Après les tueries aux mosquées de Québec et Christchurch:

Québec dépose un projet de loi chauvin visant surtout les musulmanes

Disant poser «un geste d’affirmation» du peuple québécois, le gouvernement nationaliste-populiste de droite de la CAQ (Coalition Avenir Québec) a déposé jeudi un «Projet de loi sur la laïcité de l'État» qui vise les minorités religieuses et marque une nouvelle étape dans le tournant de l'élite dirigeante canadienne vers le chauvinisme anti-immigrants.

Au Canada comme partout dans le monde, l’establishment dirigeant mène une agitation de plus en plus virulente contre les migrants et les réfugiés, et cherche à faire d’eux des boucs-émissaires pour la catastrophe économique et sociale causée par le capitalisme en faillite. Cela a mené à l’adoption de mesures draconiennes telles que les raids à la Gestapo de l’administration Trump pour déporter des immigrants, ou l’interdiction faite aux musulmanes qui fréquentent l’école publique en France de porter le foulard «islamique».

C’est cette promotion du chauvinisme dans la politique officielle qui a encouragé des éléments d’extrême-droite à lancer des chasses-aux-sorcières contre les «étrangers», comme l’ont fait des bandes néo-nazies allemandes dans les rues de Chemnitz en août dernier, ou à perpétrer des tueries de masse à des mosquées à l’exemple d’Alexandre Bissonnette à Québec en janvier 2017 ou de l’horrible massacre de mars dernier à Christchurch en Nouvelle-Zélande.

Le projet de loi 21 de la CAQ sur la laïcité est le produit d’une campagne xénophobe que mène l’élite dirigeante au Québec depuis plus de dix ans. Lancée sous le prétexte d’encadrer les accommodements «excessifs» accordés aux minorités culturelles, cette campagne a été marquée par un virulent discours anti-musulman et la promotion d’une mesure discriminatoire après l’autre.

Le projet de loi caquiste interdit le port de «symboles religieux» par de nombreuses catégories d’employés de l’État dits en «position d'autorité» – y compris les dizaines de milliers d'enseignants de la province, ainsi que les directeurs et directeurs adjoints des écoles primaires et secondaires du réseau public.

Policiers, gardiens de prisons, agents de la faune, procureurs de la Couronne et avocats du gouvernement sont aussi visés. L'interdiction vaut également pour le président et les vices-présidents de l'Assemblée nationale, ainsi que les dirigeants d'une série d'organismes publics. Mais les écoles privées, qui sont largement répandues et qui reçoivent un important financement public, ne sont pas touchées par le projet de loi.

Le projet de loi du premier ministre François Legault ne se distingue que superficiellement de la très-détestée «charte des valeurs québécoises» de 2013 du Parti québécois (PQ), qui aurait interdit à tous les employés de l’État de porter des signes religieux «ostentatoires» – les «croix discrètes» étant tolérées.

Alors que le crucifix qui pend à l'Assemblée nationale sera probablement retiré et que les «croix discrètes» catholiques sont aussi visées par l'interdiction, le projet de loi s'empresse de défendre le «patrimoine culturel religieux» du Québec. Le gouvernement continuera à subventionner les écoles religieuses privées. De plus, par sa boutade qu’il «n’y aura pas de fouille à nu pour vérifier si la personne porte un signe religieux», le ministre de l’Immigration a laissé voir la véritable cible du projet de loi. Ce sont des enseignantes musulmanes portant le hijab, des juifs portant la kippa ou des sikhs portant le turban, qui seront privés d’emplois dans le secteur public et parapublic, la première source d’emplois au Québec.

Quant à la «clause des droits acquis» ajoutée par la CAQ, dans l’espoir de calmer l’opposition populaire que va susciter son projet de loi discriminatoire, elle ne concerne que les employés déjà en poste et ne s’applique pas à ceux qui changent d’emploi ou postulent pour la première fois.

Pour empêcher une contestation devant les tribunaux, le gouvernement a invoqué la clause de dérogation qui lui permet d’adopter une loi même si elle viole des droits fondamentaux reconnus par la Charte canadienne ou québécoise des droits et libertés de la personne. Le gouvernement populiste conservateur de Doug Ford en Ontario avait aussi menacé d'utiliser la clause dérogatoire pour faire adopter un projet de loi lié à son programme anti-ouvrier de droite – ce qui souligne le tournant de toute la classe dirigeante vers un gouvernement autoritaire.

Le projet de loi caquiste reprend la mesure principale de la loi 62 du gouvernement libéral précédent: l’interdiction aux femmes portant le voile intégral (niqab ou burqa) de recevoir ou donner des services publics (soins de santé, école publique, transport en commun, etc). L'utilisation des clauses dérogatoires permet de casser les recours déposés devant les tribunaux soutenant que la loi 62 constituait une violation de la liberté de religion.

Le projet de loi 21 a été déposé seulement un mois après le dépôt de la Loi 9, la «pierre angulaire» de la réforme de l'immigration de la CAQ qui réduit le nombre d’immigrants reçus au Québec et ouvre grand la porte au chauvinisme et au racisme en ajoutant des critères «culturels» dans la sélection des immigrants.

Comme à chaque fois que l'establishment politique ravive le «débat» autour de l'immigration, le projet de loi sur la laïcité va renforcer les éléments les plus réactionnaires et entraîner une hausse des gestes haineux envers les minorités religieuses et culturelles à travers le pays.

Sept organisations, dont la Table de concertation contre le racisme systémique, la Fondation Paroles de femmes, Amnistie internationale et la Ligue des droits et libertés, ont réclamé le retrait du projet de loi qu'elles ont qualifié de raciste. Le bureau québécois du Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) a souligné de son côté que le projet de loi rendrait «les musulmans du Québec et autres communautés minoritaires, citoyens de seconde classe».

Les salles de rédaction des principaux journaux du Québec ont généralement accueilli le projet de loi caquiste.

La Presse, qui parle pour les sections fédéralistes dominantes de la grande entreprise au Québec, déplore que la CAQ se soit éloignée du «consensus» de la commission Bouchard-Taylor [interdiction des signes religieux pour les employés de l’État en position d’autorité coercitive] en optant pour «l’élargissement aux enseignants et le recours à la clause dérogatoire». Mais on lit plus loin dans son éditorial qu’«il était temps que le Québec bouge dans ce dossier» et que «les droits individuels ne sont pas absolus» – ce qui montre qu’aucune section de la classe dirigeante, y compris son aile supposément libérale, n’est vouée à la défense des droits démocratiques.

Le Devoir, proche des milieux indépendantistes québécois, «estime que le gouvernement aurait dû limiter l’interdiction aux seuls agents de l’État qui exercent un pouvoir coercitif», mais qualifie la loi d’«avancée majeure», en précisant: «Certes, elle restreint des droits individuels, mais c’est pour accomplir un objectif de paix sociale».

Le journal de Montréal a, comme d’habitude, donné libre cours au chauvinisme québécois en présentant une loi qui attaque les femmes musulmanes, l’une des sections les plus vulnérables de la société, comme une affirmation nécessaire des droits collectifs du peuple québécois. «Le Québec presque tout entier est en état de siège», a écrit sa chroniqueuse Denise Bombardier, réagissant aux critiques du projet de loi de la CAQ dans le pays. «Cette loi sur la laïcité sert de prétexte au reste du Canada pour repartir en guerre contre cette majorité francophone "turbulente"» qui «clamait sa distinction dans l’éden canadien multiculturaliste».

Parmi les partis représentés au parlement québécois, seul le PQ a ouvertement salué le projet de loi de la CAQ, tout en réclamant que l’interdiction des signes religieux soit élargie pour inclure les éducatrices en garderies.

Québec Solidaire (QS), supposément «de gauche», a toujours qualifié de «légitime» le débat sur les «accommodements raisonnables» et sur la laïcité, y compris la charte des valeurs du Parti québécois. Mais il était resté sans position officielle sur le projet de loi caquiste, jusqu’à l’adoption ce samedi en conseil national d’une motion qui rejette son soutien traditionnel au «compromis Bouchard-Taylor». C’est en réalité un aveu de complicité de QS dans la campagne de longue date de l’establishment politique et médiatique du Québec pour répandre le poison du chauvinisme anti-immigrants.

À l’exception du Bloc québécois, tous les partis fédéraux – libéraux, conservateurs et NDP – ont dénoncé le projet de loi sur la laïcité de François Legault, qu’ils exploitent pour promouvoir le nationalisme canadien. «C’est impensable qu’une société libre légitime la discrimination contre quiconque, basée sur la religion», a déclaré le premier ministre libéral canadien, Justin Trudeau.

Cette position hypocrite sert à masquer le véritable rôle de l’impérialisme canadien, y compris sa collaboration étroite avec l’administration Trump dans la chasse-aux-sorcières contre les immigrants. La promotion de sentiments anti-islamiques par toutes les sections de la classe dirigeante canadienne – autant les nationalistes québécois que les fédéralistes – sert notamment de prétexte pour justifier l’implication du Canada dans les guerres de pillage de Washington au Moyen-Orient et ailleurs dans le monde.

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