La France accueille «l’Appel de Christchurch» pour intensifier la censure de l’Internet

Le sommet international «L’Appel de Christchurch» s’est tenu mercredi à Paris. Le sommet a eu lieu sous l’égide du président français Emmanuel Macron et de la première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern. Ce sommet a marqué une nouvelle étape dans la campagne menée par les gouvernements capitalistes et les entreprises de technologie géantes du monde pour censurer les médias sociaux. Leur but est de museler toute opposition sociale qui se manifeste dans la classe ouvrière et chez les jeunes.

La réunion s’est tenue en marge du sommet du G7 en présence de sept chefs d’État, y compris: la première ministre britannique, Theresa May, le premier ministre canadien, Justin Trudeau, ainsi que des représentants d’Irlande, de Jordanie, du Sénégal et d’Indonésie. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, était également présent. Jack Dorsey, PDG de Twitter et Nick Clegg, responsable des affaires internationales sur Facebook, l’ancien vice-premier ministre britannique, ainsi que des représentants de YouTube, Microsoft, Daily Motion, Google et Amazon y ont également participé.

Ardern et Macron ont annoncé la réunion le mois dernier à la suite de l’attaque terroriste de Christchurch par le fasciste Brenton Tarrant, qui a tué 51 personnes dans deux mosquées de Nouvelle-Zélande le 15 mars. Tarrant a diffusé en direct son crime odieux sur les médias sociaux. On utilise ce fait pour multiplier les demandes de répression contre la diffusion en direct et d’autres formes de partage de contenu par les utilisateurs.

Tout en justifiant une attaque généralisée contre la liberté d'expression sous la bannière de la lutte contre le terrorisme, cet argument sert également à dissimuler la responsabilité des milieux politiques français, néo-zélandais et internationaux dans la promotion du climat de chauvinisme anti-immigré et anti-musulman qui a conduit à cette attaque. Elle sert également à détourner l'attention de la preuve évidente que les services de police australiens et néo-zélandais n'ont pris aucune mesure contre Tarrant malgré des avertissements préalables. (Voir: «Le gouvernement néo-zélandais interdit le manifeste du terroriste fasciste Brenton Tarrant»).

S’exprimant lors d’une conférence de presse conjointe avec Ardern mercredi soir, Macron a déclaré que: «ce qui s’est passé à Christchurch était… la transformation de l’Internet en une machine à propagande insensée au service de la fracturation de notre société dans une guerre de tous contre tous».

L'«Appel de Christchurch» est un vague engagement non contraignant pour les gouvernements et les entreprises de médias sociaux à empêcher le partage de «contenus terroristes et extrémistes violents». L'entretien d'Ardern avec Le Monde la veille du sommet a clairement montré que la réunion n'est que le début d'un processus de censure beaucoup plus large.

Interrogé par le journaliste du Monde «Pourquoi avoir choisi de vous focaliser uniquement sur les contenus de violence terroriste, et pas plus largement sur les discours haineux, alors qu’ils contribuent aussi à la dérive des réseaux sociaux?», Ardern a répondu qu’«il nous fallait trouver un point de départ qui fasse consensus». Elle a continué: «Alors plutôt que d’ouvrir la voie à un débat sur le risque de restrictions à la liberté d’expression, j’ai préféré un point de départ sur lequel on peut absolument s’entendre: personne ne pense qu’Internet doit servir à la diffusion de meurtres».

Un rapport du gouvernement français, publié à l’occasion d’une rencontre ce jour-là entre Macron et Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, a exposé la véritable cible de ce rassemblement de milliardaires de la technologie et des représentants politiques de l’élite capitaliste. Publié vendredi dernier, le rapport a résumé les résultats à ce jour de la collaboration de Facebook avec le gouvernement français. Le résultat clé de la collaboration permet aux régulateurs français d’accéder aux bureaux de censure de Facebook. Benoît Loutrel, ancien dirigeant de Google France avait coécrit le rapport.

«En permettant à tout un chacun de publier des contenus et de les partager avec d’autres utilisateurs, les réseaux sociaux ont révolutionné l’industrie des médias et les modes de communication en offrant aux citoyens et à la société civile un support d’expression directe», affirme le rapport. «Néanmoins, les possibilités offertes par les services de réseau social suscitent des abus inacceptables de la part d’individus isolés ou de groupes organisés».

Le rapport indique que les médias sociaux «créent de nouvelles formes de relations sociales, dépassent les contraintes géographiques (voire linguistiques grâce aux outils de traduction)… De nouvelles formes d’associations “numériques” de citoyens, des communautés dématérialisées, mais bien réelles, sont apparues ainsi pour partager des informations, un centre d’intérêt ou s’associer autour d’une cause à défendre».

En d’autres termes, le développement des médias sociaux a permis aux travailleurs et aux jeunes de communiquer et d’organiser des luttes à l’échelle internationale. Notamment les gilets jaunes ont organisé des manifestations en France contre les inégalités sociales. Les enseignants aux États-Unis ont fait des débrayages. Les travailleurs des maquiladoras au Mexique ont maintenu une longue grève pour des augmentations de salaire. Et les chauffeurs Uber ont organisé une grève mondiale récemment. Cela fait partie d’une vague croissante de grèves et de protestations à l’échelle internationale, organisées sur les médias sociaux hors du contrôle des bureaucraties syndicales pro-entreprises.

La réponse des gouvernements capitalistes et de leurs médias soumis contrôlés par la grande entreprise trouve son expression la plus nette dans la persécution sauvage du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange. Ils l’attaquent parce qu’il a fait ce que les vrais journalistes sont censés faire: dénoncer les mensonges et les crimes des gouvernements. Ils ont aussi emprisonné Chelsea Manning parce qu’elle a courageusement contribué à la divulgation de ces crimes.

La classe ouvrière et les jeunes perçoivent les médias bourgeois avec hostilité et mépris. Le rapport note qu’un tiers des Français et la moitié des 18-24 ans s’informent par les médias sociaux et que les plateformes de partage vidéo représentent la moitié de la consommation d’informations vidéo sur Internet.

Voilà la véritable raison pour laquelle les gouvernements du monde entier s’efforcent de censurer les médias sociaux. Le rapport indique que les «fruits de cette capacité de communication et d’expression à grande échelle, couplés d’un sentiment de relatif anonymat et d’impunité [c’est-à-dire le droit à la liberté d’expression], les réseaux sociaux sont aussi le lieu d’échanges de contenus ou comportements inacceptables».

Bien sûr, le rapport ne dit pas qui doit déterminer ce qui est «inacceptable» – une formule qui justifie une censure illimitée par l’État capitaliste.

On lit ensuite: «On observe également des impacts sur le lien social» des «fausses informations», des «rumeurs infondées» et des «actions d'individus poursuivant des objectifs politiques ou financiers». Elle appelle à «lutter contre les contenus préjudiciables aux utilisateurs et à la cohésion sociale».

L'affirmation selon laquelle la «cohésion sociale» en France et en Europe est minée par de «fausses informations» et des «rumeurs infondées», plutôt que par la montée vertigineuse des inégalités et de la pauvreté et les politiques de militarisme et d'austérité de l'establishment politique, est aussi ridicule que l'affirmation du Parti démocrate et de publications comme le New York Times et le Washington Post aux États-Unis, selon laquelle la source de l'opposition sociale croissante serait la Russie et les «fausses nouvelles».

À la suite de la rencontre avec Macron, Zuckerberg a déclaré sur Facebook que la collaboration de l’entreprise avec le gouvernement français était un «modèle» pour ce que Facebook aimerait introduire dans d’autres pays. Il s’agirait de déterminer «comment nous devrions traiter le contenu qui n’est pas illégal, mais qui pourrait causer du tort», écrit-il, «et je crois que les entreprises ne devraient pas prendre ces décisions par elles-mêmes».

(Article paru en anglais le 16 mai 2019)

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