Les nouveaux députés de Québec Solidaire défendent le nationalisme et le capitalisme

Profitant d’une désaffection de masse envers le partis traditionnels de la classe dirigeante, Québec Solidaire, le parti de la pseudo-gauche au Québec, a augmenté significativement son appui lors des dernières élections provinciales, passant de 3 à 10 députés et plus que doublant sa part du vote.

Dans de nombreux points de presse post-électoraux, QS s’est présenté comme la nouvelle «véritable opposition» à la Coalition Avenir Québec (CAQ), un parti populiste de droite qui, à l’instar du conservateur Ford en Ontario ou Trump aux États-Unis, combine des attaques contre les immigrants avec des mesures d’austérité. Le dernier mois et demi a rapidement révélé ce que l’«opposition» de QS signifiait vraiment: des critiques d’un point de vue nationaliste, combinées à une dissimulation, si ce n’est une défense ouverte, du chauvinisme de la CAQ contre les immigrants et les minorités religieuses.

Peu après les élections, le chef de la CAQ et nouveau premier ministre du Québec, François Legault, a annoncé son intention d’aller rapidement de l’avant avec ses attaques contre les immigrants, y inclus l’interdiction de signes religieux «ostentatoires» pour les «représentants de l’État en position d’autorité» tels que les juges, les procureurs et les dizaines de milliers de professeurs de la province. Intensifiant sa longue adaptation à la montée du chauvinisme québécois, qui dure depuis plus de 10 ans, QS a répondu en continuant d’insister que la CAQ et Legault ne sont «pas racistes» et en boycottant la première manifestation anti-CAQ, qui a attiré de nombreux immigrants, dont des femmes musulmanes. QS a toujours défendu l’interdiction des signes religieux pour certains employés de l’État (sans y inclure les professeurs), une mesure anti-démocratique qui brime la liberté de conscience, y compris le droit de pratiquer publiquement la religion de son choix.

L’attitude conciliante de QS envers la CAQ – QS avait offert de soutenir un gouvernement caquiste minoritaire avec comme seule condition une réforme du mode de scrutin – est loin d’être conjoncturelle. QS parle pour des sections aisées des classes moyennes qui désirent s’intégrer encore plus à l’establishment. Son adaptation au chauvinisme québécois et sa trajectoire de plus en plus à droite est la réponse de ces couches sociales à la crise mondiale du système capitaliste.

Les profils des députés de Québec Solidaire, incluant les 8 nouveaux, illustrent le caractère pseudo-gauchiste de ce parti: ils acceptent entièrement l’ordre capitaliste et refusent même l’étiquette de «socialistes»; ils ne s’orientent pas vers la classe ouvrière, mais craignent et rejettent toute mobilisation indépendante des travailleurs contre l’ordre établi; sur la base du nationalisme québécois, ils visent à rassembler toute une série de forces hétérogènes pour mettre un peu de pression sur la classe dirigeante; ils courtisent la bureaucratie syndicale, un pilier de l’ordre existant et un ardent défenseur du nationalisme; finalement, ils sont silencieux sur les interventions militaires canadiennes et sur les tensions militaires grandissantes entre les grandes puissances, qui menacent de se transformer en conflit mondial.

Avec l’intensification de la crise du système capitaliste, les députés de QS vont tout faire pour détourner l’opposition grandissante des jeunes et des travailleurs dans le cul-de-sac politique de leurs timides appels réformistes, qui ne remettent aucunement en question le système de profit. Derrière un langage de «gauche», ils prônent la solidarité entre les classes, qui est l’opposé d’une solidarité de classe, c’est-à-dire le développement d’un mouvement unifié de tous les travailleurs, peu importe leur pays, leur sexe, leur langue ou leur religion, contre le capitalisme.

Plusieurs des députés de QS naviguent depuis des années dans ce qu’il appelle affectueusement la «grande famille souverainiste». Celle-ci a été longtemps dominée par le Parti québécois, le parti de la classe dirigeante québécoise qui a alterné au pouvoir avec les Libéraux et qui a chaque fois imposé l’austérité capitaliste et joué un rôle central pour attiser le chauvinisme québécois.

Gabriel Nadeau-Dubois et Manon Massé, les deux principaux leaders de Québec Solidaire (Source: LeDevoir)

Manon Massé a été élue députée de Québec Solidaire en 2014 et est maintenant son leader parlementaire. Plus tôt cette année, elle a publié Parler vrai, un livre politiquement insipide marqué par le provincialisme. À travers la présentation de Massé comme étant une «femme du peuple» qui veut faire de la «politique autrement», le livre est une tentative de donner une vernis «populaire» à Québec Solidaire.

Provenant d'une famille ouvrière de l'Estrie, formée en théologie et ayant longtemps travaillé dans les milieux communautaires montréalais, Massé écrit: «ce que moi j'amène à table, c'est une identité de genre qui dérange. Je viens défier ce qu'on attend d'une femme, même homosexuelle, qui fait de la politique. Je porte mon trousseau de clés à la ceinture, des blousons de cuir, quand la norme est au tailleur. Identité de genre, mais aussi de classe populaire… Si on disait au Québec d'être lui-même jusqu'au sommet de la pyramide, on se retrouverait avec une démocratie pas mal plus connectée sur le monde, je vous le garantis...»

La politique identitaire joue un rôle central dans l’orientation politique de QS et des autres groupes de la pseudo-gauche à travers le monde. Elle a deux fonctions essentielles. Premièrement, elle vise à minimiser les profondes divisions de classe dans la société et ses implications révolutionnaires en mettant plutôt l'accent sur des différences basées sur des critères superficiels et secondaires comme le genre, la race, l’orientation sexuelle et, dans le cas de QS, la langue. Deuxièmement, elle sert à favoriser l'ascension sociale de la classe moyenne aisée, qui l’utilise pour se tailler des postes à l'Assemblée nationale, dans la fonction publique, les universités ou les syndicats.

Pendant la campagne électorale, Massé a décrit l’ex-Premier ministre du Parti québécois, René Lévesque, comme une source d’«inspiration» et dans son livre, elle fait l’éloge d’un autre ex-Premier ministre péquiste, Jacques Parizeau (Ministre des Finances sous Lévesque). Ces deux figures du séparatisme québécois sont dépeints comme des «progressistes» par la pseudo-gauche québécoise. Mais en réalité, ils ont joué un rôle clé dans l’utilisation du nationalisme québécois comme moyen pour détourner les luttes militantes de la classe ouvrière dans les années 1970. Intégrant la bureaucratie syndicale à la gestion du capitalisme québécois au tournant des années 1980, il ont été les pionniers de l’austérité capitaliste au Québec.

Gabriel Nadeau-Dubois est l’autre co-porte-parole du parti. L’ancien leader de la grève étudiante de 2012 a trouvé son nid politique dans un parti nationaliste et pro-establishment comme Québec Solidaire. Comme nous l’écrivions lors de son entrée à QS:

«Alors que la révolte étudiante avait le potentiel de déclencher une vaste mobilisation des travailleurs contre tout le programme d'austérité de l'élite dirigeante, Nadeau-Dubois insista pour maintenir le mouvement dans le cadre étroit du nationalisme québécois et de la politique de pression. Il refusa d’émettre la moindre critique des syndicats pro-capitalistes qui faisaient tout pour isoler les étudiants et détourner leur grève derrière le Parti québécois (PQ) pro-patronal, sous le slogan "De la rue aux urnes" mis de l'avant par la FTQ (Fédération des travailleurs du Québec).

«Et lorsque Pauline Marois, alors chef du PQ, retira son carré rouge, symbole de la grève étudiante, Nadeau-Dubois se contenta de dire qu’elle pourrait le remettre. Ceci contribua à semer des illusions sur la supposée "sympathie" du PQ envers les étudiants et les gens ordinaires en général. Nadeau-Dubois facilita ainsi les efforts de l'élite dirigeante pour désamorcer une situation sociale explosive en remplaçant les libéraux par son autre parti de gouvernement, le PQ, qui a appliqué de féroces mesures anti-ouvrières chaque fois qu'il est passé au pouvoir.»

Le 22 mai 2012, des dizaines de milliers ont manifesté à Montréal contre la loi 78 qui visait à briser la grève étudiante.

Depuis son entrée à la haute direction de QS, Nadeau-Dubois a utilisé son image «de gauche», largement surévaluée, pour pousser le parti encore plus à droite. Il a joué un rôle important dans la fusion de QS avec Option nationale (ON), un parti nationaliste de droite fondé par l’ex-banquier d’affaires Jean-Martin Aussant, dont l’unique raison d’être était de critiquer le PQ pour ne pas avoir mis suffisamment d’accent sur l’indépendance du Québec. Ce programme est le projet réactionnaire d’une section de la classe dirigeante québécoise qui vise à créer un troisième État capitaliste en Amérique du Nord. Suite à la fusion, ON a obtenu le statut de club politique dans QS, avec de nombreux privilèges spéciaux. En 2018, Aussant s’est à nouveau présenté comme candidat du PQ, malgré les efforts déployées par QS pour le recruter (voir: Québec Soldiaire utilisera ses liens avec Jean-Martin Aussant pour ses rapprocher du PQ).

Vincent Marissal a été pendant plus de 15 ans chroniqueur politique au quotidien La Presse, le porte-parole des sections les plus puissantes du capital québécois, proche du parti libéral pro-austérité. Avant de se présenter pour la première fois comme candidat de QS en 2018, il avait flirté avec le Parti libéral fédéral, le parti traditionnel de la classe dirigeante canadienne, mené par Justin Trudeau. Exploitant ses prétentions «progressistes», le gouvernement Trudeau a augmenté les dépenses militaires et intensifier le déploiement des Forces canadiennes à l’étranger. Son caractère réactionnaire est démontré par sa tentative de renforcer le partenariat économique et géostratégique de longue date avec les États-Unis sous l’administration Trump, le gouvernement le plus à droite de l’histoire américaine moderne.

Le flirt de Marissal avec le camp fédéraliste pour ensuite rejoindre les souverainistes de Québec Solidaire illustre les différences entièrement tactiques de ces deux camps bourgeois, qui sont unis dans leur hostilité envers la classe ouvrière canadienne. L’une des premières déclarations publiques de Marissal depuis son élection a porté sur le rachat du quincaillier québécois RONA par l’entreprise américaine Lowe’s. Marissal a utilisé la transaction financière pour reprendre le vieux mensonge nationaliste que les travailleurs québécois doivent compter sur les patrons québécois ou francophones pour préserver leur emploi et leurs conditions. Il a tweeté: «Qui dit vrai au gouvernement et qui se lèvera pour défendre nos entreprises, leurs fournisseurs et nos emplois ici au Québec?».

Catherine Dorion est une artiste qui s’était présentée deux fois comme candidate pour Option nationale. Elle s’était fait connaître dans les milieux souverainistes par une vidéo publiée sur Youtube promouvant ON. Faisant l’éloge d’Aussant, elle salivait devant les opportunités d’enrichissement pour la petite-bourgeoisie dans un Québec indépendant: «Du point de vue de l’eau douce et des énergies propres, on est carrément l’Arabie saoudite de demain!»

Tout comme Dorion, Sol Zanetti a été élu dans la région de Québec et est membre d’ON. Professeur de philosophie au Cégep et conseiller syndical dans l’enseignement, il a participé à la rédaction du Livre qui fait dire oui, inspiré des conceptions de l’ancien Premier ministre péquiste Jacques Parizeau, un souverainiste du camp des «purs et durs». Dans un passage important, le livre parle, de façon à peine voilée, du levier que représenterait le nouvel État pour sabrer dans l’éducation et la santé et baisser les impôts sur la grande entreprise et les riches. Dans une entrevue favorable parue dans La presse, Zanetti se disait «très triste» de la défaite d’Aussant aux élections provinciales du 1er octobre et insistait que QS n’est pas «communiste» ni «marxiste», en ajoutant: «On est pour une économie mixte, on n'est pas pour l'abolition de la propriété privée!»

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