L'accord sordide entre l'ancien producteur hollywoodien Harvey Weinstein et ses accusateurs

Différents médias ont rapporté mercredi que Weinstein et sa société en faillite ont conclu un accord de 25 millions de dollars avec des dizaines de femmes qui l'ont accusé d'inconduite sexuelle.

Harvey Weinstein en 2010 [Photo: David Shankbone]

En octobre 2017, le New York Times et le magazine New Yorker ont publié des articles contenant alléguant que Weinstein avait commis du harcèlement et des violences sexuelles. Les articles ont aidé à lancer le mouvement #MeToo, qui a depuis lors entraîné le retrait ou la disgrâce de divers hommes connus dans les médias, les arts et la vie politique.

Les efforts pour organiser un règlement financier entre Weinstein et ses accusateurs se poursuivent depuis plus d'un an. En mai, de nombreux reportages ont fait surface, affirmant qu'un règlement était imminent, mais des obstacles et des objections ont surgi.

L'entente finalement conclue, qui n'obligerait pas Weinstein à admettre un acte répréhensible, consiste à partager 25 millions de dollars entre des dizaines d'accusateurs. Weinstein n'aura pas à payer quoi que ce soit lui-même; l'argent proviendrait plutôt de compagnies d'assurance représentant son ancien studio de cinéma indépendant, la Weinstein Company (TWC), qui est actuellement en procédure de faillite.

Le paiement aux victimes présumées ferait partie d'un règlement de 47 millions de dollars, selon le Times, visant à «liquider» toutes les obligations financières de TWC. L'accord doit encore être approuvé par les juges fédéraux du Delaware et de New York.

Dans son compte-rendu, rédigé par Jodi Kantor et Megan Twohey, les auteurs de l'«exposé» Weinstein de 2017, le Times énonce ainsi les conditions de l'entente de principe: «Dix-huit des victimes présumées [qui avaient intenté des poursuites de façon indépendante] se partageraient 6,2 millions de dollars, sans qu'aucune personne ne reçoive plus de 500.000 $. Un montant distinct de 18,5 millions de dollars serait réservé à ceux qui font partie d'un recours collectif, au procureur général de New York et à tous les futurs demandeurs. Un contrôleur nommé par le tribunal attribuerait les paiements en fonction de la gravité du préjudice allégué.»

Aussi, «plus de 12 millions de dollars... serviraient à couvrir une partie, mais pas la totalité, des frais juridiques de M. Weinstein, de son frère, Bob, et d'autres anciens membres du conseil de leur société, ont déclaré les avocats. Les membres du conseil d'administration seraient à l'abri de toute responsabilité future, et les victimes présumées abandonneraient leurs réclamations contre M. Weinstein et d'autres dirigeants.»

Un certain degré d'incertitude subsiste. Deux femmes, la productrice Alexandra Canosa et l'actrice Wedil David, qui ont intenté des poursuites contre Weinstein, ont indiqué, par l'entremise de leurs avocats, qu'elles prévoient contester l'entente de 25 millions de dollars devant les tribunaux. L'actrice Ashley Judd, une personnalité éminente de #MeToo et militante du Parti démocrate, a intenté une action distincte contre Weinstein. Son cas ne fait pas partie de cet arrangement.

Les avocats de Canosa et David ont dénoncé le règlement pour avoir offert trop peu d'argent aux victimes présumées. L'avocat de Canosa, Thomas Giuffra, a qualifié l'accord de «scandale»... C'est un montant ridicule, c'est bien trop peu.» Il a qualifié la conception générale de l'accord d’«insensée». Douglas Wigdor, avocat de trois accusateurs de Weinstein, dont David, a déclaré: «C'est le pire règlement que j'ai vu de toute ma carrière.»

Weinstein, actuellement en liberté sous caution, fait face à des accusations criminelles dans une affaire qui doit commencer en janvier. Il a plaidé non coupable d'avoir violé une femme dans une chambre d'hôtel de New York en 2013 et d'avoir commis un acte sexuel forcé sur une autre femme en 2006.

Bien des choses sont sordides et sinistres au sujet de l'accord financier annoncé mercredi. Presque toutes les personnes impliquées ont été endommagées ou souillées par cette affaire, y compris par son dénouement apparent. La vie et la carrière de Weinstein ont été irrémédiablement ruinées. Sa santé physique semble se détériorer rapidement et il semble qu'il va bientôt déclarer faillite.

Des personnes qui franchement n'ont jamais rien prouvé devant les tribunaux et qui ne sont peut-être pas des victimes d'aucune sorte obtiendront un demi-million de dollars chacune. Diverses

personnes, dont une horde d'avocats, s'enrichiront. C'est l'atmosphère sociale qui a le plus souffert. Une grande partie de la population américaine aimerait tout simplement voir disparaitre toute cette activité dégradante. On s’en souviendra surtout pour l'égocentrisme obsédé qu'elle a déclenché à Hollywood et ailleurs.

Après 18 mois de bombardement continu d'histoires d'horreur sexuelle par le public, un sondage de Vox/Morning Consult réalisé en mars a révélé que 63 % des femmes interrogées étaient «très» ou «quelque peu préoccupées» par le fait que des hommes étaient accusés à tort d'agression et de harcèlement sexuels, contre 21 % qui ne se préoccupaient pas de cette possibilité. Cinquante-six pour cent des femmes interrogées étaient préoccupées par le fait que la peine infligée pour les formes moins graves d'agression sexuelle ou de harcèlement sexuel était la même que celle infligée pour les formes plus graves d'un tel comportement, contre 25 % qui n'étaient pas concernés.

Malgré le passage de plus de deux ans et l'avalanche d'accusations, Weinstein n'est toujours pas condamné pour un seul crime. Ses détracteurs aiment à l'attribuer à son pouvoir supposé immense. Le producteur a perdu sa femme, sa carrière, sa société et ses revenus. Son nom ne peut être mentionné dans les médias sans l'adjectif «disgracié» qui y est attaché. Souvent, une épithète comme «méchant», «monstre», «prédateur» ou «paria» est ajouté pour faire bonne mesure. Selon de nombreux accusateurs et commentateurs, qui ne savent manifestement pas à quoi ressemble un tel phénomène, Weinstein dirigeait un «règne de terreur».

L'autorité qu'il exerçait a disparu depuis longtemps. Reste la question de savoir si Weinstein a réellement commis un crime quelconque. Un comportement grossier et moralement offensant, un comportement en «zone grise», n'est pas contraire à la loi.

Il est pratiquement impossible de trouver une once de commentaire rationnel dans les médias américains sur l'affaire Weinstein, certainement pas de la part du Times, de Farrow, du New Yorker, des divers experts féministes, du journal The Nation, etc. Dans ces cercles, il n'y a pas de sensibilité démocratique. Tout n'est que vengeance et politique identitaire agressive, centrée sur elle-même et qui s’apitoie sur son sort. Les appels à la vengeance continuent.

De telles forces offrent une version largement fantastique de l'industrie du cinéma et du divertissement et de sa morale. L'une des rares voix raisonnables qui a fait son chemin vers le public au cours des deux dernières années est celle du réalisateur Terry Gilliam, du célèbre Monty Python's Flying Circus. Gilliam a déclaré à l'AFP en mars 2018 que Weinstein avait été ciblé parce que «c’est un connard et qu'il s'est fait tant d'ennemis». Mais, poursuit le réalisateur, «C'est un monde de victimes. Je pense que certaines personnes se sont très bien débrouillées en rencontrant Harvey et d'autres pas. Ceux qui l'ont fait savaient ce qu'ils faisaient. Ce sont des adultes, nous parlons d'adultes avec beaucoup d'ambition... Je connais assez de filles qui étaient dans les chambres de Harvey qui n'ont pas été victimes et qui sont parties.»

Gilliam a aussi commenté: «Harvey a ouvert la porte à quelques personnes, une nuit avec Harvey – c'est le prix à payer... Certaines personnes ont payé le prix, d'autres en ont souffert.» Gilliam a noté que la campagne #MeToo était devenue «stupide, les gens sont décrits en des termes ridicules, comme s'il n'y avait plus de réelle humanité».

Ronan Farrow en mars 2019

Il convient de rappeler à cet égard le sort de Lucia Evans et ses revendications. L'allégation d'Evans selon laquelle Weinstein l'a forcée à avoir des relations sexuelles orales avec lui en 2004 figurait en bonne place dans l'article de Ronan Farrow sur la chasse aux sorcières dans le New Yorker en octobre 2017 et a servi de base à l'une des trois affaires pénales auxquelles Weinstein a été initialement confronté. L'affaire a été rejetée en octobre 2018 lorsqu'on a appris qu'un ami de l'accusatrice avait dit à la police en 2004 qu’Evans, âgée de 21 ans à l'époque, avait consenti à l'acte sexuel avec Weinstein parce qu'il lui avait promis un emploi comme actrice.

Dans notre commentaire sur une année de chasse aux sorcières #MeToo, nous avons suggéré que dans certains cas, des personnes avaient probablement consenti, à contrecoeur ou non, «à une activité sexuelle pour le succès d'une carrière, la justifiant comme l'un des frais généraux désagréables associés à la «réussite»... L'embarras et le remords peuvent se manifester plus tard, surtout si ça ne marche pas bien. Les personnes, y compris les actrices dont la carrière – sans que ce ne soit de leur faute dans bien des cas – stagne ou disparait, peuvent concentrer aveuglément et vindicativement leur déception ou leur désillusion avec Hollywood rétroactivement sur une figure comme Weinstein.»

Lorsque le scandale Weinstein a éclaté pour la première fois en 2017, le WSWS avait plaidé en faveur d'un examen attentif de la politique de l'affaire et suggéré que, sans aucun doute, «quelque chose de plus que le simple comportement de Weinstein est en cause» et, de plus, il était sûr «d'assumer que ce scandale aura des conséquences». Deux ans et des centaines d'allégations et d'innombrables reportages médiatiques sensationnalistes plus tard (les avocats de Weinstein, plaidant en vain pour un changement de lieu, ont récemment noté que le nom de leur client avait été «mentionné en ligne plus de 11.000 fois dans la chronique à potins du New York Post»), cette prévision n'a plus besoin d'être justifiée.

Comme nous l'avons noté en 2017, le New York Times n'a pas nécessairement publié son article sur Weinstein avec un plan entièrement élaboré, autre que la poursuite vigoureuse de son programme de politique identitaire. En fin de compte, la campagne #MeToo s'est avérée être un prolongement et un approfondissement de la réponse malhonnête et provocatrice d'Hillary Clinton et des cercles du Parti démocrate au cas Brock Turner, qui a eu lieu en juin 2016 à Stanford University, durant la campagne électorale.

La question de l'inconduite sexuelle, manipulée par des personnalités telles que Farrow, un ancien assistant de Clinton, est devenue l'une des caractéristiques de l'effort visant à canaliser vers la droite la frustration et la colère des couches supérieures de la classe moyenne, en particulier avec l'élection de Donald Trump. Le Times et les autres ont entrepris d'organiser une ruée d'éléments hystériques dont les revendications bien connues visaient à détourner l'attention de la dévastation sociale et de l'inégalité, de la violence brutale dirigée contre les immigrants et de la menace de guerre avec la Russie et la Chine.

L'affaire Weinstein a toujours eu beaucoup à voir avec des intérêts sociaux et économiques précis, la politique et l'argent. Les détails du règlement récemment annoncé ne modifient en rien cette évaluation.

(Article paru en anglais le 13 décembre 2019)

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