Le sixième vendredi de manifestations massives en Algérie exige la chute du régime

Hier, des millions de personnes ont déferlé dans les rues des grandes villes algériennes pour un sixième vendredi de protestation. Ils exigent la chute du régime du Front de libération nationale (FLN) soutenu par l’armée.

La manifestation est intervenue après que le général Ahmed Gaïd Salah, chef des forces armées algériennes, ait appelé le 26 mars dernier à appliquer l’article 102 de la Constitution algérienne. L’article permet de destituer, pour des raisons de santé, la figure de proue détestée du régime, le président Abdelaziz Bouteflika. Les manifestants ont rejeté l’intervention soudaine de Salah pour expulser Bouteflika, qui est frappé d'incapacité depuis qu’il a subi un AVC en 2013. Au lieu de cela, ils ont exigé le démantèlement du FLN et de l’armée.

Les banderoles portées lors des manifestations se lisent «Reposez en paix Gaïd Salah, pour l’amour de Dieu: quittez le pouvoir», «Gaïd Salah, le peuple veut la démocratie et non un régime militaire» et «Honte à vous, Gaïd Salah». Un autre slogan populaire était d’exiger l’application de l’article 7 de la Constitution, qui stipule que le pouvoir doit venir du peuple.

Plus d’un million de personnes ont défilé à Alger, selon les rapports de police. Des milliers d’autres, voire des dizaines de milliers, ont défilé dans d’autres grandes villes algériennes comme Oran, Constantine, Annaba, Béjaïa, Tizi Ouzou, Sétif, Tlemcen et Sidi Bel Abbès. À Oran, les manifestants scandaient «C’est le peuple souverain qui doit mener la transition non le régime». À Tlemcen, les manifestants ont chanté «Dehors, dehors, Saïd» en référence à Abdelmajid Sidi Saïd, le dirigeant de l’Union générale du travail algérien (UGTA), syndicat corrompu et lié au FLN.

À Alger, d’immenses foules ont défilé dans les grands centres de la ville, dont la place Maurice Audin et à l’extérieur du bureau de poste principal. Les manifestants se sont également heurtés dans l’après-midi à la police antiémeute. Cette dernière a utilisé des gaz lacrymogènes et des canons à eau pour bloquer les principales voies et empêcher les manifestants d’atteindre le palais présidentiel. Les manifestants scandaient des slogans tels que «Tu es le passé, nous sommes le futur» et «Le peuple ordonne à l’armée d’arrêter le gang».

Les compagnies pétrolières et gazières publiques algériennes ont gagné plus de 1000 milliards de dollars de revenus. Donc, de larges couches de travailleurs et de jeunes Algériens méprisent les dirigeants du FLN et leurs acolytes comme à peine plus qu’un gang criminel qui a pillé la richesse énergétique du pays.

La voie à suivre pour le mouvement contre le FLN est la construction d’organisations indépendantes de la classe ouvrière contre l’UGTA et ses alliés. Il faut une lutte pour unifier ce mouvement avec une opposition politique internationale croissante parmi les travailleurs en Afrique ainsi qu’en Europe et en France.

D’importants mouvements de grève et de protestation ont déjà eu lieu dans des installations industrielles clés en Algérie. Les travailleurs portuaires sont en grève à Oran et à Béjaïa. Des grèves et des occupations de protestation ont eu lieu: chez les travailleurs des filiales du monopole du gaz naturel de Sonatrach, ainsi que les enseignants et des travailleurs du secteur public. De nombreux petits entrepreneurs et commerçants des villes algériennes ont fermé leurs commerces en signe de soutien.

Cela se produit dans un contexte où la recrudescence des protestations des travailleurs et des jeunes se développe à l’échelle internationale. Près de l’Algérie, en Afrique, des émeutes du pain exigent l’éviction du gouvernement soudanais. Tandis que, le Maroc voisin menace de licencier les enseignants en grève qui ont organisé une grève de quatre semaines qui dénonce l’impopularité de la monarchie marocaine. Et à travers l’Europe, une vague croissante de grèves contre l’austérité de l’Union européenne (UE) se. développe et une opposition politique croissante, comme le mouvement des Gilets jaunes contre le président français Emmanuel Macron.

Alors qu’un mouvement révolutionnaire contre le FLN et l’armée algérienne se développe, ce qui est essentiel c’est de tirer les leçons politiques des luttes révolutionnaires de 2011 contre la dictature militaire de l’Égypte.

La victoire de la contre-révolution et l’arrivée au pouvoir de la junte sanglante du général Abdel Fatah al-Sisi ont été assurées essentiellement par des partis pseudo-gauchistes et petits-bourgeois. À chaque étape de la lutte, ils ont donné l’illusion que l’armée, les Frères musulmans islamistes ou les partisans de Sisi eux-mêmes allaient mener une révolution démocratique. Ils ont ainsi bloqué une lutte de la classe ouvrière pour prendre le pouvoir d’État, et ont laissé l’initiative à la classe dirigeante.

La voie à suivre est de lier les luttes de la classe ouvrière algérienne aux luttes ouvrières internationales croissantes. Surtout, il faut construire une section du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) en Algérie. Seule une telle organisation peut lutter pour une perspective révolutionnaire et socialiste contre les forces qui tentent de lier les travailleurs à l’ancien régime et ses défenseurs impérialistes.

Du ministère des Affaires étrangères à Paris à la bureaucratie de l’UGTA en passant par les sièges des différents partis d’«opposition» qui travaillent depuis des décennies avec le FLN, une ligne commune se dégage. Que ce soit à l’initiative de Salah ou par la convocation d’assemblées constituantes qui représente l’ensemble de l’establishment politique, le capitalisme algérien va subir une réforme démocratique à base nationale. C’est un mirage politique, conçu pour bloquer une lutte de la classe ouvrière pour le pouvoir.

Hier, le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a salué «l’esprit civique remarquable» des manifestants algériens. De surcroît, il a effectivement soutenu l’initiative de Salah: «Maintenant c’est essentiel que le processus qui va commencer maintenant, la transition qui est désormais nécessaire, puisse se dérouler dans les meilleures conditions possible.»

Plus tôt cette semaine, l’UGTA a publié une déclaration similaire en faveur de Salah et de l’armée algérienne: «L’UGTA salue et prend note de l’appel lancé par M. Ahmed Gaïd Salah [...] Le changement est devenu nécessaire, il doit manifestement se construire à travers un dialogue marqué par la sagesse qui permet l’édification d’une nouvelle République, aux côtés des aspirations de notre peuple et de notre jeunesse, et d’ancrer fermement le futur et préserver notre pays, l’Algérie.»

Les déclarations du Front des forces socialistes (FFS) et du Parti des travailleurs (PT) n’y avaient pas de différences fondamentales avec cette ligne. La rébellion de la classe ouvrière contre le régime du FLN terrifie tous les deux. Ils se sont donc abstenus d’appeler aux gens à participer à la manifestation d’hier.

Le FFS, affilié au Parti socialiste (PS) français, bourgeois et discrédité, a publié une déclaration qui critique l’initiative de Salah et mettant en garde contre le danger des bouleversements révolutionnaires en Algérie. «Frustrer les gens, c’est de provoquer une très grande incertitude, et un chaos inévitable», le FFS a-t-il dit. Il a ajouté: «Le changement doit être une émanation de la volonté populaire par l’élection d’une assemblée constituante souveraine et la construction d’une seconde République. C’est-à-dire la consécration d’une alternative démocratique et sociale».

Quant au Parti ouvrier (PT) de Louisa Hanoune, il s’est fait l’écho de la position du FFS. Il a appelé à une «assemblée constituante souveraine» tout en critiquant la manœuvre de Salah comme un «coup de force».

Dans le même temps, terrifié par l'opposition populaire croissante au FLN, le PT a retiré ses législateurs du parlement national. Il a publié une déclaration qui appelle au «départ de la majorité parlementaire, car ils ne jouissent d'aucune légitimité populaire». En fait, le PT lui-même, avec ses liens de longue date avec le FLN et l'UGTA, n'a pas plus de légitimité qu'eux.

Aucune de ces forces n’a la capacité ou l’intention de construire un régime démocratique qui réponde aux exigences sociales croissantes des travailleurs et des jeunes Algériens.

Même dans les pays où elle était établie depuis longtemps, la démocratie capitaliste est en train de pourrir. De l'autre côté de la Méditerranée, le gouvernement Macron — craignant que le mouvement révolutionnaire contre Bouteflika ne déclenche un mouvement plus large de la classe ouvrière que les manifestations des Gilets jaunes — a donné l’autorisation à l'armée à tirer sur les Gilets jaunes.

Les problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs en Algérie, en France et au-delà, sont enracinés dans le système capitaliste. Ceux-ci ne peuvent être résolus que par la construction de sections du CIQI. Un parti va fournir une direction révolutionnaire à la classe ouvrière qui lutte actuellement contre le système du profit.

(Article paru d’abord en anglais le 30 mars 2019)

Loading