Inondations dans trois provinces canadiennes: les conséquences de la déréglementation capitaliste

Depuis maintenant trois semaines, les provinces du Québec, de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick sont touchées par de graves inondations. La montée des eaux a forcé l’évacuation de milliers de personnes et de nombreuses villes ont déclaré l’état d’urgence.

Au Québec, on dénombre plus de 10.000 résidents évacués, près de 7.000 maisons inondées et plus de 3.000 isolées. En Ontario, 15 municipalités ont déclaré l’état l’urgence alors qu’au Nouveau-Brunswick, 9.200 résidences et 7.000 autres bâtiments ont été touchés par les crues. En plus des nombreuses résidences endommagées, les inondations ont forcé la fermeture de nombreux ponts et routes, dont plusieurs ont été sérieusement endommagés. Un femme est décédée à Pontiac, au Québec, lorsqu’elle n’a pu éviter le trou formé par un ponceau emporté par les eaux.

Les inondations surviennent seulement deux ans après celles de 2017, une autre série d’inondations majeures qui avaient alors forcé l’évacuation de plus de 4.000 personnes dans les trois mêmes provinces.

La montée des eaux a causé de sérieux dommages à Ste-Marie-de-Beauce, une région régulièrement touchée par des inondations. (Source : BeauceTV)

Dans plusieurs régions touchées par les crues cette année, il est tombé près du double de la moyenne de pluie pour avril. Mais, comme pour chaque grande catastrophe dont la cause immédiate est naturelle, ses conséquences sont largement amplifiées par un système social basé sur le profit individuel.

D’une part, les infrastructures permettant de protéger les maisons à risque sont largement sous-financées. D’autre part, la priorisation des profits au détriment de la sécurité par les gouvernements, que ce soit au niveau municipal, provincial ou fédéral, et par les promoteurs immobiliers, a engendré l’octroi de nombreux permis de construction dans des zones inondables.

Un exemple frappant est celui de Ste-Marthe-sur-le-Lac, une ville de 18.000 habitants en banlieue de Montréal.

La rupture d’une digue naturelle a forcé l’évacuation d’urgence de plus 6.000 résidents dans la nuit du 27 avril. Grâce à la mobilisation rapide des services de secours, personne n’a perdue la vie, mais 2.500 maisons ont rapidement été inondées, causant d’incalculables dommages matériels et psychologiques à des familles de travailleurs et de retraités. La plupart de ces maisons étaient des maisons mobiles et se trouvaient dans une zone désignée officiellement comme étant inondable.

Cherchant à détourner la colère montante des résidents de Ste-Marthe et de l'ensemble de la population, le Premier ministre de la province, François Legault, de la Coalition Avenir Québec (CAQ) de droite, a déclaré: «Je ne pense pas qu'à ce moment-ci, on puisse blâmer qui que ce soit». Faisant référence à l’état de la digue, et montrant toute l’arrogance des pouvoirs en place, il a ajouté: «La digue avait résisté en 2017, donc il n’y avait pas une perception, du côté de la municipalité qu'il y avait une urgence». Les résidents de Ste-Marthe ont intenté un recours collectif contre le gouvernement.

Suite aux inondations de 2017, où l’eau avait menacé de déborder de la digue, un rapport avait fait état de défaillances notables dans la structure de l’ouvrage et recommandait un enrochement au bas de la digue et une surélévation de deux pieds.

Depuis 2008, la digue a nécessité des travaux de réfection à deux reprises puisqu’elle présentait «des dommages majeurs mettant en danger son intégrité», selon un rapport d’inspection effectué en 2009. Le gouvernement savait très bien les conséquences catastrophiques d’une rupture de la digue. En 2009, le ministère de l’Environnement affirmait: «Nous estimons qu’il est établi que les dommages, qui pourraient être causés par une rupture de la digue, sont du domaine de la catastrophe.» Après dix ans d’une période qui a été caractérisée par le refrain «on n'a pas d'argent» de la part de tous les partis de l'establishment, et où tous les programmes sociaux vitaux ont été sabrés, c'est exactement ce qui s'est produit.

Les ouvrages anti-crues comme la digue de Ste-Marthe sont victimes de la déréglementation capitaliste. Aucune norme ne les régit et ils ne sont pas recensés. Ils ne font pas l’objet d’inspections périodiques par des ingénieurs. Selon Marc-André Martin, le président de l'Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec: «Il y a beaucoup d’ouvrages de ce type, mais ils ne sont pas recensés. Essentiellement, ce sont les municipalités ou les promoteurs privés qui ont développé des ouvrages anti-crues.»

Six jours après la rupture de la digue, le niveau de l'eau était encore très élevé à Ste-Marthe-sur-le-Lac.

Entre 1940 et 2000, environ 2.200 maisons ont été construites en zones inondables à Ste-Marthe, comparativement à 1.000 dans les zones non à risque. Selon David Etkin, enseignant en gestion de désastre à l’Université York à Toronto: «Ste-Marthe-sur-le-Lac a été inondée non en raison des pluies abondantes, mais parce que nous construisons des communautés en zones inondables». Il ajoute: «Nous sommes nos pires ennemis pour ce qui est de la façon dont nous créons des risques dans la société, à cause de la pensée à court terme, de la recherche du profit et du déni.»

La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme interdit la construction dans les zones inondables susceptibles d’être touchées 1 fois en 20 ans. Mais, la loi est plus considérée comme une «directive» par les villes, qui ont la responsabilité d’émettre les permis de construction sur leur territoire. Pour connaître l’emplacement des zones inondables, les villes s’appuient sur la cartographie établie par les Municipalités régionales de comté (MRC). Sous-financées, les MRC ont elles-mêmes de la difficulté à produire des cartes à jour et complètes.

Les villes demandent et obtiennent régulièrement des dérogations auprès du gouvernement puisque les zones inondables les privent de taxes foncières. Alors que les promoteurs profitent de ces terrains à bas prix pour gonfler leurs profits et que les villes collectent les taxes foncières additionnelles, les travailleurs se retrouvent abandonnés lorsque des inondations les frappent.

La catastrophe de Ste-Marthe et tous les autres dégâts causés par les récentes inondations étaient entièrement prévisibles. Des milliards doivent être investis dans toutes les infrastructures, y compris celles qui servent à protéger des catastrophes naturelles. Ceux qui sont touchés doivent être pleinement compensés financièrement. Cela requiert avant tout un programme socialiste pour que l’économie ne soit plus subordonnée à la course aux profits des super riches, mais aux besoins sociaux de la vaste majorité.

Loading