La fuite d'un document révèle l'espionnage d'Etat

Le FBI cible les groupes qui s'opposent aux camps de concentration de Trump en les qualifiant d' «extrémistes».

Un rapport de renseignement du FBI qui a fait l'objet d'une fuite révèle que le gouvernement américain utilise des informateurs et les médias sociaux pour espionner des groupes de protestation américains de gauche opposés aux milices fascistes aux frontières et à l'attaque de l'administration Trump contre les immigrants.

Le document, intitulé «Des extrémistes anarchistes risquent fort de cibler de plus en plus d'organismes du gouvernement américain en Arizona et d'accroître le risque de conflit armé», produit par le bureau de Phoenix du FBI, a été publié le 4 septembre par Yahoo News.

Le rapport révèle des activités anticonstitutionnelles dans la droite ligne des crimes du FBI sous l'ancien directeur J. Edgar Hoover. Il s'agit d'un grave signal d'alarme: l'appareil de renseignement militaire est en train de créer clandestinement le cadre juridique et physique pour la criminalisation de la liberté d'expression et la répression de l'activité politique de gauche. Alors que le fasciste à la Maison-Blanche établit des camps de concentration pour les immigrés et les opposants politiques, un groupe bipartite de politiciens et d'agents du renseignement s'efforce d'écraser la dissidence.

Le rapport explique que le FBI cible les «extrémistes anarchistes» (appelés «AE») parce qu'ils «considèrent les politiques et procédures américaines d'immigration pour traiter les immigrants sans papiers - y compris les arrestations, les expulsion et les barrières frontalières - comme des violations des droits de l'homme et les installations et personnels gouvernementaux qui les soutiennent comme des symboles de la tyrannie américaine.»

Le FBI justifie le qualificatif d'«extrémistes» en se basant sur le fait qu'ils «surveillent diverses activités des patrouilles frontalières américaines, des milices de droite et d'autres groupes favorisant le mur frontalier, principalement pour dénoncer les violations des droits de l'homme et communiquer les menaces aux groupes humanitaires opérant dans cette région.»

L'utilisation de la terminologie est juridiquement significative: les groupes qui s'opposent aux fascistes sont des «extrémistes» tandis que les fascistes sont simplement répertoriés comme des «groupes de droite». Le FBI sert effectivement de protecteur aux milices fascistes.

Le rapport explique que le FBI a recueilli des informations à partir de «rapports humains et de logiciel libre avec un accès et une fiabilité variables, la majorité ayant un accès direct». Traduit en langage clair, le FBI fouille les sites Web et les pages personnelles des médias sociaux pour en tirer des informations «open source» tout en travaillant avec des informateurs «humains» ou des agents infiltrés qui ont «un accès direct» aux groupes et individus ciblés.

Le rapport révèle la nomenclature antidémocratique et les catégories juridiques employées par les services de renseignement dans leurs enquêtes sur l'opposition de gauche.

Le FBI a passé en revue les «sites Web extrémistes», y compris un «site Web AE» qui préconise des «actions perturbatrices» contre le Services des douanes et la protection des frontières (CBP) et le Service de l'immigration et des enquêtes douanières (ICE). Le FBI a fait référence à un autre «site extrémiste» au motif qu'il prône «une trajectoire de rébellion». Un individu a été ciblé pour la surveillance des médias sociaux parce qu'il était «un antifasciste autoproclamé» qui avait «exprimé son soutien» aux «AE».

Le FBI admet que «la majorité des AE ne poursuivent pas leurs objectifs avec des armes à feu» et que «des groupes AE ont interdit les armes à feu ou le port d'armes chargées». En d'autres termes, les groupes sont ciblés bien qu'ils aient explicitement renoncé aux comportements violents.

Le rapport du FBI est une partie petite mais dangereuse d'un effort plus large visant à criminaliser l'opposition sociale de gauche sous les auspices de la lutte contre le «terrorisme intérieur».

En août, le Président Trump a tweeté que «l'on envisage sérieusement de qualifier ANTIFA d'"organisation terroriste.»

Les services de renseignement et un réseau bipartite de politiciens et de fonctionnaires ont en effet accordé une «grande attention» à la qualification des groupes nationaux de «terroristes».

Dans son document de Stratégie nationale de lutte contre le terrorisme de 2018, l'administration Trump a ajouté pour la première fois plusieurs sections traitant du «terrorisme intérieur».

Le document s'engageait à «enquêter et à intégrer les informations sur les menaces liées aux terroristes nationaux», notant que «les États-Unis sont depuis longtemps confrontés à une menace persistante pour leur sécurité émanant de terroristes nationaux qui ne sont pas motivés par une idéologie islamiste radicale». En outre, l'administration s'est engagée à «sensibiliser à la radicalisation et à la dynamique du recrutement» et à «promouvoir les efforts de base pour identifier et combattre la radicalisation afin d'isoler les populations civiles de toute influence terroriste».

Dans une déclaration publiée en mai 2019 à l'appui d'une loi faisant du «terrorisme national» un crime fédéral, Michael McGarrity, directeur adjoint de la Division de l'antiterrorisme du FBI, a écrit que les «terroristes nationaux» agissent «en vue de la réalisation des objectifs idéologiques découlant des influences nationales, comme les préjugés raciaux et le sentiment antigouvernemental».

McGarrity a ajouté que le FBI collabore avec les services de renseignement étrangers pour surveiller les activités politiques internationales: «Nous travaillons avec nos partenaires étrangers pour enquêter sur des sujets qui, dans leur pays, peut-être radicalisent les Américains...»

Au début de l'été, le député démocrate Adam Schiff a présenté un projet de loi qui créerait une loi fédérale interdisant de soutenir des individus ou des groupes qualifiés de «terroristes nationaux». Bien que Schiff et les démocrates prétendent que la loi viserait les tireurs de masse de droite, les actes terroristes violents sont déjà illégaux dans toutes les juridictions, ce qui signifie que l'objectif principal d'une telle loi fédérale serait de criminaliser la liberté d'expression et d'association, particulièrement à gauche.

Robert Chesney, cofondateur de Lawfare Blog et ancien avocat de l'administration Obama, a expliqué le 8 août qu'une loi fédérale sur le terrorisme intérieur serait «utile» pour criminaliser les propos et les activités non criminels.

S'exprimant à l'appui de cette mesure, il a écrit qu'une loi sur le terrorisme national faciliterait «les poursuites anticipées de personnes que le gouvernement juge personnellement dangereuses mais qui ne peuvent pas encore être liées à des complots, tentatives ou actes de violence particuliers.» Chesney note que «ce qui manque dans le scénario du terrorisme intérieur», c'est «une liste d'organisations interdites auxquelles il devient criminel de fournir, sciemment, toute forme de soutien». Être «membre actif» d'un tel groupe ferait d'un individu un «terroriste national».

L'une des principaux architectes des plans clandestins visant à créer un cadre juridique pour la répression de la liberté d'expression est l'ancienne ministre adjointe par intérim de l'administration Obama, Mme Mary McCord, procureur général adjointe pour la sécurité nationale.

Le 27 février, Mme McCord a rédigé un article de Lawfare Blog intitulé «Une feuille de route pour le Congrès en matière de lutte contre le terrorisme national» avec Jason Blazakis, l'ancien directeur du Département d'État du bureau de contre-terrorisme de finance et de désignation, l'organisme chargé de déterminer quels groupes sont inscrits comme «organisations terroristes étrangères» dans la Loi Patriot.

L'article préconise l'adoption d'une loi sur le terrorisme national afin de mobiliser les «Équipes

spéciales de lutte contre le terrorisme JTTF» du FBI, qui fonctionnent «dans 104 villes du pays, regroupant plus de 4000 spécialistes fédéraux, d'états et locaux de la police et du renseignement, pour lutter contre le terrorisme national». McCord et Blazakis affirment que le «terrorisme national» implique des actes qui sont «motivés par des idéologies politiques, économiques et sociales extrémistes», une définition qui vise clairement à englober les points de vue socialistes, anti-guerre et de gauche.

Le New York Times a interviewé McCord le 9 août, en rapportant qu'elle «soutenait que le fait d'avoir le terrorisme national et les accusations connexes de stockage d'armes dans la législation donnerait au FBI une base plus solide pour enquêter sur les personnes qui suscitent des soupçons qu'elles pourraient poser un risque de violence à motivation politique, notamment en envoyant des personnes pour savoir ce que ces suspects disent en privé».

Les plans de l'État pour réprimer l'opposition sociale comprennent des menaces de recours à la force physique. En plus le 9 août, Clint Watts, défenseur de la censure sur l'Internet, a écrit un article d'opinion dans le Wall Street Journal intitulé «Comment lutter contre le nouveau terrorisme national» qui appelle le gouvernement à «utiliser son expérience durement acquise contre Al-Qaïda et l'État islamique» pour combattre le «terrorisme intérieur».

«Nous devons appliquer rapidement et soigneusement les meilleures pratiques des deux décennies qui se sont écoulées depuis le 11 septembre 2001 pour contrer la menace terroriste intérieure en adoptant de nouvelles lois, en augmentant les ressources et en renforçant les capacités d'enquête», écrit Watts.

C'est un aveu que la classe dirigeante - avec l'appui bipartite - se prépare à employer chez elle les forces brutales de la mort et de la répression utilisées contre les travailleurs et les paysans en Irak, en Afghanistan, en Syrie, au Yémen et en Libye. L'objectif est de réprimer la croissance de l'opposition sociale et de défendre des niveaux d'inégalités sociales qui montent en flèche.

Le ciblage des groupes pro-immigrants par le FBI en Arizona montre que les agences de renseignement ne s'intéressent pas principalement aux tenants de la suprématie blanche. Trump, qui a qualifié les néo-nazis de «bonnes gens», ne dirige manifestement pas cette stratégie contre ses alliés d'extrême droite. Après tout, l'un des principaux adjoints du président, Stephen Miller, est lui-même un extrémiste fasciste, et il dirige effectivement le DHS (Department of Homeland Security, Département de sécurité intérieure).
La véritable cible c'est la classe ouvrière, qui doit être mobilisée contre la menace du fascisme et de la dictature.

(Article paru en anglais le 9 septembre 2019)

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