Des milliers de jeunes enseignants marocains agressés par la police anti-émeute

La police anti-émeute marocaine a agressé ce week-end des enseignants en grève avec des matraques et des canons à eau dans la capitale Rabat. De 10.000 à 15.000 travailleurs de l’éducation, en grève depuis le 3 mars, s’étaient rassemblés pour réclamer des emplois permanents, des pensions, des salaires supplémentaires et des soins de santé décents.

Les enseignants et autres travailleurs de l’éducation, pour la plupart dans leur vingtaine ou leur trentaine, scandaient «liberté, dignité, justice sociale» et tenaient des bougies ou des téléphones portables allumés. Samedi soir, ils ont décidé de camper devant le parlement sur l’avenue Mohammed V. Depuis trois semaines, ils organisent des rassemblements à travers le royaume, y compris des occupation d’académies régionales, pour exiger des emplois permanents.

Certains criaient des slogans politiques comme «c’est un pays corrompu» et «c’est une mafia qui nous gouverne», exigeant la démission du Premier ministre, Saad Eddine El Othmani, et du ministre de l'Éducation, Said Amzazi.

Le ministère de l’Éducation a menacé les enseignants de licenciements massifs en représailles de la grève sous prétexte qu’ils connaissaient les termes des contrats avant de les signer. «Les menaces du ministère de l’Éducation ne nous intimident pas. Nous sommes venus revendiquer notre droit d’être intégrés dans la fonction publique et de défendre l’école publique», a déclaré Abdelilah Taloua, un jeune enseignant, à Reuters.

Se décrivant eux-mêmes comme des «éducateurs sous contrat par la force», environ 55.000 enseignants marocains n’ont reçu depuis 2016 que des contrats annuels renouvelables. À cette époque, le ministère de l’Éducation avait introduit des politiques d’austérité, qui les ont officiellement retirés du secteur public. Ils réclament maintenant l’égalité des droits dans toute la profession, y compris les droits à une pension complète. Actuellement, les enseignants ne reçoivent à la retraite que 40 pour cent de leur salaire mensuel.

Oussama Hamdouch, un enseignant en grève de 27 ans, a déclaré à Moroccan World News, que le ministère de l’Éducation a maintenant proposé d’engager des enseignants par le biais des académies régionales. C’était «inacceptable», a-t-il souligné, car les académies régionales n’ont pas les moyens d’offrir des emplois à tous.

«Les académies pourront licencier des enseignants quand elles le voudront si elle n’ont pas les moyens financiers. Les directeurs d’école auront aussi une certaine autorité sur nous. Nous voulons travailler avec dignité, comme les autres enseignants du secteur public», a dit Hamdouch.

Expliquant que les jeunes enseignants n’avaient pas d’autre choix que de signer des contrats inférieurs aux normes, Hamdouch a ajouté: «Nous n’avions pas le choix. Le marché du travail est décevant». Les enseignants sont particulièrement mécontents car leur contrat stipule qu’ils ne peuvent pas prendre un poste à temps plein, même s’il leur est proposé, pendant la durée de l’accord.

Cette nouvelle série de protestations fait suite à celles du 20 février. Des milliers de personnes s’étaient alors rassemblées pour faire pression pour ces revendications et avaient subi une violence similaire de la part des forces gouvernementales. On avait appelé à la manifestation de février dans le cadre d’une grève générale nationale qui commémorait les luttes révolutionnaires de 2011, connues sous le nom de «printemps arabe».

Avec une dette nationale croissante estimée à 82,5 pour cent du PIB, le Premier ministre, Saad Eddine El Othmani, continue à faire pression sur le secteur public afin d'assurer les paiements à l'État et aux banques internationales. Selon la Banque mondiale, près de 19 pour cent de la population rurale vit dans la pauvreté et environ 15 pour cent des Marocains survivent avec environ 3 dollars par jour. Le taux de chômage officiel se maintient à un peu moins de 10 pour cent mais des statistiques récentes montrent que parmi les jeunes citadins il avoisine 40 pour cent.

En juin 2004, les États-Unis ont désigné le Maroc comme un allié majeur dans la «guerre contre le terrorisme». Et, avant-hier, le 25 mars, le Département d’État américain a annoncé qu’il approuvait la vente de 25 chasseurs F-16 et d’autres équipements militaires au gouvernement marocain pour un montant de 3,37 milliards d’euros. Son communiqué explique que la mise à niveau permettra au Maroc d’accroître sa «capacité d’entreprendre des opérations de la coalition [de l’OTAN] telle qu’il l’a fait dans le passé – lors de sorties aériennes contre l’État islamique en Syrie et en Irak».

Alors qu’il attaque les enseignants, le Royaume du Maroc a reçu, comme la Tunisie, un fonds spécial de 55 millions d’euros de l’Union européenne pour détenir les migrants qui tentent d’entrer en Europe par les enclaves espagnoles d’Afrique du Nord, Ceuta et Melilla, et par la Méditerranée.

Les manifestations au Maroc coïncident avec le soulèvement populaire en Algérie. Des dizaines de milliers d’enseignants y ont rejoint une grève générale au début du mois pour exiger la fin du régime autoritaire du président Abdelaziz Bouteflika et les manifestations, les plus grandes depuis 30 ans, continuent de gagner du terrain.

(Article paru d’abord en anglais le 26 mars 2019)

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