Les manifestants libanais exigent toujours la démission du gouvernement

Les travailleurs et les étudiants de tout le Liban ont maintenu leurs mobilisations - malgré les pluies torrentielles - contre le gouvernement du Premier ministre Saad Hariri. Les manifestations durent maintenant huit jours, rejetant les soi-disant réformes économiques et exigeant la démission de l'ensemble de son gouvernement.

Les manifestations ont éclaté la semaine dernière, entraînant la mobilisation d'un quart des six millions d'habitants du pays dans les rues après que le gouvernement ait tenté d'imposer une autre taxe visant à faire payer à la classe ouvrière profondément appauvrie du pays pour une crise économique grandissante, à savoir une taxe de 6 $ par mois sur les messages WhatsApp. Les tentatives d'utilisation de l'armée et de la police pour disperser des manifestations n’ont servi qu’à attiser la colère populaire et ont été en grande partie abandonnées.

Des manifestants anti-gouvernementaux à Beyrouth, au Liban [Source: AP Photo / Hassan Ammar]

Les manifestations de masse ont été provoquées par une profonde colère contre une inégalité sociale qui a explosée depuis la fin de la guerre civile en 1990. Le 1 pour cent des plus riches monopolise 58 pour cent de la richesse du pays, tandis que les 50 pour cent des plus pauvres en possèdent moins de 1 pour cent, dans pays qui fonctionne comme un paradis fiscal et un terrain de jeu pour les kleptocrates de la région.

Les manifestations ont réuni des travailleurs et des jeunes en défiant toutes les divisions sectaires et nationales, avec la participation des réfugiés palestiniens et syriens, contre lesquels l'élite dirigeante libanaise a longtemps attisé les tensions xénophobes afin d’empêcher une mobilisation unie de classe. Quelque 1,5 million de Syriens sont installés au Liban après avoir fui la terrible guerre par procuration dans leur pays menée par les États-Unis, et à qui le Liban refuse d'accorder le statut de réfugié ou d'asile, ainsi que des centaines de milliers de réfugiés palestiniens de longue date qui jouissent de droits très limités dans le pays.

Hariri, surpris par l'ampleur des manifestations, a fait marche arrière. Il a abandonné la taxe et, menaçant de démissionner si ses partenaires de coalition ne le faisaient pas, a forcé ces derniers indisciplinés à s'accorder sur un budget pour 2020 n'imposant aucune taxe supplémentaire à la classe ouvrière.

Alors que le budget fait des gestes symboliques tels qu’une réduction de moitié des salaires et les avantages sociaux des anciens et actuels politiciens en poste et oblige la banque centrale et les banques privées à contribuer pour 3,3 milliards de dollars en vue d’un budget 2020 pour afficher un «déficit quasi nul», il ouvre l'économie libanaise aux investisseurs privés, davantage de privatisations et d’endettement dont les effets sur le niveau de vie seront négatifs. Avec une dette nationale de 86 milliards de dollars, récemment réduite au rang d'obligations pourries par les agences de notation, le gouvernement doit satisfaire à des conditions économiques et fiscales difficiles pour accéder aux 11 milliards de dollars de prêts annoncés lors de la conférence internationale de l'an dernier à Paris dans le cadre du développement et des réformes au Liban (CEDRE) .

Mais le budget de Hariri n'a eu comme effet que d’enrager les masses dans les rues, qui ont rejeté avec mépris ses mesures cyniques à l'encontre des politiciens et les banques. Pourquoi, ont-ils demandé, de telles mesures, voire davantage, n'avaient-elles pas été prises il y a des années?

Les manifestants ont exigé qu'il soit mis fin à la corruption qui suinte de tous les pores de la vie économique et sociale du pays, et la démission de l'ensemble du gouvernement et des élections libres et équitables, non fondées sur le cadre confessionnel qui a semé la division des précédentes élections. Ils ont scandé des slogans tels que: «Nous sommes un seul peuple uni contre l’État. Nous voulons qu'il tombe» et «Révolution, révolution!»

Aucun parti politique n'a été épargné par sa colère. Dans le sud du Liban, région à majorité chiite, les manifestants dénoncent à la fois Nabil Berri, président du parlement libanais et chef du Mouvement Amal allié au Hezbollah, et le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Alors que le soutien antérieur accordé au Hezbollah reposait en grande partie sur ses organisations de protection sociale qui fournissaient des services d'éducation et de santé, les sanctions américaines imposées au groupe ont limité ses ressources.

En dépit de l'appel lancé par le gouvernement pour la réouverture des écoles et des universités, celles-ci ainsi que les banques sont restées fermées, paralysant l'essentiel de la vie économique. Les routes restent bloquées par les manifestants et de longues files de véhicules devant les stations d'essence annoncent la pénurie de carburant. Il est à craindre que, lors de la réouverture des banques, les retraits ne soient limités.

Jeudi, les chaînes de télévision ont diffusées une déclaration mal rédigée et préenregistrée du président Michel Aoun, resté silencieux tout au long de la crise. Il a lancé un appel aux masses avec un gage de soutien en faveur de la levée du secret bancaire et de l'immunité juridique des responsables politiques, déclarant que ceux qui avaient volé de l'argent public seraient tenus responsables de leurs actes.

Le procureur a annoncé qu'il avait entamé des poursuites judiciaires contre l'ancien premier ministre milliardaire Najib Mikati, son frère et son fils et Bank Audi pour corruption. Aoun a déclaré: «Je suis prêt à rencontrer vos représentants qui portent vos préoccupations, à écouter vos demandes spécifiques.»

Alors qu'il a ajouté qu'il était «nécessaire de revoir le gouvernement actuel», faisant allusion à un remaniement, il a averti les manifestants qu'il ne tolérerait pas la poursuite des troubles. Il a déclaré: «Nous discuterons de ce que nous pouvons faire ensemble pour atteindre vos objectifs sans provoquer d’effondrement ni de chaos, ouvrir un dialogue constructif pouvant aboutir à un résultat constructif et définir des options menant aux meilleurs résultats.»

Les partenaires de la coalition de Hariri sont les chefs de guerre et les bénéficiaires du système de partage du pouvoir confessionnel instauré par les accords de Taëf de 1990, qui ont mis fin à 15 années de guerre civile et ont été intégrés à la Constitution libanaise la même année. Il a ajouté que tout remaniement serait conforme aux «mécanismes constitutionnels», autrement dit de l’ordre politique sectaire du Liban, dont bénéficient les dynasties politiques, y compris le milliardaire Hariri.

Les grandes puissances impérialistes - les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne - sont restées silencieuses pendant des jours avant de demander nerveusement au Liban de tenir compte des «frustrations légitimes» des manifestants et de freiner la corruption.

Mais le président Aoun n'a pas réussi à impressionner les masses. «Nous avons entendu tout cela maintes fois» et «nous sommes ici jusqu'à la chute du gouvernement», ont-ils déclaré.

Comme ses équivalents au Soudan et ailleurs, la manifestation a une atmosphère de carnaval et de nationalisme. L'immense majorité des manifestants jeunes et principalement de la classe ouvrière n'ont pas de perspective politique claire et bien définie qui exprimerait une opposition à l'impérialisme et à toutes les factions de la bourgeoisie libanaise, ce qui les laisse à la merci des forces bourgeoises organisées.

Les forces de droite des partis chrétiens, le Parti des forces libanaises, dont les quatre membres du cabinet ont démissionné du gouvernement de Hariri le week-end dernier, le Mouvement patriotique libre et le parti fasciste Kata'ib, ont pris part aux manifestations, appelant à la démission du cabinet et des élections anticipées dans l’espoir de mieux se positionner plus tard. Ils encourageront aussi sans doute les manifestants à des attaques précipitées contre les biens du gouvernement et les forces de sécurité.

En même temps, de nombreux autres groupes, y compris des professionnels, forment leurs propres organisations pour poursuivre leurs propres objectifs. Des appels ont été lancés pour qu'un gouvernement de technocrates prenne le pouvoir, tandis que d'autres ont appelé l'armée à prendre le contrôle si les manifestations et les troubles se poursuivent.

Les couches bourgeoises et petites bourgeoises, indépendamment de leur opposition au gouvernement Hariri, ne proposent aucun moyen d’avancer pour les travailleurs et les pauvres au Liban.

La lutte du Liban se déroule sur fond d’une vague croissante de militantisme de la classe ouvrière au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, illustrée par les grèves et les manifestations en Algérie, au Soudan, en Égypte et, plus récemment, en Irak. C’est vers ces forces de travailleurs à l’échelle internationale que les travailleurs libanais doivent se tourner.

Le seul moyen d’instaurer un régime démocratique au Liban qui réponde aux aspirations économiques et sociales fondamentales des masses est de mener une lutte avec la classe ouvrière à sa tête, indépendamment, et opposée aux forces libérales et de la pseudo-gauche de la classe moyenne, pour prendre le pouvoir, exproprier la richesse mal acquise du régime dans le contexte d'une vaste lutte internationale de la classe ouvrière, unissant les travailleurs arabes, juifs, kurdes, turcs et iraniens contre le capitalisme et pour l'édification du socialisme.

(Article paru en anglais le 26 octobre 2019)

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