Le NPD soutient Trudeau, puis se joint aux conservateurs pour exiger une position plus ferme du Canada envers la Chine

La véritable nature de l'«opposition» du Nouveau Parti démocratique aux libéraux et aux conservateurs, les partis traditionnels du gouvernement national de la classe dirigeante canadienne, a été mise à nu lors de deux votes tenus mardi à la Chambre des communes.

Dans l'une d'elles, le premier vote de «confiance» depuis que les libéraux ont perdu leur majorité parlementaire aux élections fédérales du 21 octobre, les sociaux-démocrates du Canada ont voté avec le gouvernement – permettant ainsi de maintenir le premier ministre Justin Trudeau et ses libéraux au pouvoir.

Dans l'autre, les néo-démocrates ont appuyé une motion conservatrice visant à faire pression sur le gouvernement Trudeau pour qu'il adopte une position contre la Chine encore plus ferme, conformément aux exigences de Washington.

En accordant son appui au gouvernement lors de la «motion de crédits» de mardi – c'est-à-dire un projet de loi autorisant la poursuite des dépenses de l'État en cours – les nationalistes de droite du Bloc québécois, un député vert et Jody Wilson-Raybould, députée indépendante et ancienne ministre libérale de la Justice, se sont joints au NPD. Les conservateurs et l'autre député vert présent au vote ont voté contre le gouvernement.

Selon la tradition parlementaire canadienne de Westminster, tous les «projets de loi de finances» sont par définition des votes de «confiance» et, à ce titre, un test pour déterminer si le gouvernement continue d'obtenir l'appui de la majorité des députés élus.

Le vote du NPD pour appuyer le gouvernement libéral de Trudeau n'est pour le moins pas surprenant. Le NPD et les syndicats justifient depuis longtemps leur étroite collaboration avec les libéraux fédéraux et le Parti libéral de l'Ontario dans le but déclaré de défaire des gouvernements conservateurs ou d’empêcher leur victoire. Cela va de pair avec leur répression systématique de la lutte des classes et leur connivence dans l'imposition de l'austérité et la réduction des salaires, des emplois et des pensions.

Au cours de son premier mandat de quatre ans, le gouvernement libéral de Trudeau a poursuivi l'agression impérialiste sur la scène mondiale, tout en intensifiant l'attaque contre les droits sociaux et démocratiques des travailleurs. Il a intégré de plus en plus profondément le Canada dans les intrigues et les offensives militaires et stratégiques de Washington partout dans le monde, y compris contre la Russie et la Chine – qui sont dotées de l’arme nucléaire –, et il a mis en oeuvre des plans visant à dépenser des dizaines de milliards de dollars pour de nouveaux navires de guerre et avions de chasse. Il a coupé des dizaines de milliards de dollars dans les soins de santé; il a matraqué à plusieurs reprises les travailleurs pour qu'ils retournent au travail avec la menace ou l'imposition d'une loi antigrève; il a enchâssé et élargi davantage les pouvoirs de la police et de l'État en matière de sécurité nationale sous le projet de loi C-51 du gouvernement conservateur Harper et il a participé à la chasse aux sorcières anti-immigrante de Trump.

Pourtant, pendant la campagne électorale de cet automne, le NPD et ses alliés syndicaux ont fait la promotion sans vergogne de Trudeau et de ses libéraux comme une «alternative progressiste» à Andrew Scheer et aux conservateurs.

Avant et après les élections, le chef du NPD, Jagmeet Singh, a proclamé que les sociaux-démocrates étaient impatients de servir de partenaire junior dans un gouvernement de coalition dirigé par les libéraux.

Bien que le NPD ait perdu près de la moitié de ses sièges et qu'il ait vu sa part du vote populaire réduite à seulement 16%, les syndicats et les sociaux-démocrates ont salué l'élection d'un gouvernement libéral minoritaire le 21 octobre, affirmant qu'il avait ouvert la voie à des réformes «progressistes».

Dans les faits, le gouvernement libéral fait un virage encore plus à droite.

En collaboration avec leurs «partenaires» du Congrès du travail du Canada, les libéraux se sont servis de la menace d'une loi de retour au travail pour convaincre les Teamsters de court-circuiter une grève de 3000 travailleurs du CN contre des conditions de travail pénibles et dangereuses.

Pendant la campagne électorale, Trudeau, avec l'appui des syndicats, a lancé un appel au vote en Ontario en prétendant être un opposant implacable aux compressions des conservateurs. Mais quelques semaines après les élections, il a tenu une séance de réconciliation avec le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford.

Trudeau s'est rendu en avion à l'ouverture du Parlement le 5 décembre, depuis le sommet de l'OTAN à Londres, où il a réitéré son soutien sans réserve à l'alliance de guerre dirigée par les États-Unis, s'est vanté devant Trump des plans de son gouvernement visant à augmenter de plus de 70 % les dépenses militaires, qui passeraient à 32,7 milliards $ par année en 2026, et a annoncé une augmentation du déploiement du Canada dans la force d’intervention rapide «Four 30s» de l'OTAN.

Après avoir célébré et levé le poing en l'air le soir de la réélection des libéraux et avoir proclamé que tout était «sur la table» en ce qui concerne la collaboration entre les libéraux et le NPD lors de sa première conférence de presse postélectorale, Jagmeet Singh s'est senti obligé de dire que les votes du NDP ne pouvaient être obtenus «gratuitement» dans la perspective du discours du Trône libéral. Par la suite, dans sa réponse initiale au discours, il l'a qualifié de «pas suffisant», ajoutant que «s'ils veulent notre soutien, ils doivent le mériter».

Comme on pouvait s'y attendre, ce n’était que des paroles creuses. À peine cinq jours plus tard, Singh et ses néo-démocrates ont voté consciencieusement pour maintenir Trudeau et ses libéraux au pouvoir.

Le rôle du Canada dans l'offensive militaire et stratégique de l'impérialisme américain contre la Chine

Le vote du NPD en faveur de la motion conservatrice sur les relations entre le Canada et la Chine et le fait que les sociaux-démocrates aient salué son adoption comme un exemple de la façon dont tous les partis peuvent travailler ensemble au sein du gouvernement minoritaire actuel sont tout aussi révélateurs.

Proposée par Erin O'Toole, porte-parole conservateur en matière d'Affaires étrangères, la motion conservatrice demandait la création d'un comité parlementaire spécial «pour examiner tous les aspects des relations Canada-Chine, notamment les relations consulaires, économiques, juridiques, diplomatiques et de sécurité». La motion stipulait que ce comité aurait le pouvoir d'ordonner au premier ministre, aux ministres des Affaires étrangères et de la Sécurité publique et à l'ambassadeur du Canada en Chine de comparaître devant lui pour répondre aux questions «jugées appropriées par le comité».

La motion d'O'Toole a été adoptée à la majorité de 171 contre 148, et seuls les libéraux, qui soutenaient que le Comité des affaires étrangères existant pouvait servir le même objectif, ont voté contre.

En plaidant pour la création du comité spécial, l'ancien officier des Forces armées canadiennes l'a présenté comme un moyen de forcer le gouvernement à adopter une position plus dure à l'égard de la Chine, une position dans laquelle les «intérêts de sécurité nationale» ne sont pas relégués au second rang par rapport aux liens commerciaux.

Les conservateurs, a dit O'Toole, ont décidé de consacrer leur première motion de l'opposition dans la nouvelle législature à cette question, «parce que nous nous avons de sérieuses inquiétudes quant à la capacité du premier ministre de gouverner dans l'intérêt national du Canada sur la scène mondiale».

Le discours de près de vingt minutes d’O'Toole s'en est tenu au scénario élaboré par Washington pour justifier sa campagne de pressions diplomatiques, économiques et militaires croissantes contre la Chine. Ce scénario, qui présente la Chine comme la plus grande menace pour «l'ordre mondial international libéral» et la «démocratie», a été repris avec ferveur par les médias canadiens, la voix traditionnelle de Bay Street, le Globe and Mail, et le néoconservateur National Post.

O'Toole a souligné à maintes reprises les critiques de Washington à l'égard des actions du Canada envers la Chine qui ont soulevé des «préoccupations de sécurité nationale» aux États-Unis. Ces plaintes, a-t-il souligné, ont été déposées par des républicains et des démocrates de premier plan, ainsi que par le consortium Five Eyes dirigé par la National Security Agency (NSA) des États-Unis.

O'Toole a accusé Trudeau d'être «naïf» quant aux intentions de la Chine et a dénoncé le gouvernement pour ne pas avoir répondu assez vigoureusement aux actions de la Chine dans la mer de Chine méridionale, à son affirmation qu'elle est un «État quasi arctique» et à ses violations des «droits de l’homme». Il a également réprimandé le gouvernement pour ne pas s'être retiré de la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures dirigée par l'État chinois et pour ne pas avoir tenu compte de la demande de Washington d'exclure Huawei du réseau 5G du pays.

En fait, à l’insu de la population, le gouvernement libéral a intégré le Canada dans l'offensive américaine contre la Chine. L'armée canadienne a déclaré que le détroit de Malacca était d'une importance stratégique vitale pour le Canada, et elle déploie régulièrement des navires dans la région de l’Asie-Pacifique pour affirmer le «droit» débridé des États-Unis et de leurs alliés de maintenir une armada au large des côtes de la Chine.

Avec l’arrestation et la détention de la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou, à la demande de Washington, le gouvernement libéral du Canada a joué un rôle majeur dans l'attaque américaine contre la plus importante entreprise de haute technologie de Chine, qui s'inscrit dans une campagne américaine beaucoup plus vaste visant à empêcher la Chine de devenir une force mondiale en matière de nouvelles technologies.

Toutefois, les libéraux ont des liens étroits avec une section de l'élite canadienne du monde des affaires qui s'accroche à l'espoir que si la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine s'apaise et que les tensions entourant l'arrestation de Meng et l'arrestation réciproque de deux Canadiens par Beijing peuvent être dissipées, le Canada pourra élargir considérablement ses liens commerciaux avec la Chine.

Washington et, de plus en plus, l'establishment de la sécurité nationale du Canada, les conservateurs et les médias font pression sur les libéraux pour qu'ils démontrent qu'il y a peu de différence, même minime, entre la politique américaine et canadienne sur la Chine.

En proposant la création d'un comité spécial de haut niveau sur les relations entre le Canada et la Chine – un comité sur lequel l'opposition aura d'ailleurs une majorité au vote – les conservateurs cherchent clairement à établir un mécanisme pour inciter le gouvernement à adopter une position anti-Chine encore plus prédatrice.

Quant aux néo-démocrates, ils étaient plus qu'heureux d'aider les conservateurs dans cette intrigue, même s'ils ont admis que les conservateurs «faisaient de la politique» avec la question.

Au cours du débat sur la motion conservatrice, les députés néo-démocrates se sont joints aux dénonciations de la Chine en des termes qui ne se distinguent pas de ceux des députés libéraux et conservateurs, ni même de ceux des chefs des partis républicain et démocrate américains. Le régime capitaliste répressif de la Chine a été attaqué, mais aucune mention n’a été faite des actions agressives de Washington et de son partenaire junior, Ottawa, et de leur volonté commune de contrecarrer la montée de la Chine.

«Une politique chinoise très agressive a été adoptée dans de nombreuses parties du monde», a déclaré Charlie Angus, député du NPD, «mais nous n'avons pas pris cette question au sérieux». Par l'entremise d'un comité spécial, a-t-il poursuivi, «nous pouvons examiner cette question, trouver des solutions et évaluer les menaces qui sont posées».

Après l'adoption de la motion, le chef du NPD, Singh, s'est exalté du résultat comme un exemple de la façon dont le gouvernement minoritaire peut et doit travailler pour trouver un «terrain d'entente». Selon Jack Harris, porte-parole du NPD en matière d'Affaires étrangères, «la motion mettrait en œuvre le genre de collaboration que les Canadiens veulent que le gouvernement soit».

Tout comme le NPD a voté pour appuyer le gouvernement libéral, il n'est pas surprenant qu'il s'aligne sur les efforts des conservateurs pour orienter encore plus le Canada sur la campagne anti-Chine menée par Washington.

Bien que le NPD se targue parfois d'être antiguerre, la réalité est que ce parti et tous les autres partis parlementaires sont sur un même «terrain d’entente» quand il est question de l'impérialisme et du militarisme canadiens.

C'est ce qui a été souligné lors de la récente campagne électorale au cours de laquelle le NPD n'a émis aucune critique du rôle du Canada au sein de l'OTAN et du NORAD et des efforts de guerre menés par les États-Unis contre la Russie et la Chine, et durant laquelle il a appuyé l’augmentation considérable des dépenses militaires du gouvernement Trudeau.

(Article paru en anglais le 14 décembre 2019)

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