La France et l'Allemagne renforcent leur occupation du Mali et du Sahel

Les gouvernements de la France et de l’Allemagne étendent leur occupation néocoloniale du Mali et de l’ouest du Sahel, riche en ressources naturelles, qui dure depuis près de sept ans.

Lors d’une conférence de presse conjointe en marge du sommet du G7 à Biarritz, le mois dernier, le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel ont annoncé un nouveau «partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel», le P3S. Les détails en seront communiqués plus tard cette année. Il intégrera davantage de pays africains dans l’occupation du Mali, au-delà de l’actuelle force sahélienne du G5, qui comprend le Burkina Faso, le Tchad, le Mali, la Mauritanie et le Niger.

«Face à l’extension du phénomène terroriste, nous avons décidé de développer ce soutien», a dit Macron, «Tous les efforts sont évidemment utiles, mais notre objectif est un changement d’échelle et de méthode.»

Environ 4.000 soldats français et plus de 800 soldats allemands sont déjà stationnés au Mali. Ils opèrent dans le cadre d’une force des Nations Unies qui compte plus de 15.000 militaires et policiers.

Un drone Reaper MQ-9

À présent, cette occupation brutale doit encore s’étendre sous la bannière cynique et frauduleuse de la lutte contre le terrorisme et de la protection de la population. En réalité, l’intervention de l’impérialisme allemand et français vise à assujettir cette région d’Afrique occidentale riche en ressources. Accessoirement, elle vise à stabiliser le régime fantoche de Bamako contre une opposition croissante des travailleurs et des masses opprimées du pays. Ce régime est méprisé et a des antécédents documentés d’exécutions sommaires et de torture de ses opposants.

L’armée française a déjà déployé quatre drones Reaper de surveillance non armés, achetés à l’armée américaine, pour fournir les cibles de ses frappes aériennes et opérations terrestres dans la guerre du Mali. En mars, le gouvernement Macron a annoncé qu’à la fin de 2019, les militaires français y déploieront des drones armés. Ce sera la première fois que la France les utilisera. D’ici 2020, ils seront équipés de missiles Hellfire.

Les attaques de drones seront contrôlées depuis une base militaire française à Niamey, au Niger voisin. Parallèlement, l’approvisionnement en drones passera de cinq unités actuellement à 12 en 2025, et à 25 en 2030. Ce printemps, la base aérienne de Cognac, dans le sud-ouest de la France, inaugurera son premier escadron de drones dédié à la «Surveillance, reconnaissance et attaque».

En d'autres termes, la guerre au Sahel est le terrain d'essai de l'impérialisme français pour développer les méthodes des guerres d'occupation au Moyen-Orient et en Afrique mises au point par la CIA et l'armée américaine ces 20 dernières années au Pakistan, en Afghanistan et en Somalie. L'extension de la flotte française de drones armés montre clairement que la classe dirigeante envisage des années de guerres ininterrompues à une échelle éclipsant ce qui se passe déjà.

En près de six ans, la guerre du Mali a entraîné la mort d’au moins 6.000 personnes. Elle a provoqué une crise des réfugiés, des dizaines de milliers de personnes ayant dû fuir leur foyer.

La France est intervenue en janvier 2013 contre un ensemble de forces séparatistes et islamistes. Ces dernières ont pris les armes lors de la guerre de l’OTAN en Libye en 2011 et se sont rendues dans le nord du Mali en 2012. Paris, Berlin et leurs alliés impérialistes et mandataires locaux n’ont pas atteint leur objectif, établir le contrôle du nord du Mali pour le gouvernement de Bamako. Les forces d’occupation sont considérées à juste titre dans la population autochtone comme une force hostile, chargée d’assujettir le pays. Le régime de Bamako, qu’ils soutiennent, est coupable de crimes horrifiant envers sa population.

Un rapport publié par Human Rights Watch en avril 2018 a, par exemple, documenté la mort d’au moins 27 hommes et la torture de deux autres par les militaires. Le rapport détaillait une seule opération dans la région de Mopti, au centre du Mali, de février à mars de la même année. Le rapport cite «de multiples récits d’arrestations massives suivies de la découverte de fosses communes».

Les assassinats visaient la communauté ethnique musulmane des Peuls. Les enquêteurs ont interrogé des proches à Sokolo qui ont déclaré que l’armée avait arrêté sept hommes peuls qui célébraient un baptême, le 21 février, dont le chef du village et plusieurs membres de sa famille. Six jours plus tard, le gouvernement malien a rapporté que tous les hommes avaient été tués au cours de «combats» dans la région.

Le 25 mars, des habitants de Dogo ont déclaré aux enquêteurs qu’ils avaient identifié dans une fosse commune six corps d’hommes qui avaient été arrêtés trois jours auparavant. Le maire local a déclaré que tous les hommes étaient connus comme marchands et n’avaient aucun lien avec des groupes islamistes armés.

La question évidente est de savoir quel rôle les forces spéciales françaises ont joué dans ces massacres de civils et si elles sont impliquées dans d’autres massacres de ce genre, en particulier ceux incluant des personnes soupçonnées d’avoir des sympathies pour les forces islamistes ou séparatistes antigouvernementales. Les puissances occupantes sont de toute façon impliquées dans tous ces crimes, commis avec leur connaissance, par un gouvernement qu’elles soutiennent.

Les informations qui font état d’exécutions extrajudiciaires et d’actes de torture commis par les autorités maliennes au cours des deux dernières années ont fait l’objet d’un silence quasi total dans les médias français. Ces derniers ont montré peu d’intérêt à exposer la réalité de la guerre aux travailleurs en France et en Europe.

On soupçonne le régime de Bamako d’avoir facilité également une vague croissante d’assassinats communautaires entre les communautés Dogon et Peuhl. Au cours des six derniers mois il y eut des dizaines de ces massacres dont une attaque contre un village Peuhl le 23 mars ayant fait plus de 150 morts. Un massacre en représailles, en juin, dans le village de Sobane Kou, a tué au moins 95 Dogons, dont des dizaines de femmes et d’enfants.

Le gouvernement dépend de la milice Dogon pour ses opérations de sécurité. Les forces gouvernementales maliennes auraient soit participé, soit permis des tueries dans les communautés peules, qui sont majoritairement musulmanes. Le journal allemand Süddeutsche Zeitung, qui soutient la guerre, notait le 29 août que «l’État soutient indirectement les milices, qui terrorisent maintenant la population, afin d’affirmer son influence dans les régions contestées».

Désormais, les massacres communautaristes dans des villes provoquent régulièrement des manifestations contre le gouvernement. Le Monde, qui soutient depuis le début la guerre de l’impérialisme français au Sahel, donne un rare aperçu de l’hostilité envers les troupes dans un article publié le 19 août. Les journalistes, voyageant avec un convoi de soldats de l’ONU, ont noté que leur arrivée avec des chars et des camions dans un village majoritairement Dogon avait provoqué des protestations et des jets de pierres par des civils.

Le Monde note: «A droite, un homme à terre, arrivé en même temps que la patrouille UNPOL dans le village, est menacé par des habitants. Tous voient en lui un traître, qui a guidé les casques bleus jusque-là. » Ses citoyens se dressent devant les chars: ils veulent que la Minusma [l’ONU] s’en aille. » En avril, le premier ministre malien a été contraint de démissionner après une vague de protestations.

La guerre du Mali fait partie de la nouvelle volonté des puissances impérialistes d’assujettir et de découper l’Afrique. L’impérialisme français répond également à l’influence croissante de nouveaux concurrents dans la région, dont la Chine et la Russie. En décembre 2018, un rapport publié par le Portail de l’intelligence économique, un groupe de réflexion étroitement lié au renseignement français, constatait que les investissements chinois en Afrique, plus importants que ceux de tout autre pays, avaient augmenté de 1.400 pour cent de novembre 2015 à novembre 2016.

Ce rapport déclare que « sa stratégie d’influence en Afrique réside dans la mise en avant d’une aide “sans conditions” contrairement à celle de l’Europe et notamment de la France. » Sa position accentue les craintes de longue date des stratèges impérialistes français qui craignent que la France « risque d’être écartée du nouveau scénario international qui s’ouvre à l’Afrique et s’expose aujourd’hui au risque de voir ses intérêts économiques menacés par de nouvelles parties prenantes de l’économie africaine. »

Le Mali est un pays d’Afrique occidentale crucial du point de vue géostratégique. Le nord du Mali, où les forces d’occupation françaises sont concentrées, est frontalier avec le Niger, d’où la France s’approvisionne principalement en uranium. Au Mali même se trouvent au moins trois grands gisements d’uranium, dont Falea, à 320 kilomètres à l’ouest de Bamako, avec environ 5.500 tonnes d’uranium et Samit, dans la région de Goa, avec 220 tonnes.

Le Mali est aujourd’hui le troisième producteur d’or d’Afrique, après le Ghana et l’Afrique du Sud. Le mois dernier Al Jazeera publiait un article intitulé «C’est l’heure pour une ruée vers l’or en Afrique occidentale». L’article cite Lebohang Sekhokoane, une analyste de recherche minière de la Public Investment Corporation (PIC) en Afrique du Sud, qui explique: «Des gisements à faible coût au Mali, au Burkina Faso, en Guinée et en Côte d’Ivoire offrent le potentiel d’investissements à long terme. Le PIC préfère ces opportunités plutôt que la durée de vie de cinq à dix ans des projets en Afrique du Sud ». Elle ajoute, «Quand on regarde le secteur de l’or en Afrique de l’Ouest, c’est là que le soleil se lève».

(Article paru d’abord en anglais le 11 septembre 2019)

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