Une provocation #MeToo contre Bernie Sanders organisée par CNN et Elizabeth Warren

CNN et la sénatrice Elizabeth Warren, démocrate du Massachusetts, avec le soutien d'un puissant establishment, se sont associées pour organiser cette semaine une provocation visant à ralentir ou à faire dérailler la campagne du sénateur du Vermont Bernie Sanders pour l'investiture du Parti démocrate à la présidence.

Par le biais de CNN, le camp de la sénatrice du Massachusetts a d'abord allégué que Sanders lui avait dit en décembre 2018 qu'une femme ne pouvait pas gagner une élection présidentielle, une allégation que Sanders a vigoureusement réfutée. Lors du débat démocrate de mardi soir dernier, le modérateur de CNN a agi comme si cette allégation était une réalité incontestable, ce qui a conduit à une rencontre post-débat entre Warren et Sanders, que le réseau a, par hasard, enregistrée et largement diffusée.

Il s'agit d'une sale opération politique, empruntée au manuel de stratégie #MeToo, typique de la politique américaine dans sa putréfaction. Des allégations non fondées sont transformées en «faits», ces «faits» deviennent la base pour souiller des réputations et nuire à des carrières et pour faire évoluer sans cesse la politique vers la droite. Quiconque nie ces allégations est un «sexiste» qui refuse «de croire les femmes».

L'establishment démocrate craint Sanders, non pas tant pour son programme nationaliste-réformiste et sa démagogie populiste, mais pour ce que son soutien confus, mais croissant laisse présager: le mouvement vers la gauche de larges couches de la population américaine. L'élite dirigeante des États-Unis semble convaincue, comme certains misérables potentats d'antan, que si elle parvient simplement à éliminer le «bruit» désagréable, la marée montante de la désaffection se dissipera.

L'opération de CNN a commencé la semaine dernière dans un article «choc» de M.J. Lee avec le titre suivant: «Bernie Sanders a dit à Elizabeth Warren lors d'une réunion privée en 2018 qu'une femme ne peut pas gagner, selon certaines sources».

L'article commence sur un ton animé par ces mots: «Les enjeux étaient importants lorsque Bernie Sanders et Elizabeth Warren se sont rencontrés chez Warren à Washington DC, un soir de décembre 2018». Entre autres choses, selon l'article de CNN, les deux personnes «ont discuté de la meilleure façon de s'attaquer au président Donald Trump, et Warren a exposé deux raisons principales pour lesquelles elle pensait être une candidate forte: elle pouvait présenter un argument solide sur l'économie et obtenir un large soutien des électrices. Sanders a répondu qu'il ne croyait pas qu'une femme puisse gagner».

Lee poursuit: «La description de cette rencontre est basée sur les récits de quatre personnes: deux personnes avec lesquelles Warren s'est entretenu directement peu après la rencontre, et deux personnes qui étaient au courant de la rencontre». En réalité, l'histoire est basée sur le récit d'une personne ayant un intérêt considérable à s’attaquer à l’appui de Sanders, c'est-à-dire Elizabeth Warren. Comme le New York Times l'a noté en premier lieu, «Mme Warren et M. Sanders étaient les seules personnes présentes dans la salle».

L'article absurde de CNN poursuit: «Après la publication de cette histoire, Warren elle-même a soutenu ce compte-rendu de la réunion, en disant notamment dans une déclaration lundi: «Je pensais qu'une femme pouvait gagner; il n'était pas d'accord». En d'autres termes, Warren a «appuyé» ce qui ne pouvait être que son propre compte-rendu dans la mesure où elle était la seule personne présente à part Sanders!

Après avoir présenté, pour la forme, le démenti catégorique de Sanders selon lequel il n'aurait jamais fait une telle déclaration, dans laquelle il a raisonnablement observé: «Est-ce que je crois qu'une femme peut gagner en 2020? Bien sûr! Après tout, Hillary Clinton a battu Donald Trump par 3 millions de voix en 2016», Lee a poursuivi comme si ses commentaires ne méritaient pas de réponse. Elle poursuit: «La conversation illustre également le scepticisme non seulement des électeurs américains, mais aussi des hauts fonctionnaires démocrates, qui pensent que le pays est prêt à élire une femme à la présidence» et, en outre, «La révélation que Sanders a exprimé son scepticisme quant à la possibilité que Warren puisse gagner la présidence parce qu'elle est une femme est particulièrement remarquable à ce moment-ci, étant donné que Warren est la seule candidate féminine au sommet du peloton démocrate».

C'est là une des façons dont la chasse aux sorcières pour inconduite sexuelle a empoisonné la politique américaine, bien que ce ne soit pas la seule. Les affirmations de Warren concernant une rencontre privée «doivent tout simplement être crues».

Au cours du débat des candidats démocrates lui-même mardi soir, la modératrice Abby Phillips s'est adressée à Sanders de la manière suivante: «Passons maintenant à une question qui a été soulevée au cours des 48 dernières heures [parce que Warren et CNN l'ont générée]. Sénateur Sanders, CNN a rapporté hier que – et sénateur Sanders, la sénatrice Warren l'a confirmé dans une déclaration – qu'en 2018, vous lui avez dit que vous ne croyiez pas qu'une femme puisse gagner les élections. Pourquoi avez-vous dit cela?» (C’est nous qui soulignons).

La sénatrice Elizabeth Warren, deuxième à partir de la gauche, et ses collègues candidats, l'homme d'affaires Tom Steyer, à gauche, l'ancien vice-président Joe Biden et le sénateur Bernie Sanders, à droite, lors du débat des primaires présidentielles démocrates organisé par CNN dans l'Iowa la semaine dernière. (AP Photo/Patrick Semansky)

Sanders a nié une fois de plus avoir dit une telle chose. Phillips a persisté: «Sénateur Sanders, je veux être clair, vous dites que vous n'avez jamais dit à la sénatrice Warren qu'une femme ne pouvait pas gagner l'élection?» Sanders l'a confirmé. Insultant, Phillips s'est immédiatement tourné vers Warren et a continué: «Sénatrice Warren, que pensez-vous du fait que le sénateur Sanders vous ait dit qu'une femme ne pouvait pas gagner l'élection?» Tout cela était clairement préparé à l'avance, un effort délibéré pour embarrasser Sanders et le dépeindre comme un menteur et un machiste.

Après le débat, Warren a eu l'audace d'affronter le sénateur du Vermont, de refuser de lui serrer la main et d'affirmer: «Je pense que vous m'avez traitée de menteuse à la télévision nationale». Lorsque Sanders a semblé troublé par sa remarque, elle l'a répétée. CNN a réussi à enregistrer l’échange et à le préserver pour une large diffusion.

La WSWS n'apporte aucun soutien à Sanders, un faux socialiste dont les efforts visent à canaliser la colère de la classe ouvrière contre les inégalités sociales, la pauvreté et la guerre vers le Parti démocrate propatronal. Il n'est que le dernier d'une longue lignée de personnalités de l'histoire politique américaine qui se soient consacrées à maintenir l'emprise des démocrates sur l'opposition populaire et à bloquer le développement d'un mouvement socialiste reposant sur une large base.

Néanmoins, ce «coup monté» de CNN-Warren est une attaque évidente venant de la droite. En conséquence, le New York Times et d'autres grands médias jubilent et tentent d'en tirer quelque chose depuis mardi soir. L'objectif évident est de «soulever de sérieuses questions» sur Sanders et d'affaiblir le soutien dont il bénéficie, en particulier chez les femmes. Il faut rappeler qu'en 2016, Sanders a devancé Hillary Clinton de 30 points de pourcentage chez les jeunes femmes.

Michelle Cottle, membre du comité de rédaction du Times (dans «Pourquoi les questions sur des candidates femmes touchent une corde sensible», le 15 janvier), a affirmé que la question soulevée par l'affrontement Warren-Sanders ne concernait «pas M. Sanders et Mme Warren». Pas vraiment. Et Mme Warren a eu raison d'essayer de se concentrer sur le tableau d'ensemble – même si certains critiques disent qu'elle joue "la carte du genre"».

Il s'est avéré que le «tableau d'ensemble» de Cottle consistait principalement à salir Sanders. La présente controverse, poursuit-elle, «a fait resurgir certains des problèmes passés de M. Sanders avec les femmes. Sa campagne de 2016 a donné lieu à de multiples accusations de harcèlement sexuel, d'inégalités salariales et d'autres mauvais traitements fondés sur le sexe. Lorsqu'on lui a demandé au début de l'année dernière s'il était au courant de ces plaintes, la réaction de M. Sanders a été à la fois défensive et méprisante: "J'étais un peu occupée à faire campagne à travers le pays"».

Après que Cottle a tenté de convaincre ses lecteurs, sur la base de statistiques douteuses, que les Américains étaient peut-être trop arriérés pour élire une femme présidente, elle a continué, encore une fois, en prenant pour argent comptant les allégations de Warren: «Ces données malheureuses, ainsi que les anecdotes sur l'anxiété des électeurs fondée sur le sexe auxquelles Mme Warren et Mme [Amy] Klobuchar ont été confrontées, aident à expliquer pourquoi les prétendues remarques de M. Sanders ont touché une telle corde sensible. Les femmes candidates et leurs partisans ne sont pas simplement indignés qu'il puisse avoir tort à ce point. Ils sont inquiets qu'il puisse avoir raison.» Les propos qu'il nie avoir tenus ont néanmoins «indigné» Cottle et d'autres.

Le Times exprime de plus en plus ouvertement ses craintes quant à une éventuelle nomination de Sanders. Le chroniqueur David Leonhardt a titré son article du 14 janvier, «Le président Bernie Sanders», et a commenté, «Sanders a une réelle chance de gagner l'investiture démocrate. Quelques mois seulement après avoir subi une légère crise cardiaque, cela est une surprise». Leonhardt minimise les prétentions socialistes de Sanders, en observant que «bien qu'il [Sanders] ne parvienne probablement pas à atteindre ses plus grands objectifs (comme le système de santé pour tous), il ferait également avancer le pays dans une direction positive. Il pourrait même le rapprocher d'un idéal de centre gauche, contrairement à un candidat plus modéré comme Biden».

Jeudi, le chroniqueur de droite du Times, David Brooks, a plaidé de façon pathétique contre l'existence de la «guerre des classes» dans «The Bernie Sanders Fallacy». Il a ridiculisé ce qu'il a décrit comme «le théisme de la guerre des classes de Bernie Sanders: Les milliardaires ont truqué l'économie pour s'enrichir et appauvrir les autres». Selon Brooks, Sanders est un bolchevique qui croit que «le capitalisme est un système d'exploitation dans lequel le pouvoir capitaliste domine complètement le pouvoir ouvrier». Accuser Sanders d'adopter une telle proposition de l'ABC socialiste est une absurdité, mais cela révèle quelque chose sur ce qui empêche des experts comme Brooks de dormir la nuit.

Le Times est déterminé, comme l'a noté plus d'une fois le WSWS, à exclure de la campagne électorale de 2020 tout ce qui pourrait susciter ou encourager l'indignation des travailleurs et des jeunes. La dernière année de protestation de masse mondiale n'a fait qu'approfondir et renforcer cette détermination.

Le Times, CNN et d'autres éléments des médias et de l'establishment politique, et derrière eux de puissants intérêts financiers et corporatifs, ne veulent pas de Sanders et ils ne veulent pas non plus nécessairement de Warren, qui s'est engagé dans certains discours laxistes sur la taxation des milliardaires, avant de battre en retraite, effrayée. Ils veulent une campagne dominée par la «race», le genre et l'orientation sexuelle, et non par la classe ou l'inégalité sociale. L'attaque de style #MeToo contre Sanders reflète à la fois le «style» et les préoccupations de droite de ces couches sociales.

(Article paru en anglais le 20 janvier 2020)

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