Les enseignants de l'Ontario et les travailleurs de la raffinerie de Regina en lock-out doivent mener une lutte politique ouvrière

Au cours des quatre mois qui se sont écoulés depuis les élections fédérales du 21 octobre au Canada, la lutte des classes s'est nettement intensifiée.

Les luttes de 200.000 enseignants et du personnel de soutien scolaire de l'Ontario, qui ont lancé des grèves tournantes régionales et provinciales pour s'opposer aux coupes sauvages du gouvernement conservateur de Ford dans l'éducation sont d'une importance capitale. Il en va de même pour la résistance de 750 travailleurs en lock-out de la Federated Cooperatives Ltd. (FCL) à Regina, en Saskatchewan, contre la direction qui exige une baisse massive des pensions et d'autres réductions draconiennes.

Ces luttes militantes s'inscrivent dans le cadre d'une recrudescence mondiale des luttes de la classe ouvrière. Des protestations et des grèves de masse éclatent dans le monde entier, du Chili, de l'Équateur, de la France et de l'Inde au Mexique et aux États-Unis. Elles coïncident également avec un nouveau virage à droite de l'élite capitaliste au pouvoir au Canada.

Pour l'emporter dans la lutte pour défendre leurs emplois, leurs salaires et leurs droits sociaux, les travailleurs doivent reconnaître qu'ils ne sont pas simplement confrontés à un employeur ou à un gouvernement de droite particulièrement impitoyable, mais à une agression de guerre de classe et à une lutte politique. Investie dans une lutte mondiale pour les marchés, les profits et l'avantage stratégique avec ses rivaux capitalistes, la grande entreprise canadienne est déterminée à accroître l'exploitation des travailleurs et l'austérité et à financer un vaste programme de réarmement pour se préparer à l’agression et la guerre à l’étranger.

Les syndicats et le NPD ont salué la réélection du gouvernement libéral Trudeau en octobre dernier, affirmant qu'il pourrait être l'instrument d'une réforme «progressiste». En réalité, il a intensifié les politiques de droite qu'il a menées au cours de son premier mandat derrière une rhétorique «progressiste» creuse et chargée de politique identitaire.

Les libéraux ont renforcé le partenariat militaro-stratégique de l'impérialisme canadien avec les États-Unis, notamment en approuvant l'assassinat illégal du général iranien Qassem Soleimani par Trump, et en donnant la priorité à l'adoption de son accord entre les États-Unis, le Mexique et le Canada (USMCA). Ce dernier reconfigure l'ALENA pour en faire un bloc de guerre commerciale plus efficace contre la Chine et les autres rivaux étrangers du capital nord-américain.

Au nom de la promotion de «l'unité nationale», les libéraux de Trudeau se sont ralliés aux gouvernements provinciaux de droite de l'Ontario, de l'Alberta, du Québec et de la Saskatchewan, les renforçant et les encourageant politiquement alors qu'ils s'attaquent de front aux services publics et aux salaires et emplois des travailleurs qui les fournissent.

Les gouvernements de l'Ontario et du Québec se sont engagés à imposer aux travailleurs du secteur public des années de nouvelles réductions des salaires réels. Le premier ministre du Parti conservateur uni de l'Alberta, Jason Kenney, exige des baisses de salaire allant jusqu'à 5% pour 170.000 travailleurs du secteur public. Cela fait partie des plans de son gouvernement visant à faire du taux d'imposition des sociétés de la province le plus bas du pays et à réduire les dépenses provinciales par habitant de plus de 10% d'ici 2023.

La criminalisation de l'opposition ouvrière

Pour imposer l'austérité et réduire en miettes les droits des travailleurs, les représentants politiques des grandes entreprises utilisent la répression de l'État – lois antigrèves, injonctions des tribunaux et violence policière – et cultivent les forces d'extrême droite.

Le gouvernement Ford a déjà adopté une loi (loi 124) limitant les augmentations de salaire et d'avantages sociaux d'un million de travailleurs du secteur public à 1% par an pour les trois prochaines années, et il a menacé à plusieurs reprises de criminaliser toute action professionnelle des enseignants. Le gouvernement Kenney a déposé une loi l'autorisant à engager des briseurs de grève pour fournir des «services essentiels» en cas de grève des fonctionnaires. Il a également invoqué la possibilité de recourir à la «clause dérogatoire» de la constitution canadienne pour imposer par décret des contrats réduisant les salaires.

Le gouvernement du Saskatchewan Party dirigé par Scott Moe, la police et les tribunaux, ont tous servi FCL dans son déploiement de briseurs de grève contre les travailleurs de la raffinerie de Regina en lock-out.

Avant même le début du lock-out, le gouvernement Moe a publiquement donné son aval aux «plans d'urgence» de FCL, ajoutant qu'il n'interviendrait avec sa «boîte à outils d'options législatives» que si les travailleurs réussissaient à fermer la raffinerie. La police a fait entrer des briseurs de grève et des camions de pétrole dans la raffinerie, tandis que les tribunaux ont interdit tout piquetage efficace et imposé des centaines de milliers de dollars d'amendes. Après qu’Unifor ait établi un blocus de l'usine, Moe a demandé à la police d'intervenir immédiatement pour faire respecter «l'État de droit». Trois jours plus tard, la police a attaqué les travailleurs et démantelé la barricade.

En tant qu'auxiliaire dans son opération de briseurs de grève, le patron de la FCL, Scott Banda, a mobilisé le groupe d'extrême droite «United We Roll», qui est hostile aux immigrés. Cela aussi fait partie d'une tendance. Le premier ministre québécois de la CAQ, François Legault, qui a critiqué «les salaires élevés» des travailleurs industriels et a ouvertement soutenu Alcoa dans l'extorsion de concessions aux travailleurs de l'aluminerie ABI, a récemment fait adopter une loi chauvine (loi 21) qui attaque les droits des musulmans et d'autres minorités religieuses, afin de promouvoir la réaction et de diviser la classe ouvrière.

Pendant que la classe dirigeante poursuit une offensive coordonnée et soigneusement élaborée pour réduire les salaires, supprimer des emplois et démanteler et privatiser les services publics, les syndicats et leurs alliés du NPD font tout ce qui est en leur pouvoir pour diviser et démobiliser la classe ouvrière.

Chacun des quatre syndicats d'enseignants de l'Ontario poursuit sa propre stratégie de négociation et d'action professionnelle. Il existe une opposition populaire massive au gouvernement Ford et un soutien aux enseignants. Cependant, les syndicats sont catégoriques sur le fait que la lutte doit être confinée dans le carcan d'une lutte de négociation collective, c'est-à-dire qu'elle ne doit pas être menée comme une lutte politique qui cherche à mobiliser la classe ouvrière pour vaincre le gouvernement Ford et son programme d'austérité.

Aucun appel n'a été lancé aux travailleurs du secteur de la santé et aux autres travailleurs visés par les coupes budgétaires du gouvernement et la loi 124 pour une lutte commune. Mais surtout, les syndicats sont manifestement silencieux sur les plans du gouvernement Ford visant à criminaliser les grèves des enseignants. C'est un signe indéniable qu'ils ont l'intention d'utiliser une loi de retour au travail pour court-circuiter la lutte.

Quant à la Fédération du travail de l'Ontario, désormais dirigée par Patty Coates, ancienne responsable de la Fédération des enseignants des écoles secondaires de l'Ontario (OSSTF), elle a systématiquement réprimé l'opposition au gouvernement Ford. Le but politique de sa fausse campagne anti-Ford «Power of Many» est résumé par le compte à rebours sur la première page du site de l'OFL. Il informe les visiteurs qu'ils devront attendre un peu plus de deux ans pour élire un «gouvernement progressiste», c'est-à-dire un gouvernement de droite, favorable à l'austérité, dirigé par les libéraux ou le NPD.

Unifor a répondu à l'attaque de l'État et de la FCL par une capitulation unilatérale, offrant à la société 20 millions de dollars par an en concessions annuelles. Au départ, de nombreux travailleurs de la base ont salué la barricade d'Unifor comme le début d'une véritable mobilisation du pouvoir ouvrier. Mais quelques heures après sa création, le président national de l'Unifor, Jerry Dias, signalait en privé à la FCL que le syndicat était prêt à signer un contrat effectivement dicté par l'entreprise.

Puis, lorsque la direction a intensifié ses demandes de concessions, Unifor a supplié l'homme de main de la grande entreprise Moe «d'intervenir» dans le conflit: même si son gouvernement avait soutenu la FCL et son opération de briseurs de grève depuis le début.

Les travailleurs ont besoin de nouvelles organisations de lutte

Pendant des décennies, les syndicats ont systématiquement réprimé la lutte des classes, imposant des concessions et des suppressions d'emplois, appliquant les lois antigrèves et divisant les travailleurs du Canada de leurs frères et sœurs de classe aux États-Unis, au Mexique et dans le monde entier par des campagnes nocives pour défendre les «emplois canadiens».

Organisations nationalistes et procapitalistes, les syndicats se sont révélés incapables d'apporter une réponse progressiste à la mondialisation de la production et à la capacité des sociétés transnationales à déplacer la production là où les profits sont les plus élevés. Au lieu de cela, les bureaucrates qui travaillent dans ces organisations ont cherché à défendre leurs privilèges en s'intégrant de plus en plus dans la gestion et l'État.

C'est aussi vrai pour Unifor, le Congrès du travail du Canada (CTC) et la Confédération des syndicats nationaux basée au Québec que pour les syndicats des États-Unis, où seulement 6 % des travailleurs du secteur privé sont syndiqués; de la France, où les syndicats dépendent financièrement des subventions versées par les employeurs et l'État; et de l'Allemagne, où au nom de la «cogestion», les syndicats organisent des restructurations d'entreprises qui réduisent les salaires et les emplois en bloc.

Pour que les luttes des enseignants et des travailleurs de FCL en Ontario ne soient pas sabotées et étranglées, les travailleurs doivent s’emparer de la direction de leurs luttes, en la retirant des mains des appareils syndicaux, et faire de ces luttes le fer de lance d'une contre-offensive ouvrière contre l'austérité, les concessions, le réarmement et la guerre, et pour un gouvernement ouvrier.

Cela nécessite la construction de nouvelles organisations de lutte de la classe ouvrière. Des comités d'action doivent être organisés indépendamment des appareils syndicaux et en opposition à ceux-ci. Ces comités seront chargés d'élargir chaque lutte pour mobiliser des sections toujours plus larges de travailleurs et de préparer la contestation des lois et injonctions antigrèves par des mobilisations de masse, y compris des grèves générales.

La lutte contre l'austérité et la guerre est une lutte contre le capitalisme et ne peut donc être menée que comme une lutte internationale. Les travailleurs du Canada doivent unifier leurs luttes avec celles de leurs frères et sœurs de classe aux États-Unis, au Mexique et dans le monde entier, et se forger une force politique indépendante en opposition à tous les partis de l'élite au pouvoir, y compris le NPD.

Un élément clé dans la suppression de la lutte des classes par les syndicats et le NPD au cours des deux dernières décennies a été leur alliance avec le Parti libéral, longtemps le parti de gouvernement préféré de l'élite capitaliste canadienne. Lors de leurs conventions nationales respectives l'été dernier, Unifor et la Fédération canadienne des enseignants ont fourni à Trudeau une plate-forme pour lancer la campagne de réélection des libéraux. Avant et après les élections, Jagmeet Singh du NPD a plaidé pour rejoindre un gouvernement de coalition dirigé par les libéraux, et avec le soutien d’Unifor, le NPD continue d'offrir et de fournir un soutien parlementaire au gouvernement Trudeau, proaustérité et proguerre.

Les dirigeants du syndicat et du NPD justifient leur collusion avec les libéraux en arguant que les conservateurs et la droite doivent être arrêtés. En réalité, le système parlementaire est une fraude. Les cinq partis – le NPD, les Verts, le Bloc Québécois, les libéraux et les conservateurs – sont redevables aux grandes entreprises et aux instruments de répression de la classe ouvrière. La concurrence entre eux n'est qu'un moyen de résoudre les conflits entre les différentes factions de l'élite dirigeante et, surtout, de manipuler, détourner et désamorcer l'opposition de la classe ouvrière.

En imposant un carcan politique à la classe ouvrière face aux libéraux et à toute la mascarade parlementaire, les syndicats et le NPD permettent à la classe dirigeante de faire avancer son programme de guerre de classe et d’apporter son soutien aux forces les plus à droite.

La lutte pour le pouvoir des travailleurs et la réorganisation de la vie socio-économique afin que prévale la nécessité sociale au lieu du profit des investisseurs, requiert que les travailleurs construisent leur propre parti sur la base d'un programme socialiste et internationaliste révolutionnaire. Nous invitons tous les travailleurs et les jeunes qui veulent se battre pour le socialisme à faire du Parti de l’égalité socialiste ce parti.

(Article paru en anglais le 18 février 2020)

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