Une grève générale massive dans toute l’Inde pour protester contre les politiques communautaristes et pro-investisseurs de Modi

Des dizaines de millions de travailleurs, de jeunes et de travailleurs ruraux indiens ont participé mercredi à une journée de grève générale. Ils l’ont fait à l’échelle nationale afin de protester contre les politiques communautaristes et pro-investisseurs du gouvernement du Parti Bharatiya Jananta (BJP).

Depuis sa réélection en mai dernier, avec le soutien massif des grandes entreprises et des médias, le gouvernement BJP du premier ministre Narendra Modi a considérablement intensifié ses attaques contre la classe ouvrière. En modifiant la législation du travail du pays, il encourage la prolifération des emplois contractuels précaires et limite davantage le droit de grève et d’organisation des travailleurs. Il a également accéléré de façon spectaculaire la privatisation des entreprises du secteur public. Il a mis en œuvre des plans qui visent à vendre les chemins de fer indiens, à ouvrir l’industrie du charbon aux investisseurs privés et à privatiser Air India et Bharat Petroleum. Il a également apporté une nouvelle manne aux grandes entreprises en réduisant le taux d’imposition des sociétés de 8 points de pourcentage, soit plus d’un quart.

Des membres de divers syndicats écoutent un dirigeant lors d’une grève générale déclenchée par divers syndicats à Ahmadabad, en Inde, le mercredi 8 janvier 2020. (Source: AP Photo/Ajit Solanki)

En même temps, dans le but de diviser la classe ouvrière et de mobiliser sa base hindouiste-suprémaciste comme bélier contre l’opposition sociale croissante, le gouvernement Modi a pris une série de mesures provocatrices visant la minorité musulmane du pays. Il a notamment aboli illégalement le statut constitutionnel spécial et semi-autonome du Jammu-et-Cachemire, jusqu’à présent le seul État à majorité musulmane de l’Inde, et, le mois dernier, il a promulgué à la hâte une loi discriminatoire sur la modification de la citoyenneté (CAA).

La grève de mercredi a été appelée par 10 fédérations syndicales centrales et a reçu le soutien explicite des partis parlementaires staliniens – le Parti communiste indien (marxiste) ou CPM et le Parti communiste indien (CPI) – et le soutien implicite du Parti du Congrès des grandes entreprises, avec lequel les staliniens sont étroitement liés.

Une charte en 12 points formule les principales revendications des syndicats. Cette charte comprend des mesures qui visent à fournir des emplois aux chômeurs, dont le nombre est maintenant estimé à 73 millions, soit près de 8 pour cent de la population active; donner des protections sociales de base pour tous les travailleurs; augmenter les pensions et le salaire minimum dérisoire. La grève a également exigé l’abrogation de la CAA et l’abandon du plan du gouvernement qui vise à forcer l’ensemble des 1,3 milliard d’habitants du pays à prouver leur droit à la citoyenneté indienne. Ce plan vise de manière flagrante à intimider et à harceler la minorité musulmane.

Les médias corporatifs, les grandes entreprises et le gouvernement Modi tentent tous de minimiser l’impact de la grève de protestation de mercredi.

Cependant, bien que la taille et la portée de la grève aient varié selon les États et les secteurs de l’économie, il ne fait aucun doute qu’elle a eu un impact massif dans l’ensemble. Cette grève a attesté à la fois du militantisme croissant et de l’immense pouvoir social de la classe ouvrière.

Selon le Centre des syndicats indiens (CITU – Centre of Indian Trade Unions) stalinien, 35 millions de conducteurs d’autobus, de camions et de pousse-pousse ont rejoint la grève. Dans de nombreux centres urbains, notamment dans les États du Bengale occidental, d’Odisha et du Bihar, dans l’est de l’Inde, et au Kerala, dans le sud-ouest, les autorités ont fermé la plupart des transports publics.

Les travailleurs des banques ont également rejoint la grève en grand nombre. C’était aussi particulièrement pour protester contre les projets du gouvernement BJP de fusionner et de privatiser de nombreuses banques d’État. Ces banques comme l’ensemble du système financier indien se trouvent accablées par les dettes massives des entreprises.

De nombreux travailleurs du gouvernement ont rejoint la grève au mépris des menaces de représailles émises par le gouvernement central dirigé par le BJP et par les gouvernements de divers États. Un décret du gouvernement central a déclaré que les travailleurs qui se sont joints à la grève feraient face à des «conséquences», y compris des «déductions salariales» et des «mesures disciplinaires appropriées».

Les reportages indiquent que les travailleurs industriels, y compris dans le secteur automobile indien connecté à l’échelle mondiale, sont sortis en force. Outlook India a rapporté que des travailleurs ont débrayé à Honda Motorcycle and Scooter à Manesar, Haryana, et dans nombreuses usines de pièces automobiles dans la ceinture industrielle Manesar-Gurgaon, qui se trouve à la périphérie de la capitale indienne, Delhi. La grève a également paralysé la production de l’usine Bajaj Auto à Chakan, dans le Maharashtra; elle a touché également des usines d’autobus et de camions Volvo, des usines des voitures Toyota et des usines de pièces automobiles Bosch, ainsi que des usines de pneus Vikrant dans le Karnataka voisin. Des centaines de milliers de travailleurs de Coal India au Jharkand et dans toute l’Inde, et des travailleurs des plantations de jute au Bengale occidental ont également rejoint la grève.

Le secteur de l’énergie a été fortement touché par la grève, avec une baisse de la production d’électricité pouvant atteindre 5 pour cent, alors que 1,5 million d’ingénieurs et autres travailleurs du secteur de l’énergie ont débrayé.

La grève a également bénéficié d’un énorme soutien de la part des travailleurs des garderies rurales, extrêmement mal payés et financés par l’État, dont la grande majorité est des femmes.

Dans certains États, la police a procédé à des arrestations massives de grévistes et de partisans de la grève. Au Tamil Nadu, le gouvernement de l’État de l’AIADMK, allié du BJP, a ordonné à la police d’arrêter les manifestants dans la capitale de l’État, Chennai, et à Coimbatore, un centre de fabrication de textiles, où la police a détenu plus de mille personnes.

Au Bengale occidental, où le Congrès de Trinamool (TMC), un rival régional de droite du BJP, est au pouvoir, des affrontements entre les forces de sécurité, les hommes de main du TMC et les partisans de la grève ont eu lieu. Quand les partisans de la grève ont bloqué des trains, le ministre principal Mamata Banerjee les a invectivés, accusant le CPM et ses alliés du Front de gauche de fabriquer «une publicité facile, en appelant à des bandhs [grèves] et en lançant des bombes sur des bus».

Selon le site Internet, Newsclick, des agriculteurs et des travailleurs agricoles se sont joints à des rassemblements, des barrages routiers et d’autres manifestations. Cela a eu lieu dans près de 480 des 732 districts de l’Inde, et des étudiants de 60 universités ont boycotté des cours.

La grève de mercredi a eu lieu au milieu d’une vague de protestations de masse à l’échelle du pays en réaction à l’adoption de la loi CAA discriminatoire. Ces manifestations, bien que menées par de jeunes musulmans, ont transcendé les divisions communautaires, de caste et ethniques que l’élite dirigeante cultive depuis longtemps afin de monter les travailleurs les uns contre les autres.

Ébranlé par l’opposition de masse apparemment soudaine, mais qui a des racines profondes, le gouvernement BJP a réagi par une répression étatique massive: y compris des violences policières meurtrières, des interdictions générales de manifester et des fermetures d’Internet. En même temps, le BJP a intensifié sa promotion du communautarisme hindou.

Fin décembre, le chef de l’armée indienne, Bipin Rawat, a bafoué les principes élémentaires de la démocratie et de la constitution. Il s’est rallié au soutien du gouvernement, qualifiant de «violente» l’agitation anti-CAA et réprimandant les étudiants pour avoir «trompé» la nation. Depuis, Modi l’a promu au poste de premier chef d’état-major de la Défense de l’Inde.

Dimanche soir dernier, dans un événement scandaleux pour lequel même les hindous ont accusé le gouvernement du BJP, des membres de l’ABVP, le groupe d’étudiants lié au BJP et à son mentor idéologique fasciste, le RSS, ont sauvagement agressé des étudiants de l’Université Jawaharlal Nehru (JNU) à Delhi. Plus de 40 étudiants ont été hospitalisés, et beaucoup se sont trouvés gravement blessés suite à des attaques avec des barres de fer, des bâtons de hockey et des pierres.

La JNU est une cible particulière du gouvernement du BJP et de la droite hindoue depuis au moins 2016, en raison de sa longue association avec l’activisme de gauche et la politique socialiste.

Pendant ce temps, l’élite financière mondiale et nationale exige que le gouvernement BJP introduise une nouvelle vague de réformes néolibérales «big bang», afin d’attirer les investissements nécessaires pour sortir l’économie indienne d’un ralentissement qui s’aggrave.

Conformément à ces demandes, le gouvernement BJP aurait décidé de réduire ses dépenses annuelles pour les trois derniers mois de l'année fiscale 2019-2020 de 2 trillions de roupies (27,87 milliards de dollars US), soit l'équivalent annuel de 7 pour cent. Malgré cela, en raison d'un manque à gagner massif, le déficit budgétaire devrait passer de 3,3 pour cent du PIB prévu à 3,8 pour cent.

Pour se préparer à faire face aux turbulences économiques croissantes et à l’opposition de la classe ouvrière, le gouvernement Modi s’apprête à renforcer davantage l’alliance anti-chinoise imprudente et incendiaire de la bourgeoisie indienne avec Washington. Mardi, alors que Trump discutait des prochaines étapes de la campagne de guerre américaine contre l’Iran à la suite de l’assassinat criminel du général des gardiens de la révolution, Qassem Suleimani, Modi a téléphoné au président américain. Selon un communiqué de la Maison-Blanche, Modi et Trump ont discuté des «moyens de renforcer davantage le partenariat stratégique entre les États-Unis et l’Inde en 2020».

Le défi croissant de la classe ouvrière au régime de Modi fait partie d’une recrudescence mondiale de la lutte des classes. L’année dernière, des grèves majeures et des mouvements de protestation soutenus, et dans certains cas insurrectionnels, ont éclaté dans le monde entier, notamment: au Chili; en Équateur; en Haïti; au Mexique; aux États-Unis; en France; en Grande-Bretagne; en Algérie; au Soudan; au Liban; et au Sri Lanka.

Comme partout, la tâche urgente en Inde est d’armer politiquement la contre-offensive ouvrière croissante d’un programme socialiste et internationaliste et d’une direction révolutionnaire.

Les syndicats et les partis staliniens sont en opposition totale aux besoins et aux aspirations des dizaines de millions de travailleurs et de jeunes qui ont participé à la grève de mercredi. Ils cherchent à canaliser l’opposition de masse au BJP, et les fruits amers de trois décennies de la «montée» de capitalisme en Inde, derrière le Parti du Congrès. Cela comprend aussi les alliés du Congrès, un défilé des partis ethnochauvins de droite et d’autres, basés sur les castes. Pour eux, la grève de mercredi était une manœuvre qui visait à redorer leurs lettres de créance «militantes», pour mieux contenir, désamorcer et réprimer l’opposition ouvrière.

Leur hostilité à une véritable lutte de classe s’illustre par leurs appels à Modi pour qu’il reprenne les réunions régulières de la Conférence tripartite du travail en Inde. Aussi, il s’illustre par leur abandon impitoyable des 13 travailleurs de Maruti Suzuki. Ces derniers sont emprisonnés à vie sous des accusations de meurtre pour le «crime» d’avoir mené la résistance à la sous-traitance et à un régime de travail brutal.

Depuis des décennies, au nom de l’opposition au BJP hindou suprémaciste, le CPM, le CPI et leurs syndicats affiliés respectifs, le Centre des syndicats de l’Inde (CITU – Centre of Indian Trade Unions) et le Centre du syndicat indien (AITUC – All India Trades Union), soutiennent les gouvernements de droite, pour la plupart dirigés par le Congrès, qui ont mis en œuvre des politiques favorables au marché et entretiennent des relations toujours plus étroites avec Washington.

Dans une déclaration distribuée aux grévistes mercredi, «Les travailleurs indiens ont besoin d’un programme socialiste révolutionnaire pour lutter contre Modi, l’austérité capitaliste et la réaction communautariste», a expliqué le World Socialist Web Site:

«La seule stratégie viable pour défendre les droits démocratiques et vaincre la réaction communautariste et fasciste en Inde et dans le monde est basée sur la lutte de classe internationale et la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière contre l'ordre capitaliste en faillite.»

(Article paru en anglais le 9 janvier 2020)

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