Québec: défendons la centaine de grutiers poursuivis pour grève «illégale»!

Près de 100 grutiers du Québec font face à des poursuites du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) pour avoir participé à une «grève illégale» en juin 2018. Ils risquent des amendes allant de 100$ à plus de 1000$, selon le nombre de journées de grève pour lesquelles ils sont reconnus coupables. Au moins la moitié sont visés par des amendes de plus de 1000$. Les grutiers ciblés font partie de trois syndicats: l'Union des opérateurs grutiers (local 791g), l'Union internationale des opérateurs-ingénieurs (local 905) et le Syndicat québécois de la construction.

En juin 2018, les 2000 grutiers de la province avaient paralysé les principaux chantiers de construction en faisant grève pendant 8 jours. Ils s’opposaient à une baisse draconienne de la formation requise pour être grutier, qui posait des dangers mortels pour eux, leurs collègues et le public en général.

Dès le début de la grève, le tribunal avait ordonné aux grutiers de retourner au travail et les avait menacés d’amendes allant jusqu’à 10.000$ et de peines d’emprisonnement. Courageusement, les grutiers avaient, pendant plusieurs jours, défié le tribunal et les appels frénétiques des médias et du gouvernement libéral de l’époque pour qu’ils retournent au travail.

Ils avaient aussi rejeté les appels en ce sens de leurs propres syndicats, la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) et la FTQ-construction, qui avaient menacé de mettre sous tutelle le local 791g s’il ne mettait pas fin au débrayage. Tous les syndicats ont admis que ce sont les grutiers eux-mêmes qui avaient déclenché la grève. Si elle avait autant inquiété les représentants de l’establishment, qui l’ont immédiatement dénoncée comme étant «illégale», c’est parce qu’elle posait un défi à la «convention collective» 2017-2021 qui avait été imposée de force dans la construction à l’aide d’une loi spéciale.

L’étranglement de la grève par les syndicats, principalement la FTQ et la FTQ-construction, a ouvert la porte aux représailles en cours contre les grutiers ainsi qu’à de nouvelles attaques contre l’ensemble des travailleurs de la construction – y compris la menace de déréglementer d’autres corps de métier pour faciliter une offensive patronale sur les salaires et les conditions de travail.

La Commission de la construction du Québec (CCQ), qui chapeaute l’industrie, a transféré 500 dossiers au DPCP dans les mois qui ont suivi la grève. En plus de ces mesures de représailles, le gouvernement de droite de la CAQ (Coalition Avenir Québec) a entériné en juillet dernier l’abaissement de la formation requise pour devenir grutier.

L’assaut sur les grutiers est un autre exemple des méthodes anti-démocratiques utilisées de longue date par la classe dirigeante, et de manière accrue depuis 2008, pour imposer son programme de guerre de classe. Au cœur de celles-ci se trouve l’adoption de lois anti-grève pour imposer des suppressions de postes, des baisses de salaires et un démantèlement des services publics.

Rien que ces dernières années au Canada, les cheminots, les travailleurs des postes ou encore les enseignants, pour ne nommer que ceux-là, ont tous fait face à des lois spéciales de retour au travail. Un danger similaire guette plus d’un demi-million de travailleurs du secteur public québécois dont les conventions collectives arrivent à échéance en mars 2020.

Alors que l’élite dirigeante cherche à tracer un exemple sur les grutiers pour criminaliser toute résistance ouvrière à la déréglementation et à l’austérité capitalistes, les syndicats censés les représenter restent silencieux. La FTQ ne mène aucune campagne pour dénoncer l’injustice que subissent les grutiers, sans parler de mobiliser ses 600.000 membres à leur défense.

Ce silence complice est la poursuite de leur virulente opposition à la grève de juin 2018 des grutiers. Il exprime également l’accord fondamental des appareils syndicaux avec la batterie de lois spéciales mise en place par l’élite dirigeante pour museler la classe ouvrière.

Les syndicats, dont les chefs sont grassement rémunérés pour leurs services, sont des acteurs clés dans l’imposition de l’austérité. Ils isolent les travailleurs dès qu’une lutte éclate et refusent de lever le petit doigt contre les lois anti-grève. Ancrés dans une perspective nationaliste et pro-capitaliste, ils sont depuis longtemps des partenaires importants de l’establishment politique.

Au Québec, cela a pris la forme d’une participation dans des comités tripartites État-patronat-syndicat et d’un appui politique aux indépendantistes du Parti québécois, un parti chauvin et pro-austérité. Dans le reste du Canada, les syndicats entretiennent des liens privilégiés avec le gouvernement libéral de Justin Trudeau et appuient pleinement sa politique militariste et de guerre commerciale qui est menée sur le dos des travailleurs.

Ces appareils bureaucratiques se prosternent devant les lois spéciales parce qu’ils savent qu’une véritable lutte contre celles-ci exigerait la mobilisation de toute la classe ouvrière et soulèverait des questions politiques vitales. Derrière les tribunaux qui cassent les grèves se trouvent l’État capitaliste et les grandes entreprises, y compris celles de la construction.

Une lutte véritable contre les lois anti-grève exige une rupture avec les syndicats pro-capitalistes et la construction de nouvelles organisations de lutte – des comités de la base orientés sur la perspective d’une mobilisation politique indépendante des travailleurs contre le capitalisme.

Les conditions mûrissent pour une telle rupture. Au cours de la récente période, une hostilité envers les appareils syndicaux s’est manifestée dans de nombreux exemples de luttes ouvrières à travers le monde, que ce soit les travailleurs de pièces d’autos au Mexique ou les enseignants aux États-Unis. Parmi les 46.000 travailleurs de GM aux États-Unis qui ont déclenché leur première grève nationale depuis 30 ans, la colère envers leur syndicat (UAW) est palpable – ce dernier a imposé au fil des décennies une série de concessions et est impliqué à présent dans un scandale de corruption.

Tous les travailleurs du Canada doivent se porter à la défense des grutiers, qui sont poursuivis pour avoir exercé leur droit élémentaire de grève. Une telle mobilisation doit remettre en question les lois spéciales de retour au travail dans le cadre d’une lutte politique, menée à l’échelle canadienne et internationale, contre l’austérité capitaliste.

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