Fermeture de l'usine Ford de São Paulo: le syndicat brésilien démasqué comme agent de la « restructuration » capitaliste

Après avoir vendu la lutte des travailleurs de Ford contre la fermeture, le 30 octobre, de l'usine de São Bernardo, située dans la ceinture industrielle dite ABC, à l'extérieur de São Paulo, le syndicat des métallurgistes (SMABC – Sindicato dos Metalúrgicos do ABC) se consacre à présent à garantir à un nouvel acheteur potentiel de l'usine, les meilleures conditions pour exploiter les travailleurs.

Pendant des mois, le syndicat a fonctionné comme agent virtuel du groupe brésilien Caoa, le premier à signaler à l'État de São Paulo son intérêt à acheter l'usine. Les dirigeants syndicaux sont même allés jusqu'à rencontrer des représentants de la Banque nationale de développement (BNDES) pour demander un prêt subventionné de 2 milliards de R$ (500 millions de dollars) pour Caoa, présentant les intérêts de l'entreprise et ceux des travailleurs qu'elle va exploiter comme une et même chose. Mais il n’y a aucun doute que si le constructeur automobile chinois BYD, qui s’est aussi montré intéressé, devance le groupe Caoa, le syndicat se précipitera pour soutenir son offre suivant le même scénario politique.

Les travailleurs brésiliens de Ford manifestent en février

Alors que le SMABC prétend que Caoa a les mêmes intérêts que les travailleurs, les bureaucrates syndicaux admettent qu'ils ont convenu en septembre que si Ford vendait l'usine à Caoa, la nouvelle société n'embaucherait que 700 travailleurs à temps plein - un tiers des anciens travailleurs de Ford. Pour couronner le tout, le travailleur embauché par Caoa serait contraint d'accepter une réduction de salaire de 30 %, une réduction de 65 % des primes de productivité et une couverture maladie réduite.

De telles manœuvres sont d'autant plus significatives que le SMABC est l'un des principaux piliers du Parti des travailleurs (PT) depuis des décennies. Le syndicat était dirigé par l'ancien président PT Luiz Inácio Lula da Silva pendant la dictature militaire de 1964-1985, période où Lula a acquis une renommée nationale.

Depuis, le syndicat a présidé à la destruction de centaines de milliers d'emplois et à l'abaissement général du niveau de vie des travailleurs. Il a établi la norme pour les bureaucraties syndicales qui ont fait la même chose partout au Brésil. Compte tenu de cette histoire, les développements dans la région ABC ont été pendant des décennies, tant du point de vue social que politique, une anticipation des grandes tendances de l'industrie automobile brésilienne, suivies de près par les travailleurs et les capitalistes au niveau national.

Avant que Ford n’arrête la production à l'usine il y a six semaines, le syndicat avait conclu à toute vapeur un accord de capitulation que ses dirigeants avaient célébré comme une victoire « garantissant des conditions avantageuses à une partie importante des travailleurs ». En réalité, il a mis en œuvre les plans de la société qui avait déjà affecté 360 millions de dollars à des indemnités de licenciement et à d'autres coûts liés à la fermeture.

L'accord ne couvrait que les 3000 employés à temps plein de l'usine, excluant les 1500 travailleurs contractuels et quelque 20 000 travailleurs des équipementiers et entreprises connexes qui verront également leur emploi détruit. La fermeture de l'usine contribuera aussi à abaisser de façon permanente le niveau de vie des nouveaux salariés de la région. Celle-ci souffre déjà d'un taux de chômage à long terme de 18%, bien au-dessus de la moyenne nationale, déjà lamentable, de 14% au plus fort de la crise économique prolongée du Brésil.

Le rôle central joué par le syndicat et le PT au cours des années de crise a été le principal facteur à l'origine des pertes écrasantes du parti dans la région, tant aux élections locales de 2016 qu’aux présidentielles de 2018 qui ont porté au pouvoir le fascisant Jair Bolsonaro.

Le SMABC a non seulement subordonné pratiquement tous les comités d'entreprise à la collaboration « patron-syndicat » mais a encore dissimulé l'application de systèmes de licenciement à l'allemande avec des rachats et des réduction des heures de travail, qui se sont soldés par des milliers de licenciements. Le syndicat a aussi accepté des réductions de salaire répétées sous prétexte de garantir des emplois dans le cadre du plan de protection de l'emploi 2016 du PT. Le seul résultat du programme a été le transfert de centaines de millions de dollars de fonds publics aux patrons de l'automobile.

Lorsque la nouvelle de la fermeture de Ford a éclaté, le SMABC a tout fait pour épuiser les travailleurs qui avaient déclenché une grève de 42 jours. Il a découragé toute tentative d'occupation de l'usine et toute action visant à élargir la lutte et il a dit aux travailleurs en grève de rentrer chez eux et d'attendre les négociations. Il a refusé une action unifiée avec les travailleurs contractuels ou les 20 000 salariés touchés chez les équipementiers pour finalement mettre fin à la grève aux conditions de la direction, en collaborant avec le gouvernement de São Paulo qui dit vouloir servir d'intermédiaire dans les négociations entre Ford et Caoa.

Comme on pouvait s'y attendre, la fermeture de São Bernardo s'inscrit dans un processus beaucoup plus vaste, ce qui démasque les mensonges du syndicat et de l'entreprise. Dans la ville industrielle de Camaçari, dans l'État de Bahia au nord-est du pays, le syndicat contrôlé par le Parti communiste (PCdoB) a accepté l'offre de Ford d'augmenter les salaires, inférieurs au taux d'inflation. Il a également salué comme une victoire la mise en place d'un Plan de licenciements volontaires (PDV), par lequel les travailleurs âgés et mieux rémunérés sont contraints de prendre leur retraite en échange d'une indemnité limitée, plusieurs fois financée par les salaires inférieurs des nouveaux employés et le transfert de la production hors de l'usine.

Début décembre, de nouvelles menaces ont été lancées par la direction de Ford, qui a imposé comme condition de la modernisation de l'usine de nouvelles « réductions des coûts », cette fois-ci axées sur une paye basés sur la productivité. Le président de Ford pour l'Amérique du Sud, Lyle Watters, a présenté les conditions de l'entreprise en déclarant que le salaire à la productivité était 35 % plus élevé chez Ford que dans les autres régions du pays, maintenant que l'usine de São Bernardo, qu'il qualifia de « cas exceptionnel », avait été fermée.

Dans une autre usine de Ford à Taubaté, à 130 km à l'est de São Paulo, après que le syndicat local, affilié aussi à la Central Única dos Trabalhadores (CUT) contrôlée par le PT, eut accepté un PDV fin 2018, l'entreprise a licencié 12 travailleurs qui n'ont pas accepté les conditions du PDV. Les travailleurs ont rapidement déclenché une grève, mais le syndicat y a mis fin après seulement trois jours, approuvant les licenciements et acceptant de convaincre 150 autres travailleurs d'adhérer au PDV.

Dans chacun de ces cas, les syndicats ont veillé à ce que l'entreprise atteigne ses objectifs de rentabilité. Jim Hackett, PDG de Ford, a déclaré que l'entreprise atteindrait une augmentation globale de 8 % de ses taux de profit en réduisant ses coûts de 25,5 milliards de dollars américains d'ici 2022. Cela signifie le licenciement de 25 000 travailleurs employés et de la production dans le monde et la fermeture d'usines au Brésil, en France, au Royaume-Uni et en Russie.

Ces attaques s'inscrivent dans une restructuration de l'industrie automobile mondiale visant à réduire les coûts, à surpasser les concurrents sur les marchés émergents des véhicules électriques et autonomes et à augmenter les taux de profit pour les actionnaires riches. En plus de Ford, General Motors, VW, Nissan, Daimler et d'autres suppriment des dizaines de milliers d'emplois et détruisent les salaires et les conditions de travail avec la collusion de l’United Auto Workers (UAW) aux États-Unis, de la CGT en France, d'IG Metall en Allemagne et d'autres syndicats nationaux dans le monde.

Dans la deuxième plus grande usine GM du Brésil, dans le centre de haute technologie de São José entre São Paulo et Taubaté, le syndicat local contrôlé par le Parti socialiste unis des travailleurs (PSTU), moreniste, a accepté une réduction de 21 % des salaires des nouveaux employés, la réduction des différences pour les équipes de nuit et un gel des salaires pour 2019. Les concessions garanties par le syndicat ont été accordées en échange d'un investissement de 1,3 milliard de dollars américains dans l'usine dont la fermeture était prévue. Cela faisait suite à un accord similaire imposé par le syndicat à la plus grande et plus ancienne usine GM du Brésil, également dans l'ABC et contrôlée par le parti Solidarité, une formation historiquement de droite liée à l'ancienne opposition bourgeoise du PT.

Alors que les licenciements et les baisses de salaires se multiplient à l'international, la colère des travailleurs s'intensifie, avec des grèves et des manifestations de masse qui se propagent en Europe, en Amérique, en Asie et en Afrique. Partout, les travailleurs entrent en conflit direct avec les syndicats pro-capitalistes et nationalistes, qui insistent pour que les travailleurs se sacrifient sans cesse pour rendre leurs « propres » exploiteurs capitalistes plus compétitifs et rentables.

L'assaut coordonné à l'international par les constructeurs automobiles et les institutions financières mondiales exige une réponse coordonnée à l'échelle internationale de la part des travailleurs. La défense du niveau de vie des travailleurs de Ford et d'autres usines automobiles de la région ABC au Brésil et au plan international ne peut se faire que par l'organisation de comités d'usine de la base, indépendants des syndicats et opposés à leurs perspectives nationalistes. La formation de ces comités de base et la plus large mobilisation sociale de la classe ouvrière doivent être combinées à une contre-offensive politique basée sur un programme socialiste international.

(Article paru en anglais le 17 décembre 2019)

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