Deux cent mille manifestants à Barcelone contre le procès-spectacle des séparatistes catalans

Au moins 200.000 personnes – 500.000 selon les organisateurs – ont défilé samedi à Barcelone contre le procès-spectacle de douze dirigeants nationalistes catalans, qui a débuté la semaine dernière à Madrid. Le procès se tient au lendemain de la chute du gouvernement espagnol mercredi dernier. Les accusés sont inculpés sur des charges frauduleuses de sédition et rébellion pour avoir organisé le référendum de 2017 sur l'indépendance de la Catalogne vis-à-vis de l'Espagne. Ils risquent une peine pouvant aller jusqu'à 25 ans de prison.

La manifestation a été organisée par l'Assemblée nationale catalane (ANC), pro-sécessioniste et Amnium Cultural, ainsi que par un certain nombre de partis politiques. Ceux-ci incluent Ensemble pour la Catalogne, la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), la Candidature à l’unité populaire (CUP) et la Catalogne en commun soutenue par Podemos. Plusieurs syndicats ont également approuvé la manifestation.

Les manifestants ont défilé pacifiquement sous des banderoles sur lesquelles étaient inscrits: «L'autodétermination est un droit, pas un crime», «Ils nous jugent tous» et « J'accuse». Le Premier ministre régional catalan, Quim Torra, était à la tête du cortège.

La participation de masse était le signe d'une opposition beaucoup plus large, avant tout chez la classe ouvrière, à la volonté de la bourgeoisie d'établir un État policier en Espagne. Cela se poursuit actuellement avec le soutien de l'Union européenne, s’appuyant sur une propagande anti-catalane qui utilise les falsifications politiques qui constituent la base du procès-spectacle organisé à Madrid.

Pour leur part, les partis nationalistes catalans sont des partis bourgeois pro-austérité orientés vers l'Union européenne et ils soutiennent tacitement les guerres de l'OTAN. Leur perspective bloque la lutte pour unifier les travailleurs de la péninsule ibérique contre la marche vers un régime autoritaire.

Cependant, malgré le caractère réactionnaire de ces partis, le procès-spectacle à Madrid doit être condamné sans équivoque.

Comme la manifestation de samedi, le référendum de 2017 sur la sécession s'est déroulé dans le calme. Toute la violence fut perpétrée par la police espagnole qui a agressé des électeurs pacifiques. Porter des accusations de rébellion – légalement défini comme un soulèvement violent et insurrectionnel – signifie, sur cette base, interdire de manière effective la protestation et l'opposition politique à l'État et faire un grand pas en avant vers un régime autoritaire.

Le procureur Javier Zaragoza, s'exprimant devant la Cour suprême le deuxième jour du procès, a traité les électeurs catalans de «boucliers humains entravant l'opération légitime de la police». Il a ajouté: «Je ne pense pas que la responsabilité de la violence le jour du référendum puisse être attribué aux forces de l'ordre espagnoles, mais à ceux qui, connaissant la loi, ont mobilisé des milliers de citoyens.»

En fait, la police agressa des électeurs tout en cherchant à saisir les urnes dans 92 bureaux de vote répartis dans toute la Catalogne, blessant plus de 1000 personnes. La responsabilité en incombe au gouvernement du Parti populaire (PP) au pouvoir à l'époque, qui envoya 16.000 policiers en Catalogne. Elle est partagée par le Parti socialiste (PSOE), qui soutint cette initiative, et par Podemos, qui refusa de s’y opposer. La police arrêta de hauts responsables de la région catalane, ferma 144 sites Internet, saisit des millions d'affiches et de tracts, fouilla des imprimeries, interdit les réunions et menaça de poursuites plus de 700 maires pour avoir soutenu le référendum.

Un indice du caractère frauduleux des accusations de rébellion est que les tribunaux belges, britanniques et allemands ont refusé d'extrader des fonctionnaires catalans qui ont fui l'Espagne et les renvoyer à Madrid pour y être jugés. Cela comprend notamment le Premier ministre régional, Carles Puigdemont.

Le gouvernement espagnol a pour objectif de décapiter politiquement les partis nationalistes catalans. Au total, 29 personnes, dont sept, y compris Puigdemont, sont en exil, recherchés ou font l'objet de poursuites. Outre les 12 personnes actuellement inculpées, quatre membres de la police régionale catalane sont poursuivis dans une affaire distincte, de même que six parlementaires catalans accusés de désobéissance.

Dès le début, il était clair que les accusés ne bénéficieraient pas d'un procès équitable. C’est la Cour suprême espagnole qui traite l’affaire, et non la Haute Cour de justice de Catalogne. Madrid fait valoir que cela est dû au fait que les sites Web mis en place pour le référendum étaient hébergés en dehors de la Catalogne, que les urnes venaient de France et que des observateurs internationaux étaient présents lors du référendum.

En fait, l'État espagnol utilise sa Cour suprême afin de contrôler la procédure. Les juges de la Cour suprême sont nommés par le Conseil général de la magistrature, composé de personnes désignées par le PP et le PSOE. Il a récemment été révélé que le porte-parole du PP du Sénat, Ignacio Cosidó, avait écrit sur WhatsApp que le PP «contrôlerait» la Cour «en coulisse» grâce à ces nominations.

L'association European Democratic Lawyers (EDL), parmi d'autres groupes d'experts juridiques, a averti que les accusés n'avaient pas eu suffisamment de temps pour préparer leurs défenses. EDL a publié une déclaration indiquant que leur détention provisoire depuis plus d'un an sans avoir été inculpée avait «des conséquences négatives sur leur capacité de se défendre». Au cours des trois mois que le procès devrait durer, les détenus devront se lever chaque jour à 6 heures du matin et passer au moins deux heures d’aller et retour en déplacement au tribunal. Ils seront enfermés dans des pièces séparées pendant les pauses.

Le panel de sept juges, présidé par Manuel Marchena, a rejeté 50 témoins à décharge, dont Puigdemont lui-même, ainsi que de nouveaux témoins experts et des indices de preuve essentiels qui permettraient aux accusés de contrer la version des faits donnée par les procureurs. Le panel a accepté presque tous les témoins et pièces à conviction présentés par le procureur, l’avocat général de l'Espagne (contrôlé par le gouvernement du PSOE) et le parti pro-fasciste et anti-catalan Vox.

La classe ouvrière est la seule force qui puisse mettre un terme à la marche vers un régime autoritaire. Discrédité, isolé et craignant une opposition croissante, dont en témoignent les vagues de grève au Portugal et les manifestations des Gilets jaunes en France, l'élite dirigeante est déterminée à ériger un État policier. Les tentatives des nationalistes catalans de faire appel au dialogue et de professer leur amour de la paix sont des tentatives politiquement vouées à l'échec pour parvenir à un accord avec le reste de la classe capitaliste. Cela n'arrêtera pas la marche vers un régime autoritaire.

Jeudi, l'ancien vice-Premier ministre régional, Oriol Junqueras, a déclaré qu'il est un prisonnier politique: «Je suis convaincu que je suis accusé pour mes idées et non pour mes actes». Dans le même temps, il a appelé à une «solution politique» avec l’État espagnol. Il a ajouté que «le dialogue a toujours été refusé. La chaise en face de nous a toujours été vide». Il a conclu: «Je l'ai répété à plusieurs reprises: j'aime l'Espagne et ses peuples, ainsi que la langue et la culture espagnoles.»

Malgré les appels de Junqueras, l'UE soutient le lynchage judiciaire à Madrid. La semaine dernière, le vice-président de la Commission européenne, Jyrki Katainen, a approuvé le procès, déclarant: «Nous faisons pleinement confiance au système juridique en Espagne.»

Vendredi, l'UE a interdit une conférence intitulée «La Catalogne et le procès sur le référendum: un défi pour l'UE». L'événement a été organisé par le parti séparatiste flamand N-VA, en collaboration avec Puigdemont et Quim Torra, ancien et actuel premiers ministres de Catalogne, respectivement. L'UE a affirmé que des responsables de la sécurité avaient averti qu'elle pourrait « constituer une menace pour le maintien de l'ordre public dans les locaux du Parlement ». Elle a cité l'occupation pacifique des bâtiments de la Commission européenne à Barcelone par des manifestants sécessionnistes, ainsi que «des tensions liées au début du procès contre les dirigeants indépendantistes.»

Heidi Hautala, fonctionnaire du Parlement européen, a tweeté que le Parlement européen avait annulé l'événement sous la pression des principaux partis espagnols.

Entre temps, le gouvernement intérimaire du chef du PSOE, Pedro Sánchez, qui a appelé vendredi à la tenue d'élections anticipées après avoir perdu le vote sur le budget de son gouvernement, a sollicité les ambassades d'Espagne pour défendre le procès de Madrid. Le projet «L’Espagne globale» prépare une campagne internationale calomnieuse ciblant les séparatistes catalans en utilisant des vidéos et médias sociaux.

La ministre déléguée à «l’Espagne globale», Irene Lozano, a déclaré qu’il «existe une préoccupation profonde au sein du gouvernement » quant à l'effet du procès sur la réputation de l'Espagne. «Je suis consciente que le pouvoir judiciaire est très bien préparé à expliquer à la presse espagnole et étrangère ce qui se passe réellement, juridiquement et techniquement, car il est prévisible que des tentatives seront faites pour désinformer, pour interpréter de manière erronée les questions de procédure afin d’aggraver la victimisation.» Elle a ajouté que le bureau du Premier ministre et le ministère des Affaires étrangères allaient gérer les informations «les plus politiques».

Lire également :

Le lynchage juridique des nationalistes catalans et le danger néofasciste en Espagne

(Article paru en anglais le 18 février 2019)

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