La Coalition Avenir Québec dépose un projet de loi anti-immigrants

Alors qu’il se prépare à sabrer dans les dépenses sociales et à réduire drastiquement les impôts sur la grande entreprise, le gouvernement populiste de droite de la CAQ (Coalition Avenir Québec) a déposé son Projet de Loi 9, la «pierre angulaire» de sa réforme de l'immigration.

Cette initiative réactionnaire met la table pour toutes les mesures anti-immigrants préconisées par la CAQ: réduire de 20 pour cent le nombre d'immigrants reçus chaque année par la province; expulser ceux qui échouent, après trois ans de résidence dans la province, un test de français et de «valeurs québécoises»; et interdire le port de signes religieux pour les employés de l'État en «position d'autorité», y compris les enseignants, sous peine de congédiement. Un projet de loi concernant cette dernière mesure, qui vise en particulier les femmes musulmanes, sera annoncé dans les prochaines semaines.

Poursuivant sur la lancée des gouvernement précédents, que ce soit le Parti québécois avec sa «Charte des valeurs québécoises» ou le Parti libéral avec sa loi 62 privant les femmes portant le voile intégral des services publics de santé et d’éducation, la CAQ exploite la question de l'immigration pour attiser un nationalisme québécois plus explicitement chauvin. Cet outil idéologique central de la classe dirigeante québécoise sert notamment à diviser les travailleurs québécois de leurs frères de classe nord-américains selon des lignes ethniques ou linguistiques.

La montée du chauvinisme anti-immigrants fait partie d'un processus international, ancré dans l'immense crise du système capitaliste mondial. Discréditée après des années d'austérité qui ont produit des niveaux massifs d'inégalités sociales, la classe dirigeante cherche dans tous les pays à faire des immigrants les boucs émissaires de la crise sociale causée par le capitalisme.

Aux États-Unis, Trump va de l'avant avec la construction du mur à la frontière mexicaine, une mesure qui s'accompagne de dénonciations des travailleurs latino-américains qui essaient de fuir la pauvreté et la violence comme des «violeurs» et des «criminels». Pour obtenir les fonds nécessaires, il a invoqué l'état d'urgence afin de contourner le Congrès américain – une mesure sans précédent historique.

En Allemagne, les politiques anti-réfugiés et anti-immigrants de l'AfD (Alternative pour l'Allemagne), le premier parti fasciste à entrer au parlement allemand depuis les nazis et qui forme aujourd’hui l’opposition officielle, ont été largement reprises par la Grande coalition au pouvoir.

En Ontario, le gouvernement populiste conservateur de Doug Ford a lancé un gel de l'embauche dans le secteur public ainsi que des coupes dans l'aide financière aux études et dans le salaire minimum, tout en blâmant les réfugiés qu’il accuse faussement de traverser «illégalement» la frontière canado-américaine et de «menacer les services dont dépendent les Ontariens».

La première mesure en lien avec le projet de loi 9 de la CAQ a été de supprimer de façon arbitraire plus de 18.000 demandes d'immigration, couvrant 40 à 50 mille personnes, faites dans le cadre du Programme régulier de travailleurs qualifiés (PRTQ). Cette mesure frappe notamment des milliers de personnes qui sont déjà établies au Québec en vertu d'autres programmes d'immigration. Le PRTQ compte pour environ la moitié des nouveaux arrivants annuels dans la province.

Ce n’est pas le remboursement dérisoire de quelque 1000$ promis par le gouvernement aux demandeurs concernés qui peut cacher la nature profondément anti-démocratique de cette décision, qui va bouleverser les vies de milliers de familles à travers le monde qui ont investi d'énormes ressources pour immigrer dans la province.

Pour les individus qui sont déjà établis au Québec, leur statut est précarisé. Répondant aux arguments mensongers du gouvernement que ce n’était pas une mesure d’expulsion, le président de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (AQAADI), Guillaume Cliche-Rivard, a noté que cette mesure «laisse des gens dans une situation d'irrégularité, et 90 jours post-irrégularité, une mesure d'expulsion peut être émise contre nous».

Suite à tollé populaire et à une décision de la Cour supérieure du Québec, le gouvernement Legault a accepté, avec réticence, de traiter «en priorité» les 3700 dossiers des personnes qui résident déjà au Québec. Mais une épée de Damoclès pend toujours au-dessus des milliers de familles concernées.

La suppression massive de dossiers, que le ministre de l’immigration Simon Jolin-Barrette a qualifié de «mesure forte», vise à ouvrir la voie à un changement majeur dans la sélection des immigrants, contenu dans le projet de loi. Le ministre a déclaré: «Cet inventaire volumineux [les quelque 18 000 dossiers qui seront supprimés] limite notre capacité à tirer parti du système d'invitation de la déclaration d'intérêt.»

Cette nouvelle «déclaration d’intérêt», que les immigrants économiques devront obligatoirement remplir si le projet de loi va de l’avant, donne énormément de pouvoir au Ministère de l’immigration et ouvre la porte à la sélection des immigrants en fonction de leur origine ethnique et religieuse.

Sur le site web de la CAQ, on peut lire: «En modulant les critères d’invitation en fonction des besoins actuels du Québec, ce système permet d’inviter en priorité les personnes qui ont les profils recherchés». Et plus loin: «La personne immigrante doit quant à elle s’engager à réaliser les démarches lui permettant d’apprendre le français ainsi que les valeurs québécoises», identifiées par le ministre Jolin-Barrette comme étant la «démocratie» et l’ «égalité entre les hommes et les femmes».

Ces critères de «valeurs» sont hautement hypocrites, venant d’une classe dirigeante qui passe des lois spéciales de retour au travail dès que les travailleurs résistent aux mesures d’austérité ou qui réprime sauvagement des manifestations comme lors de la grève étudiante de 2012. De plus, ils ouvrent grand la porte au chauvinisme et au racisme.

Ainsi, la demande d’une famille provenant du Moyen-Orient dont la mère porte le hidjab pourrait être arbitrairement refusée, ou mise en attente indéfiniment, parce qu’elle ne respecterait pas, selon toute la campagne toxique anti-immigrants promue par les médias et la classe dirigeante québécoise depuis plus de 10 ans, l’«égalité entre les hommes et les femmes». Jolin-Barrette a même qualifié son projet de loi de «Tinder de l’immigration», une référence au site web de rencontres et de réseautage social où la sélection des partenaires se fait selon toutes sortes de critères choisis par l’utilisateur.

Le système canadien d’immigration actuel est hautement sélectif et inclut des critères linguistiques. Mais il offre au moins une apparence de «neutralité» en utilisant une approche de « premier arrivé, premier servi» et en se fondant sur des critères objectifs comme la formation et l’expérience de travail. Mais, par la «déclaration d’intérêt», le gouvernement du Québec supprime le principe du «premier arrivé, premier servi» et, tout en mettant l’accent sur la volonté de combler les besoins en main d’œuvre dans certaines régions, ajoute subtilement des critères «culturels».

Le projet de loi doit recevoir l’aval du gouvernement fédéral, qui devra modifier certains règlements encadrant l’obtention de la résidence permanente. Le gouvernement libéral de Justin Trudeau, qui s’est présenté hypocritement comme étant «pro-immigrants» et «pro-réfugiés», a réagi de façon ambivalente, affirmant qu’il n’est pas favorable à la «réintroduction de la résidence permanente conditionnelle» mais que «plus d’analyse sur le projet de loi 9 est nécessaire». Il n’a émis aucune critique du caractère clairement réactionnaire et anti-démocratique de la loi.

Le chef du parti conservateur, Andrew Scheer, s’est montré plus ouvert et «prêt à travailler avec le premier ministre Legault pour trouver un terrain en commun [quant à] son but d’avoir plus d’autonomie sur le système d’immigration». Lorsqu’ils étaient au pouvoir, les conservateurs de Stephen Harper avait régulièrement fait appel au chauvinisme anti-immigrants, notamment autour du vote à «visage découvert» lors de la campagne électorale de 2015.

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