Jean-Luc Mélenchon salue le gouvernement mexicain comme l’incarnation de la «révolution citoyenne»

Le mois dernier, la visite au Mexique de Jean-Luc Mélenchon, le dirigeant de la France insoumise (LFI), en a dit long sur sa politique et sur la nature du gouvernement qu'il dirigerait s'il remportait les élections présidentielles françaises en 2022.

Mélenchon a voyagé en tant qu'invité officiel du parti au pouvoir, le parti Morena, du président Andrés Manuel Lopez Oprador (appelé AMLO). Au cours de ce voyage de deux semaines qui a débuté le 13 juillet, il a rencontré d'éminents membres de Morena des deux chambres du Congrès, a donné des discours à ses colloques internes et à ses réunions publiques, notamment sur son dernier livre, l’Ère du peuple, et a eu une réunion privée de deux heures avec AMLO.

Le voyage lui-même était un signe que, malgré les grèves croissantes et les manifestations des Gilets jaunes contre le président Emmanuel Macron en France. Mélenchon lui-même a l’intention de poursuivre une politique de droite contre la classe ouvrière. Pendant son séjour au Mexique, il a salué à maintes reprises le gouvernement Morena comme l’incarnation vivante de son propre programme politique mis en pratique. Dans l’un des quatre blogs vidéo qu’il a envoyés à ses disciples tout au long du voyage, il a qualifié le gouvernement AMLO de «forme particulière de la formulation de la révolution citoyenne».

Étant donné que Mélenchon lui-même présente le gouvernement Morena comme un exemple de ce qu’il aimerait réaliser s’il prenait le pouvoir en France. Il vaut la peine d’examiner quels ont été les résultats de cette «révolution» pour la classe ouvrière mexicaine et internationale.

Agissant à la demande de l’Administration Trump, AMLO a considérablement étendu les attaques contre les immigrés. Au cours des six premiers mois de son mandat, son gouvernement a déporté plus de 82.000 personnes, soit une augmentation de 245 pour cent. En juin, un mois avant la visite de Mélenchon, AMLO a déployé plus de 21.000 soldats pour patrouiller les frontières nord et sud du pays. Effectivement, ces soldats servent de prolongement au commandement fasciste de la patrouille frontalière américaine à la frontière américano-mexicaine.

L’armée mexicaine capture et détient des milliers de réfugiés, qui sont actuellement emprisonnés à raison d’environ 1000 personnes par jour afin de les expulser. Sur ordre d’AMLO, les forces de police mexicaines emprisonnent des milliers de travailleurs sont emprisonnés dans ce qui se caractérise par des camps de concentration.

Ce record a valu à AMLO les éloges personnels de Donald Trump et de son secrétaire d’État voyou, Mike Pompeo. Pendant que Mélenchon était à Mexico, Pompeo était également présent le 21 juillet pour rencontrer son homologue mexicain, Marcelo Ebrard, pour saluer les «progrès significatifs» de la politique d’immigration sous AMLO. Ebrard s’est vanté à Pompeo que Morena avait réduit le nombre d’arrivées de réfugiés à la frontière entre les États-Unis et le Mexique de 44.000 en un mois.

Morena a également poursuivi les politiques d’austérité contre la classe ouvrière mexicaine de ses prédécesseurs, poursuivant les réformes de l’éducation pro-entreprises et dénonçant les enseignants en grève. AMLO s’est opposé aux grèves sauvages massives qui ont éclaté dans la ville frontalière de Matamoros au début de 2019. Les grévistes luttaient contre les conditions misérables dans les centres de fabrication de pièces automobiles — les maquiladoras. Ils ne gagnent que dix dollars par jour. AMLO et son gouvernement les exhorter à «considérer la situation des entreprises». AMLO a fini par envoyer des troupes pour attaquer les travailleurs sur les piquets de grève.

Mélenchon a fait l’éloge frauduleux de ce bilan, le qualifiant de «quatrième transformation» en cours au Mexique. Quand il a fait référence à l’opposition croissante de la gauche et de la classe ouvrière à AMLO, c’était seulement pour la dénoncer. La collaboration du président mexicain avec l’Administration Trump lui avait «coûté cher parmi les gauchistes, qui le qualifieront comme surprise immédiate», se plaint Mélenchon. Mais il était «mieux d’éviter un choc frontal» avec les États-Unis, et «c’est ce qu’AMLO essaie de faire.»

L’appui de Mélenchon à AMLO souligne le fait qu’un gouvernement de LFI mettrait en œuvre un programme non moins anti-ouvrier que son homologue mexicain. Mélenchon a clairement indiqué qu’il partageait le programme anti-immigrés d’AMLO. Il a dit aux sénateurs de Mexico qu’il n’était pas non plus «un partisan de la libre migration» et que les frontières nationales «ont une fonction vitale de cellule à structurer et à organiser».

Mélenchon espère sans doute que son association avec Morena redorera son propre blason, dans un contexte d’effondrement du soutien électoral à son parti. Après avoir obtenu 20 pour cent des voix aux élections présidentielles de 2017, il est tombé à un peu plus de 6 pour cent aux élections européennes de cette année, après n'avoir pas donné un soutien politique significatif à l’organisation d’actions de protestation en défense des Gilets jaunes attaqués par Macron.

Lors de son voyage, Mélenchon a tenté d’écarter l’importance et les implications de cette débâcle électorale. Il a noté que Morena avait été vaincu lors de deux élections avant de remporter une victoire écrasante en 2018. Dans cette victoire AMLO est devenu le bénéficiaire indigne d’une vague croissante d’opposition politique de gauche au sein des travailleurs et les jeunes. Il a obtenu de loin le plus grand nombre de voix de tous les présidents de l’histoire du Mexique.

Cependant, ce que les événements ont révélé, tant au Mexique qu’en France, c’est l’aggravation du fossé de classe qui sépare les travailleurs et les immigrants des politiciens capitalistes comme Mélenchon et AMLO.

Le gouvernement Macron, qui a sabré dans les droits du travail, les dépenses sociales des retraites et les impôts des riches, et qui a réprimé brutalement les manifestations des Gilets jaunes avec la violence policière, est largement et à juste titre détestée par la classe ouvrière et la jeunesse. Le Parti socialiste, dont Macron et son parti sont directement issus, est méprisé comme un grand parti d'affaires en raison de son rôle dans l'austérité et le lancement de guerres néocoloniales depuis des décennies, y compris leur soutien, comme Mélenchon lui-même, à la guerre en Libye en 2011. Les syndicats, qui étranglent et répriment la lutte de classe depuis des décennies, sont devenus des appareils anti-ouvriers qui travaillent avec les entreprises et sont ouvertement hostiles aux Gilets jaunes.

Dans ces conditions, Mélenchon est conscient de la nécessité un nouveau piège nationaliste de «gauche» pour empêcher le développement d’un mouvement socialiste révolutionnaire international dans la classe ouvrière. Ce nouveau piège vise à la défense de la propriété capitaliste et des intérêts géostratégiques de l’impérialisme français. Ayant servi au sein du Parti socialiste pendant des décennies jusqu’en 2009, il a formé le Front de gauche, puis La France Insoumise dans ce but. Son voyage au Mexique a montré à la classe dirigeante française qu’on peut lui faire confiance pour imposer sa politique d’austérité et de militarisme contre une opposition croissante de la classe ouvrière.

Mélenchon a choisi de visiter le Musée Léon Trotsky, situé dans l’arrondissement de Coyoacán de Mexico City. Le musée se trouve dans la maison où le grand révolutionnaire russe, qui en 1917 a codirigé la Révolution d’octobre avec Vladmir Lénine et fondé en 1938 la Quatrième Internationale contre la dégénérescence stalinienne de l’Union soviétique et de la Troisième Internationale communiste, a vécu pendant quatre ans et demi avant son assassinat le 20 août 1940, par la main de Ramon Mercader, un agent stalinien.

Dans son blog, Mélenchon présente la lutte titanesque de Trotsky contre la bureaucratie stalinienne contre-révolutionnaire et nationaliste comme une question d’intérêt purement académique, sans pertinence contemporaine particulière. «Au XXIe siècle, nous pouvons clairement réécouter toutes nos conférences sur la façon dont nous interprétons les événements» de la Révolution russe, pour «adhérer, comme pour moi dans ma jeunesse, au trotskysme», et savoir si ce que proposait Léon Trotsky était vraiment nécessaire, «plutôt que ceci ou cela, etc».

Pour lui, cela ne diminuerait pas la loyauté de «ceux comme moi» à la «mémoire des rebelles absolus comme Trotsky, qui était un insoumis absolu parce qu’il ne s’est jamais soumis à Staline.»

Quelle escroquerie! Il est absurde de comparer un dirigeant de la Révolution d’octobre et le fondateur de la Quatrième Internationale à Mélenchon, l’ancien ministre du Parti socialiste et allié du gouvernement d’austérité de Syriza («Coalition de la gauche radicale») en Grèce. Mélenchon, c’est bien connu, a déclaré que la classe ouvrière et la révolution socialiste sont politiquement non pertinentes et que l’époque actuelle exige une politique populiste. C’est-à-dire que Mélenchon prend comme point de départ une hostilité au vitriol à l’égard de la perspective marxiste classique dont Trotsky était un très brillant représentant.

La prétention de Mélenchon de condamner l’assassinat de Trotsky est tout aussi grotesque et sinistre. D’abord la carrière politique de Mélenchon a impliqué une longue collaboration avec le Parti communiste français — un parti qui était étroitement impliqué dans la création du réseau international stalinien qui a organisé et préparé l’assassinat de Trotsky. Ce même réseau a assassiné ses proches collaborateurs, dont son fils Leon Sedov, et le secrétaire de la Quatrième Internationale, Rudolf Klement et plusieurs d’autres.

Malgré la prétention de Mélenchon d’avoir été trotskyste dans sa jeunesse, la réalité est qu’il n’a jamais appartenu à un parti trotskyste. Sa carrière politique a commencé dans l’Organisation communiste internationaliste (OCI) après sa scission en 1971 d'avec le Comité international de la Quatrième Internationale, ce qui avait signalé la rupture de l’OCI avec le trotskysme. Tirant les conclusions de l’orientation nationaliste de l’OCI à l’égard du Parti socialiste (PS) gagné au grand patronat, Mélenchon a abandonné alors l’OCI pour se lancer dans une carrière au PS.

Mélenchon a joué un rôle clé dans l’Union de la gauche entre le PCF et le PS, dirigée par François Mitterrand, et soutenue par l’OCI. Il a ensuite été conseiller de Mitterrand et ministre dans le gouvernement du PS dirigé par Lionel Jospin, qui était lui-même un autre membre de l’OCI travaillant au sein du PS.

Si Mélenchon essaie maintenant d’associer son propre parti au nom de Trotsky, c’est parce qu’il est conscient que le nom de Trotsky et sa lutte contre le stalinisme continuent de susciter l’intérêt et l’admiration des secteurs les plus politiquement conscients de la classe ouvrière et de la jeunesse. Cet intérêt ne fera que croître au milieu de la crise la plus profonde du capitalisme mondial depuis les années 1930, qui propulse une fois de plus des millions de travailleurs dans des luttes révolutionnaires.

Aujourd’hui, le trotskysme n’est représenté que par le Parti de l’égalité socialiste en France et le Comité international de la Quatrième Internationale, qui a mené une lutte prolongée pendant plus de 65 ans pour défendre le programme et les principes du trotskysme authentique contre toute forme de révisionnisme qui attribuait un rôle historique progressiste à la bureaucratie stalinienne, la social-démocratie et aux organisations bourgeoises-nationalistes des pays coloniaux et qui s’est opposé sur cette base au combat pour bâtir un parti révolutionnaire indépendant de la classe ouvrière.

(Article paru d’abord en anglais le 21 août 2019)

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