Trump exclut toute nouvelle action contre le régime saoudien à propos de l’assassinat de Khashoggi

Le président américain Donald Trump a publié hier une déclaration dans laquelle il explique que les considérations liées à «l’Amérique d’abord» excluent toute nouvelle action contre le régime saoudien pour le meurtre brutal du journaliste dissident Jamal Khashoggi. La seule réponse américaine a été l’imposition de sanctions symboliques la semaine dernière à 17 Saoudiens, que le régime lui-même avait impliqués dans ce crime.

Trump a fait son annonce à la suite de la publication d’affirmations le 16 novembre dans le Washington Post que la «CIA a conclu que le prince héritier Mohammed Ben Salman avait ordonné l’assassinat». Le prince héritier est l’héritier du trône et le chef de facto de la dictature monarchique qui règne sur ce pays riche en pétrole.

Khashoggi, qui s’était brouillé avec le régime et l’avait publiquement critiqué, a été tué à l’intérieur du consulat saoudien à Istanbul, en Turquie, le 2 octobre par une équipe de 15 hommes. Son corps a ensuite été démembré et jeté dans un lieu inconnu.

Trump a écarté une implication saoudienne de haut niveau dans le meurtre de Khashoggi, écrivant: «[I]l se pourrait très bien que le prince héritier ait eu connaissance de cet événement tragique — peut-être qu’il l’a su et peut-être qu’il ne l’a pas su!»

Dans sa déclaration, il a dit sans détour que sa seule préoccupation réelle était «l’intérêt national» de l’impérialisme américain, à savoir ses relations économiques avec la monarchie saoudienne et son soutien à l’agression américaine au Proche-Orient, en particulier contre la Syrie et l’Iran.

Le régime saoudien, a-t-il déclaré, avait «accepté de dépenser et d’investir 450 milliards de dollars» aux États-Unis, dont 110 milliards en achats d’équipements militaires. Si les États-Unis annulaient les contrats, «la Russie et la Chine en seraient les énormes bénéficiaires». L’Arabie saoudite, a-t-il poursuivi, a été «un grand allié dans notre très important combat contre l’Iran». C’était aussi le plus grand pays producteur de pétrole après les États-Unis et il avait été «très réceptif à mes demandes de maintenir les prix du pétrole à des niveaux raisonnables».

Selon des sources du Washington Post, ainsi que des déclarations d’agences turques, les preuves que le meurtre de Khashoggi a été ordonné par le prince héritier sont accablantes.

Le Post a rapporté que les services de renseignements américains avaient intercepté un appel du prince héritier à l’ambassadeur saoudien en Turquie, Khalid Ben Salmane, lui demandant de donner l’assurance à Khashoggi qu’il pouvait récupérer en toute sécurité les documents de divorce au consulat. Il a été assassiné dans les «moments» qui ont suivi son entrée dans le bâtiment. Un membre de l’équipe a alors appelé un haut-commissaire du prince héritier pour lui signaler que l’opération était terminée.

La version des événements qui a été donnée tardivement par le régime saoudien — après avoir insisté pendant plus de deux semaines pour dire que Khashoggi a quitté le consulat indemne — est que le meurtre n’était pas planifié et était une «terrible erreur». C’était le résultat d’un «combat» au cours duquel le journaliste est mort, après quoi les autorités avaient cherché à «dissimuler» ce qui s’était passé.

Le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Jubeir a déclaré qu’une enquête saoudienne avait montré que «le prince héritier» n’avait «rien à voir avec cette question». Onze personnes ont été arrêtées en Arabie saoudite et le régime a indiqué qu’il appliquerait la peine de mort à certaines d’entre elles.

Les revendications saoudiennes étaient si fantastiques qu’elles ont été rejetées presque universellement comme un tissu embarrassant de mensonges au sein de l’establishment américain. L’approbation par Trump de la tentative transparente de protéger le prince héritier a donc provoqué une avalanche de critiques cyniques de la part de ses opposants du Parti démocrate et de son propre Parti républicain, ainsi que de nombreux commentaires des médias.

Malgré tous les crimes de guerre de la classe capitaliste américaine, des fractions d’entre elle tentent toujours désespérément de dissimuler le caractère prédateur de sa politique étrangère en prétendant défendre la «démocratie», «l’État de droit» ou «les droits de l’homme». Elles s’attendaient à ce que l’Administration Trump tape sur les doigts du régime saoudien pour la forme, sans bien sûr menacer les relations des États-Unis avec ce pays.

Un commentaire de Stephen Collinson, journaliste de CNN à la Maison-Blanche, a résumé les inquiétudes suscitées par la déclaration de Trump sur «l’Amérique d’abord». Il s’est plaint que la déclaration de Trump revenait à «rejeter effectivement le concept d’exceptionnalisme américain, l’idée que les États-Unis se sont lancés dans une mission morale unique, illustrée par le soutien à la liberté, la démocratie et les valeurs universelles».

Collinson se sentit contraint d’admettre que «les actions de Washington, dans la guerre du Vietnam par exemple ou dans la guerre contre le terrorisme, ont été perçues par les étrangers comme bien en deçà des nobles principes qu’il a prêchés aux autres». Les relations américaines avec le brutal régime saoudien, a-t-il également avoué, «ont souvent été du côté hypocrite de cette ligne».

Mais Trump, se lamente-t-il: «se débarrasse de toute prétention ». Sa déclaration sur l’Arabie saoudite: «représente la plus récente démonstration de force d’un président qui indique qu’il est en train de se libérer de toutes les contraintes restantes et qui est de plus en plus confiant dans la poursuite d’une voie qui a semé la désorganisation historique».

Dans le New York Times, Thomas Friedman, l’un des principaux propagandistes de l’invasion illégale de l’Irak et qui a justifié de nombreux autres crimes de guerre comme des opérations «humanitaires», a condamné moralement l’exonération par Trump du meurtre de Khashoggi. Il a affirmé qu’il aurait au moins dû exiger du prince héritier quelques contreparties, comme la libération de femmes emprisonnées pour avoir conduit, et un cessez-le-feu dans la brutale guerre aérienne saoudienne contre le Yémen qui a tué des dizaines de milliers de personnes et mis des millions de personnes en danger de famine.

« [Q]uel est le préjudice moral immatériel causé à notre réputation dans le monde entier par une transaction aussi grotesque de sang pour de l’argent?» s’est plaint Friedman.

La réalité est que Trump, qui incarne le parasitisme et la criminalité de la classe dirigeante américaine, se moque de ce que pense la population du monde de la politique de son administration. Pour protéger les intérêts d’une oligarchie d’entreprises milliardaire, elle a intensifié la campagne menée depuis des décennies par l’impérialisme américain pour empêcher toute puissance ou tout groupe de puissances de contester la domination mondiale américaine.

Sous Trump, les États-Unis ont effectivement déclaré la guerre économique au monde et menacent ouvertement la Russie et la Chine d’un conflit militaire si elles ne se soumettent pas aux diktats américains. Au Moyen-Orient, Ils ont élaboré une stratégie visant à détruire l’influence régionale exercée par l’Iran — un programme qui s’appuie sur des relations aussi étroites que possible avec Israël et la dictature saoudienne, quels que soient les crimes commis.

Le masque «démocratique» en lambeaux et discrédité de l’impérialisme américain a bel et bien été jeté aux orties. C’est la seule préoccupation réelle dans les cercles dirigeants américains au sujet de la déclaration de Trump.

(Article paru d’abord en anglais le 21 novembre 2018)

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