Loi travail: les syndicats avalisent la perte de 3.000 emplois à Carrefour

Avec l’appui de deux syndicats majoritaires, FO et la CFE-CGC, Carrefour annonce une rupture conventionnelle collective (RCC), mesure mise en place dans le cadre de la loi travail instaurée par le gouvernement Macron au début de son quinquennat. La société et les syndicats organisent ainsi un vaste plan de départs «volontaires» de 3.000 salariés.

Négocié depuis plusieurs semaines entre le groupe et les syndicats, le nombre de postes supprimés par Carrefour dans ses hypermarchés en France est de 1.230. Un plafond de 3.000 départs «volontaires» a été prévu dans le cadre du projet de RCC. La CGT n’a pas eu besoin de signer, non pas qu’il soit opposé à ce plan mais parce que celui-ci a obtenu l’appui de deux syndicats majoritaires. La CGT se présente donc tout platoniquement en tant qu’opposante de la destruction d’emplois.

Mais les syndicats ne mènent aucune lutte pour défendre les salariés de Carrefour qui se sont déjà mobilisés l’année dernière. Les syndicats créent les conditions pour de nouvelles attaques, dont le projet de RCC n’est qu’une étape, visant non seulement les travailleurs à Carrefour à travers le monde, mais aussi ceux d’Auchan et de Casino qui se restructurent aussi. La tâche urgente pour les travailleurs des hypers est l’organisation d’une lutte indépendante des travailleurs à l’échelle internationale, rompant avec les syndicats.

Les rayons bijouteries, multimédia, l'arrière-caisse, le service de la paie, l'encadrement, des fonctions administratives et les caisses de station-service de Carrefour – soumis à la concurrence du e-commerce et les enseignes spécialisées – sont particulièrement visés. S'y ajoutent, selon les syndicats, l'objectif de réduction des effectifs de 15 pour cent dans 46 magasins, ainsi qu'un dispositif de départs anticipés (congé de fin de carrière).

Le patron du groupe veut rétablir au plus vite la rentabilité des hypers en réduisant leur surface et en modifiant l'offre, ce qui passe par une réduction d'effectifs.

Avec ce licenciement déguisé de 3.000 salariés de Carrefour, le gouvernement Macron participe à une vaste offensive contre l’emploi qui se déroule à l’international, avec les licenciements de masse à Ford et dans la sidérurgie britannique cette semaine. Ces attaques sociales soulignent la faillite du dialogue sociale organisé par les syndicats.

La négociation entre les syndicats et le patronat n’est pas un facteur de progrès social pour les travailleurs comme aiment le dire les syndicats. Cela contribue à la destruction d’emplois et à la réduction des coûts de la main d’œuvre pour permettre aux grands groupes nationaux d’être concurrentiels sur les marchés internationaux. La loi travail et les RCC, dont la mise en oeuvre exige l’approbation des syndicats, révèlent comment la classe dirigeante incorpore toujours plus étroitement les syndicats à la planification des attaques contre les travailleurs.

Dans une interview accordée au journal Les Echos, Muriel Pénicaud affirme que la réforme du Code du travail «commence à porter ses fruits, on est sur une belle dynamique pour ce nouveau dispositif, qui répond au double objectif de développer le dialogue social et de le sécuriser juridiquement.» Depuis l’entrée en vigueur des ordonnances qui créent ce dispositif de RCC début 2018, 96 RCC ont été engagées, dont 60 ont déjà été agréées. Un peu plus de la moitié ont concerné des grands groupes confirme le ministère du travail.

La ministre du Travail a aussi expliqué que 142 accords de performance collective traitant majoritairement du temps de travail et de rémunération ont été conclus au 31 mars. Ces accords peuvent primer sur le contrat de travail du salarié.

A Carrefour, la RCC fait partie d’un plan de transformation du groupe visant à accroître l’exploitation d’une main d’œuvre déjà surexploitée. Pour justifier ce plan connu des syndicats, le PDG Alexanre Bompard avait annoncé qu’ «après une année 2017 globalement difficile du fait d’un marché concurrentiel, 2018 serait une année charnière, car elle serait la première étape du plan Carrefour 2022.»

Le groupe avait évalué à 2 milliards d’euros les économies qu’il compte faire sur le dos des travailleurs dans le monde, selon un plan de transformation établi en janvier 2018. Alors que Bompard annonçait son plan, Carrefour affichait pour l’année 2017 un profit net énorme de 773 millions d’euros grâce à l’exploitation de main d’œuvre à bas salaire.

Les alliés des travailleurs en France dans cette lutte sont les travailleurs internationaux. Carrefour avait commencé à attaquer les travailleurs en Asie et en Amérique latine. Depuis, l’entreprise se restructure en Europe. Il a déjà réduit ses effectifs de 4.400 postes, entre les départs volontaires dans plusieurs pays et la fermeture des magasins Dia en France.

Ces attaques contre les travailleurs de Carrefour et ce projet de RCC ne furent possible que grâce à la complicité des syndicats. Ceux-ci ont isolé les travailleurs de Carrefour en grève l’année dernière d’autres sections de travailleurs en lutte, dont les cheminots en France, et les travailleurs de Carrefour autour du monde. Alors que 2018 a été marquée par une résurgence de la lutte des classes, et que les «gilets jaune» manifestent depuis six mois, les syndicats se sont empressés de signer l’accord, pour isoler une fois de plus les salariés de Carrefour.

A présent, ils ont signé la RCC, qui permet des réductions d’emplois de masse sans que le patron ait a invoquer une quelconque difficulté économique, actuelle ou à venir, et qui facilite énormément pour les employeurs la tâche de priver les travailleurs de leur emploi.

Jean-Philippe Dubs, d’Alès Groupe, un spécialiste des cosmétiques qui a fait partir quelque 80 salariés en 2018 à travers une RCC, a expliqué les avantages de ce dispositif au Monde: «Ça permet de faire bouger les lignes en interne de façon moins traumatisante qu’un plan social. Nous avons mené cette restructuration en famille, sans expert ni procédure d’information-consultation, comme cela aurait dû être le cas avec un PSE (Plan de Sauvegarde de l’Emploi) ou un PDV (Plan de Départs Volontaires).»

Dans leurs démarches, les syndicats qui ont signé la RCC adoptent sans ambages de point de vue de l’employeur contre le salarié. Ils déclarent dans leur lettre à propos de la RCC, que les «salariés sont conscients de la nécessité de la transformation des hypermarchés.» Ils proposent quelques mesures symboliques, dont la «mise en place des commissions de suivi locales» ainsi que d’un «travail de prévention et d’évaluation concernant l’organisation et la charge de travail.» Mais c’est la politique syndicale en fait qui augmente la charge de travail.

Pour lutter contre la restructuration imposée par Carrefour, il faut s’organiser indépendamment des appareils syndicaux, qui organisent ces attaques. Les travailleurs ont besoin de leurs propres comités d’action pour mener les luttes et les coordonner avec celles menées des travailleurs, y compris leurs collègues, à l’international. Ceci exige une lutte politique contre le gouvernement Macron et ses alliés, menée sur la base d’une perspective socialiste et internationaliste.

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