L'Égypte organise un référendum pour asseoir la dictature du général Sissi

La dictature égyptienne dominée par l'armée se précipite pour organiser un référendum ce week-end sur des amendements constitutionnels qui feraient du général Abdel Fattah al-Sissi un dictateur à vie, tout en institutionnalisant la répression sanglante que son régime a menée contre toute forme d'opposition politique et particulièrement la classe ouvrière égyptienne.

L'organisation du référendum de trois jours commençant samedi a été annoncé mercredi, juste un jour après que le parlement du pays, rempli de partisans de Sissi, eut approuvé les amendements proposés à la constitution égyptienne par une majorité écrasante de 554 contre 22, avec une abstention. Le vote a été organisé comme un événement patriotique, les législateurs agitaient de petits drapeaux égyptiens et des hymnes nationaux étant joués à l'arrière-plan.

Le référendum se déroule dans des conditions où la population égyptienne n'a même pas eu le temps d'examiner les amendements radicaux à la Constitution, qui non seulement étendent le mandat présidentiel à six ans, mais établissent également une période «transitoire», permettant à Sissi de dépasser une limite de deux mandats et de se présenter pour un troisième mandat, restant en fonction au moins jusqu'en 2030. Ils lui permettent également d'exercer un contrôle total sur le pouvoir judiciaire, tout en élargissant le rôle déjà écrasant de l'armée dans les affaires politiques du pays.
L'un des amendements établit la responsabilité de l'armée pour «sauvegarder la Constitution et la démocratie, en préservant les fondements de l'État et sa nature civile, les acquis du peuple et les droits et libertés des individus.»

La «réforme» constitutionnelle institutionnalise la pratique déjà très répandue de juger des civils devant les tribunaux militaires. Depuis le coup d'État de 2013 qui a renversé le président élu du pays, Mohammed Morsi, et porté Sissi au pouvoir, quelque 15.000 personnes, dont 150 enfants, ont dû faire face à de tels procès, selon les estimations des organisations des droits de l'homme.
Sissi a consolidé son pouvoir par le massacre de plus de 1000 personnes par les forces de sécurité égyptiennes sur la place Rabaa du Caire en 2013. Depuis lors, plus de 60.000 personnes ont été jetées dans les prisons du régime pour des raisons politiques et subissent la torture généralisée. Depuis le début de 2019, le régime a exécuté 15 prisonniers politiques condamnés à mort sur la seule base d'aveux extorqués sous la torture.

Dans un style véritablement orwellien, le régime a envahi les rues du Caire d'affiches de propagande et accroché des banderoles géantes appelant tous les Egyptiens à «faire ce qui est juste» en votant «oui» dans un référendum dont le contenu n'avait même pas été rendu public, sur la place Tahrir, lieu emblématique des manifestations de masse de 2011 qui ont conduit à la chute de la dictature de Hosni Moubarak qui était soutenu par les États-Unis depuis 30 ans.

Amnesty International a publié une déclaration dénonçant les amendements constitutionnels visant à «renforcer l'impunité pour les violations des droits humains commises par des membres des forces de sécurité», tandis que Human Rights Watch a déclaré qu'ils avaient été rédigés pour «institutionnaliser l'autoritarisme».

S'exprimant lors d'une conférence de presse convoquée par des groupes de défense des droits de l'homme à Paris, Amr Waked, parmi les acteurs les plus connus d’Égypte, qui est interdit dans son propre pays, a déclaré: «Ces amendements nous ramèneraient à une dictature adaptée au Moyen Age».

L'acteur dénonce les grandes puissances occidentales qui soutiennent le gouvernement Sissi, notamment par des ventes d'armes massives.

«Pourquoi donnez-vous une légitimité à la dictature? Pourquoi lui vendez-vous des armes?» demanda-t-il. «Vous êtes devenus trafiquants d'armes?» Il a averti que ceux qui soutiennent Sissi aujourd'hui paieront un jour un prix «plus élevé que leurs investissements pour le maintenir au pouvoir».

Washington est au premier rang de ceux qui soutiennent cette dictature tachée de sang, le Congrès américain ayant approuvé la demande de l'administration Trump pour une aide au régime Sissi de 3 milliards de dollars, et 1,4 milliard de dollars supplémentaires sont en préparation pour 2020.

Trump a accueilli Sissi à la Maison-Blanche la semaine dernière, le félicitant d'avoir fait «un travail fantastique dans une situation très difficile» et déclarant «Nous sommes d'accord sur tant de choses», dont sans doute le soutien à des méthodes draconiennes de répression contre l'opposition intérieure, le président américain souhaitant clairement pouvoir utiliser les mêmes mesures aux États-Unis que celles de Sissi en Égypte.

Au début de cette année, le président français Emmanuel Macron, face à une protestation sociale croissante dans son pays, s'est rendu au Caire pour signer une trentaine d'accords avec le régime Sissi, avec lequel Paris a déclaré un «partenariat stratégique».

L'Allemagne a également établi des liens étroits avec le régime Sissi, tandis que Sissi a accueilli des chefs d'État venus de toute l'Europe pour faire des accolades au tyran égyptien lors du tout premier sommet de l'Union européenne (UE) et de la Ligue des États arabes (LEA) tenu à Charm el Cheikh en février.

Le soutien des puissances américaines et européennes à Sissi n'est pas seulement une question de considérations mercenaires de la part des grandes entreprises d'armement. Elles l'ont adopté précisément parce qu'il a joué un rôle de premier plan dans la répression du mouvement révolutionnaire des travailleurs et des jeunes qui a renversé Moubarak en 2011, mouvement qui a menacé de se répandre dans toute la région et a inspiré des millions de personnes dans le monde entier.

Le régime égyptien a bloqué plus de 34.000 sites web dans une tentative de mettre fin à une campagne d'opposition sur Internet menée sous le nom de Batel, ou «Vide», visant à exprimer son rejet des amendements et du référendum truqué du gouvernement. Près de 300.000 personnes ont manifesté leur soutien à la campagne, malgré la répression du gouvernement, qui a perturbé un grand nombre de sites Web appartenant à des entreprises, des organisations religieuses et d'autres qui n'étaient pas liés à l'opposition.

Le référendum n'aura pas plus de légitimité que les deux élections que Sissi a organisées pour la présidence. Il a remporté le dernier par 97 pour cent après avoir disqualifié et enfermé tous ses adversaires crédibles.

Il n'y a cependant personne en Occident qui suggère que son gouvernement est «illégitime», contrairement aux demandes belliqueuses de renversement du président vénézuélien Nicolas Maduro lors des élections organisées en 2018, qui étaient un modèle de démocratie par rapport aux votes truqués en Égypte.

En plus de réprimer violemment la résistance de la classe ouvrière égyptienne, Sissi joue un rôle de plus en plus central dans les conspirations contre-révolutionnaires à travers la région. Lundi, il a organisé une réunion avec l'ancien général libyen et actif de longue date de la CIA Khalifa Haftar, alors même que son «Armée nationale libyenne» renforçait son siège de Tripoli, où plus de 200 personnes ont été tuées, 600 blessés et plus de 13.000 civils ont été déplacés par les combats.

Sissi a fait une déclaration dans laquelle il louait les efforts déployés par Haftar pour «combattre le terrorisme et les groupes et milices extrémistes afin de parvenir à la sécurité et à la stabilité». Selon les médias, le régime égyptien a également offert à Haftar du matériel militaire sophistiqué, notamment des lunettes de vision nocturne et des dispositifs de brouillage antiaérien pour l'aider dans son attaque contre la capitale libyenne.

Pendant ce temps, des délégations égyptiennes de haut niveau se sont rendues à Khartoum pour aider l'armée soudanaise à étrangler la rébellion populaire de masse qui a chassé jeudi dernier le dirigeant du pays, Omar al-Bashir.

Les millions de travailleurs et de jeunes qui sont dans les rues algériennes depuis février, forçant la démission du président Abdelaziz Bouteflika, attirent l'attention sur les sanglants événements égyptiens alors que l'armée algérienne dirigée par le général Ahmed Gaed Salah affirme qu'elle supervisera une «transition» et tout en déclenchant une répression croissante contre ces manifestations.

L'approbation de la dictature de Sissi par Wall Street et le capital financier occidental a trouvé son expression mercredi avec l'agence de notation Moody's qui a relevé la note de l'Egypte à B2 avec une perspective «stable», avec l'assurance que la «rentabilité restera forte» dans ce pays soumis.
Dans des conditions où 40 pour cent de la population vit dans une pauvreté désespérée, subsiste avec moins de 2 dollars par jour et où même ces maigres revenus sont érodés par un taux d'inflation qui est passé à 15 pour cent, cette stabilité, ainsi que le rêve de Sissi de devenir président à vie, pourraient bientôt s'avérer être de courte durée. Le puissant mouvement de la classe ouvrière dans des régions comme les villes industrielles textiles du delta du Nil et les ports égyptiens qui a détruit Moubarak va inévitablement éclater à nouveau. La question critique est d'assimiler les leçons de la trahison de la Révolution égyptienne de 2011 et de construire une nouvelle direction révolutionnaire dans la classe ouvrière en tant que section du Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article paru en anglais le 19 avril 2019)

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