte évident pour une intervention gouvernementale.

Aucun employé des postes ne devrait douter de ce que signifie le silence du syndicat face à la menace imminente d'une loi visant à briser la grève.

Le STTP se prépare à capituler devant Postes Canada et le gouvernement propatronal des libéraux, que ce soit en acceptant un accord de concessions pourri, en prétendant qu'il est préférable de permettre à un arbitre nommé par le gouvernement de dicter les conditions d'emploi des employés des postes, ou en se soumettant à une loi gouvernementale de retour au travail comme il l’a fait en 2011.

Dès le départ, il était évident que Postes Canada s'en remettrait, comme la société le fait depuis des décennies, à la menace d'une intervention gouvernementale pour intensifier ses efforts en vue de saccager les droits des travailleurs et d'accroître leur charge de travail dans le cadre de ces négociations contractuelles.

Mais les dirigeants du STTP ont soigneusement évité toute discussion sur cette menace. Cela aurait immédiatement révélé que les postiers sont confrontés à une lutte politique contre le gouvernement libéral et qu'il est urgent de lier leur lutte contre les concessions et les suppressions d'emplois et de services à une mobilisation plus large de la classe ouvrière pour la défense de tous les services publics et des droits sociaux des travailleurs.

Au lieu de cela, le STTP a imposé aux 50.000 postiers la même stratégie désastreuse qu'en 2011 qui s'est traduite par un contrat qui a imposé de nombreuses compressions, y compris des réductions de pensions et l'expansion des salaires à plusieurs niveaux et des emplois précaires.

Comme en 2011, le STTP a limité les mesures d'intervention à des grèves tournantes inefficaces. Et il a fallu presque un mois après que les postiers ont obtenu le droit de grève légal pour qu’elles soient lancées.

Le président du STTP, Mike Palecek, n'a fourni aucune explication aux travailleurs des postes pour expliquer l'inaction du syndicat à l'égard du puissant mandat que lui a donné la base pour déclencher une grève nationale illimitée.

Mais la raison d'être de l'appareil du STTP est claire. En tenant les postiers en laisse et en sabotant délibérément l'efficacité de leur grève, les dirigeants du STTP espèrent éviter une confrontation directe avec le gouvernement, tout en dissipant le militantisme des travailleurs.

Et tout comme en 2011, lorsque le gouvernement conservateur Harper a encouragé Postes Canada à imposer un lock-out, puis a invoqué ce geste pour justifier une brutale loi anti-ouvrière, le refus du syndicat de déclencher une grève générale ne fait qu'encourager la direction de Postes Canada et le gouvernement.

La direction du STTP se vante d'être un bastion du militantisme ouvrier. Mais pas moins que le reste de la bureaucratie syndicale, elle est terrifiée par la menace qu'une véritable contre-offensive ouvrière contre l'austérité et la batterie de lois anti-ouvrières représenterait pour le capitalisme canadien, sans parler de leurs propres relations étroites et corporatistes avec les grandes entreprises.

Dirigé par Palecek, le STTP a joué un rôle majeur dans la campagne syndicale «N’importe qui sauf les conservateurs» lors des élections de 2015, qui a aidé à ouvrir la voie au gouvernement libéral dirigé par Justin Trudeau, qui a poursuivi le programme d'austérité et de guerre du gouvernement Harper. Ce programme comprend: l'imposition de l'accord sur les soins de santé de Harper, qui réduira les soins de santé de dizaines de milliards de dollars au cours de la prochaine décennie; une coopération accrue du Canada en matière de sécurité militaire et de frontières avec les États-Unis de Trump; et l'augmentation des dépenses militaires de plus de 70% d'ici 2026.

Pour que la lutte des travailleurs des postes ne soit pas trahie par le STTP ou réprimée par le gouvernement Trudeau, les travailleurs de la base doivent s’emparer de la direction de leur lutte en opposition à l'appareil syndical et en faire le fer de lance d'une offensive industrielle et politique de toute la classe ouvrière contre toute concession. Cela exige la formation immédiate de comités d'action de la base, entièrement indépendants du STTP, dans chaque centre de tri postal, bureau de poste et centre de livraison. Comme première tâche, ces comités devraient immédiatement déclencher une grève nationale contre Postes Canada, préparer le défi de toute loi brisant la grève et mettre fin à l'isolement de la lutte des travailleurs et travailleuses des postes en tendant la main aux autres travailleurs au Canada et à l'étranger.

L'appel lancé par le World Socialist Web Site aux postiers pour qu'ils défient une loi antigrève n'est pas lancé à la légère. L'élite capitaliste considérera cette opposition comme un défi intolérable et aura recours à une répression encore plus grande, déployant la police et les tribunaux dans le but d'intimider les travailleurs et d'écraser la grève.

Il y a quarante ans, le père de Justin Trudeau, Pierre-Elliott Trudeau, a ordonné à la police de faire une descente dans les bureaux des syndicats et a menacé de congédier en masse les employés des postes qui avaient défié une loi de retour au travail pendant une semaine.

Cependant, le facteur le plus important dans la défaite de la grève de 1978 a été le rôle de la direction du Congrès du travail du Canada (CTC) et des politiciens sociaux-démocrates du NPD qui ont saboté le mouvement. Ils ont activement aidé le gouvernement à isoler la grève.

En condamnant Jean-Claude Parrot, alors président du STTP, à trois mois de prison pour avoir autorisé la grève illégale, le juge a cité les propos du président du CTC, Dennis McDermott, qui illustraient la vive hostilité de la bureaucratie syndicale privilégiée envers la lutte ouvrière. Selon McDermott, l’attitude de défi des postiers envers le gouvernement Trudeau menaçait de «nous entraîner sur la voie de l'anarchie» et de «jeter le discrédit total sur le mouvement syndical».

Au cours des décennies qui ont suivi, le CTC et les syndicats dans leur ensemble ont fait un virage encore plus marqué à droite. Ils ont imposé des réductions massives d'emplois et de salaires au nom de la compétitivité des entreprises, se sont de plus en plus intégrés à la gestion et ont ouvertement appuyé les gouvernements du NPD, du Parti québécois et du Parti libéral qui ont imposé toute une série de mesures d'austérité.

Mais si les ennemis qui se dressent contre les postiers sont puissants, leurs alliés potentiels sont beaucoup plus nombreux et plus forts.

Les problèmes auxquels sont confrontés les postiers – baisse du niveau de vie, salaires à plusieurs niveaux, précarité de l'emploi, utilisation par l'employeur des changements technologiques pour réduire les emplois et imposer des accélérations – sont ceux des travailleurs dans l'industrie et dans le secteur public.

Les travailleurs de tout le pays, y compris les travailleurs de la construction du Québec, les cheminots et les enseignants de la Colombie-Britannique, de la Nouvelle-Écosse et de l'Ontario, ont, comme les travailleurs des postes, vu leurs luttes interdites.

Un appel des postiers à l'ensemble de la classe ouvrière pour une contre-offensive contre des décennies d'attaques contre les droits des travailleurs, le démantèlement des services publics et sociaux et la criminalisation de la résistance ouvrière mobiliserait un soutien de masse. De plus, une attitude de défi de la part des postiers au Canada galvaniserait l'appui international, à commencer par les postiers américains, dont les emplois sont menacés par la privatisation, et les travailleurs d'UPS, à qui le syndicat des Teamsters vient d'imposer une convention collective remplie de concessions, mais qui a été rejetée en bloc.

(Article paru en anglais le 14 novembre 2018)

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