À la veille des primaires du New Hampshire

Attaques croissantes contre le socialisme dans la course présidentielle démocrate

Alors que les sondages montrent le sénateur du Vermont, Bernie Sanders, comme le vainqueur probable des primaires électorales présidentielles démocrates de demain dans le New Hampshire, les opposants de Sanders ont concentré leurs attaques contre son identification publique en tant que «démocrate socialiste».

Vendredi soir, le débat de sept candidats dans le New Hampshire a commencé par l’affirmation de l'ancien vice-président Joe Biden déclarant qu’avec Sanders en tête de liste, ceci porterait un coup mortel aux autres candidats démocrates en lice pour d'autres postes lors du scrutin présidentiel du 3 novembre. «Bernie s'est étiqueté [...] démocrate socialiste», a déclaré Biden. «Je pense que c'est l'étiquette que le président va imposer à tous ceux qui se présentent avec Bernie s'il est désigné [candidat démocrate à la présidentielle].»

La sénatrice du Minnesota, Amy Klobuchar, s'est jointe à l'attaque, suggérant que Sanders «diviserait plus que le diviseur en chef», c'est-à-dire Trump. «Je pense que nous avons besoin de quelqu'un pour diriger cette candidature qui rassemble les gens autour d’elle, au lieu de les exclure», a-t-elle déclaré, vantant son propre appel aux «républicains modérés» et aux électeurs «au centre».

Lors d'un rassemblement au Dartmouth College samedi, les aides de Klobuchar ont distribué des exemplaires d'éditoriaux de journaux la soutenant, notamment de l'extrême droite du Manchester Union-Leader, le journal ayant le plus grand tirage de l'État. «Je ne suis pas d'accord avec tout ce qui a été dit lors du ce débat organisé», a déclaré Klobuchar au public. «Quand ils ont demandé si un socialiste devait être le candidat présidentiel, j'ai levé la main et dit "non".»

La question a dominé les apparitions des candidats démocrates à la présidence pendant les entretiens dimanches sur les chaînes de télévisions. Sanders lui-même a été interrogé dans quatre émissions et dans trois d'entre eux les questions sont venues sur son étiquette en tant que démocrate socialiste.

Il est remarquable que dans un pays où le socialisme a fait l'objet de diffamation officielle et de chasse aux sorcières pendant un siècle, où l'anticommunisme a été élevé au rang de religion d'État et où les véritables socialistes sont soumis à un black-out médiatique, que le «gros mot socialisme» soit soudainement devenu un sujet majeur de discussion dans les médias.

Cela témoigne de l'aggravation des inégalités sociales et de la prise de conscience croissante parmi des millions de travailleurs et de jeunes que la concentration de la richesse sous le contrôle d'une infime poignée de multimillionnaires et de milliardaires est devenue à la fois un obstacle infranchissable au progrès social et une menace mortelle pour les droits démocratiques. Sondage après sondage on voit une hostilité populaire accrue au capitalisme et un soutien croissant au socialisme, en particulier parmi la jeune génération.

Ce tournant vers la gauche dans la conscience populaire ne trouve que l'expression la plus déformée au sein du système bipartite contrôlé par les grandes entreprises. En 2016, cela s‘était manifesté sous la forme d'une explosion de soutien à la campagne Sanders pour la nomination présidentielle démocrate, surprenant le sénateur lui-même et l'ensemble de l'establishment politique américain. Sanders avait attiré un soutien de masse, des rassemblements enthousiastes, une énorme vague de dons modestes sur Internet et finalement 13 millions de voix.

Le sénateur du Vermont chercha initialement à occuper le rôle de mouche du coche incarnée par Jesse Jackson, Dennis Kucinich et des candidats similaires dans d’autres primaires présidentielles démocrates, apportant une couverture «de gauche» à ce parti résolument pro-capitaliste tandis qu'il choisissait un autre candidat de droite pour le position de «commandant en chef» de l'impérialisme américain.

Après avoir été catapulté de manière inattendue dans la position d'une figure majeure de la politique capitaliste, Sanders s’inclina devant les diktats de l'élite dirigeante américaine, accepta sa défaite en 2016, et approuva et fit campagne pour la candidate démocrate, le choix de Wall Street et de la CIA, l’ancienne secrétaire d'État Hillary Clinton.

Sanders n'est pas un socialiste. Il ne cherche pas à instaurer un système de propriété collective de l'industrie ou la nationalisation des grandes entreprises. Il veut taxer la richesse des milliardaires à un taux légèrement plus élevé, pas la confisquer, pour répondre aux besoins sociaux. Il cite comme modèles les pays entièrement capitalistes comme le Danemark et la Suède, et même l'Allemagne, où les néonazis constituent le principal parti d'opposition au Parlement et dictent la politique au gouvernement de coalition dirigé par Angela Merkel.

Dans la campagne de 2020, après avoir été largement ignoré par les médias institutionnels pendant des mois, Sanders a bondi dans les sondages, organisé les plus grands rassemblements et recueilli beaucoup plus d'argent que n'importe lequel de ses rivaux non milliardaires, en grande partie grâce à de petits dons de travailleurs. Ses principaux donateurs sont des enseignants ainsi que des employés à bas salaire d'Amazon, de Starbucks, de Wal-Mart, de Target et de la poste américaine.

Après sa forte poussée dans l'Iowa, il est en tête des sondages avant le vote mardi dans le New Hampshire, et une panique s'est emparée de l'establishment du Parti démocrate et de ses alliés dans les médias suite à la prise de conscience que Sanders est désormais le favori pour l'investiture du parti à la présidentielle. Le gouverneur de New York, Andrew Cuomo, par exemple, a déclaré au Wall Street Journal que déclarer Sanders chef de file était prématuré et que l'étiquette socialiste était «une grosse pilule à avaler pour beaucoup d'électeurs».

Dimanche, l'ancien vice-président Biden est apparu sur «This Week», de la chaîne ABC, où il a réitéré son attaque contre Sanders, déclarant au présentateur George Stephanopoulos: «Eh bien George vous avez de la bouteille, parmi les meilleurs, et vous savez que c’est impossible de gagner avec une étiquette pareille, d’aider quelqu’un [un candidat démocrate] en Floride avec cette étiquette de socialiste démocratique, n’est-ce pas? Car les conséquences se feront sentir jusqu’à la base. Voilà ce qui va arriver. Va-t-on gagner en Caroline du Nord? Va-t-on gagner en Pennsylvanie? Va-t-on gagner dans ces États du Midwest?»

La sénatrice du Massachusetts Elizabeth Warren, l'autre candidate ostensiblement «progressiste» avec Sanders, a déclaré dimanche: «Je suis capitaliste. Je crois aux marchés, mais les marchés ont besoin de règles.»

Sanders a été invité directement par «Meet the Press» de NBC, par «State of the Union» de CNN et par Fox News dimanche à répondre aux accusations selon lesquelles son étiquette socialiste - qu'il revendique de moins en moins fréquemment - le condamnerait, lui et le Parti démocrate d’être vaincu en novembre. A chaque fois, il a éludé une réponse directe, préférant s’attaquer à Trump ou aux inégalités économiques et aux échecs du système de santé américain axé sur le profit.

Lorsque le présentateur de NBC, Chuck Todd, a cité des accusations probables de Trump selon lesquelles Sanders avait l’habitude de «se rapprocher» des dirigeants latino-américains de «gauche» comme Evo Morales en Bolivie et Nicolas Maduro au Venezuela, Sanders a répondu en voulant renchérir sur l’attaque anti-rouge de Trump, citant les efforts du président pour courtiser le président russe Vladimir Poutine et le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un. «Si vous voulez parler de "se rapprocher" des communistes du monde entier, ce n'est pas moi, c'est Donald Trump», a déclaré Sanders.

Sur Fox News, Sanders a adopté la pose la plus «à gauche» des quatre entretiens, déclarant à Chris Wallace: «Nous sommes une campagne de la classe ouvrière, pour la classe ouvrière et par la classe ouvrière.» Il a déclaré que les soins de santé devraient être un droit fondamental, bien qu'il ait ensuite à affirmer, comme il l'avait fait dans d'autres entretiens, que son programme de soins de santé réduirait les dépenses de milliers de milliards de dollars. Et il a déclaré à Wallace, en réponse à une question sur les dénonciations de Trump à son égard, que Trump «sait que je ne suis pas communiste».

Sanders n'a à aucun moment utilisé le mot «socialiste» pour décrire ses propres convictions politiques, que ce soit pendant les près de 40 minutes d'entretiens sur quatre chaînes de télévision ou lors du débat de deux heures vendredi soir.

Il cherche évidemment à apaiser ses détracteurs de droite au sein du Parti démocrate, comme le démontre sa réponse conciliante sur «l'état de l'Union» de CNN dimanche lorsque le présentateur Jake Tapper l'a interrogé sur les efforts déployés par les responsables du Parti démocrate pour masquer sa victoire dans les primaires d'Iowa, où il a devancé l'ancien maire de South Bend, dans l'Indiana, Pete Buttigieg, de 6000 voix.

Tapper a cité les critiques des partisans de Sanders qui ont déclaré que l'appel à une nouvelle analyse des résultats de l'Iowa émis par le président du Comité national démocrate (DNC), Tom Perez, jeudi, était programmé pour éclipser la nouvelle selon laquelle Sanders avait une avance confortable dans les votes des primaires et était presque à égalité avec Buttigieg en «équivalents délégués d'État». L'échange a continué ainsi:

Tapper: Pensez-vous que le Parti démocrate essaie ouvertement de nuire à votre campagne?

Sanders: Écoutez, tout ce que je peux dire sur l'Iowa, c'est que c'était embarrassant…

Tapper: Pensez-vous que le Parti démocrate, qu'il s'agisse du Parti démocrate de l'Iowa ou du DNC, essayait de vous faire du mal, cependant?

Sanders: Je n'en ai aucune idée. Et c'est - nous allons surveiller la situation de près, mais ce n'est pas mon impression à ce stade.

Alors que Sanders déclarait cela dimanche, il ne fait aucun doute que s'il remporte l’élection primaire du New Hampshire, l'hystérie de l'establishment du Parti démocrate à propos de son supposé «socialisme» montera en crescendo.

Si le groupe actuel de candidats de remplacement de droite - Biden, Buttigieg et Klobuchar - ne s’avère pas viable, il y aura probablement un changement de cap pour soutenir le milliardaire Michael Bloomberg, qui a lancé sa candidature mais ne figurera dans aucun scrutin de vote avant les primaires du «Super-Tuesday» du 3 mars où 40 pour cent des délégués à la convention démocrate seront sélectionnés, y compris de grands États comme la Californie, le Texas, le Massachusetts et la Virginie.

(Article paru en anglais le 10 février 2020)

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