La Grande-Bretagne et l’Union européenne en conflit dans les négociations du Brexit

L’Union européenne et le gouvernement britannique ont présenté cette semaine des documents qui exposaient leurs objectifs pour les prochaines discussions sur leurs relations futures. Ces documents sont tellement en contradiction qu’un accord semble pratiquement impossible. Des conflits amers aux implications économiques, politiques et sociales imprévisibles sont imminents.

Le Premier ministre britannique Boris Johnson a menacé de rompre les négociations si un accord n’était pas en vue d’ici la fin juin. Londres concentrerait alors ses préparatifs sur un Brexit sans accord lorsque la période de transition expirera à la fin de 2020, a déclaré Johnson.

Pour sa part, le négociateur en chef de l’UE, Michel Barnier, a déclaré qu’il s’attendait à des «discussions extrêmement difficiles». «Nous ne parviendrons pas à un accord à n'importe quel prix», a-t-il averti.

Les 27 ministres des États membres de l’UE se sont mis d’accord sur les lignes rouges des négociations lundi. Ils proposent à la Grande-Bretagne un accord de libre-échange sans droits de douane ni restrictions quantitatives, mais seulement si Londres s’en tient à la majorité des règles de l’UE.

Concrètement, le document de 46 pages fait référence aux règles relatives aux aides publiques envers des entreprises privées; à la concurrence économique, aux entreprises publiques; aux réglementations en matière de travail et de protection sociale; aux normes environnementales — toutes doivent être conformes aux politiques de l’UE.

Ces exigences sont justifiées par des références à la «concurrence loyale». Les politiciens sociaux-démocrates européens en particulier mènent des appels pour s’opposer au «dumping salarial» et à la «dénonciation des réglementations environnementales». Ceci est une absurdité si l’on considère les salaires misérables que les travailleurs sont obligés d’accepter en Europe de l’Est, en Grèce et dans d’autres pays.

Deux raisons expliquent pourquoi l’UE adopte une approche aussi dure.

Tout d’abord, l’UE s’attache à garantir ses propres avantages économiques. L’enjeu principal est de «protéger les intérêts des Européens», a commenté la secrétaire d’État française Amélie de Montchalin. La France réclame depuis longtemps des termes encore plus sévère dans les passages du document qui traitent de la concurrence. La présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a averti au début du mois: «un ticket d'entrée gratuit au marché commun n’existe pas, il n’y a que des droits et des obligations.»

La deuxième raison est la crainte d’un éclatement de l’UE si l’on fait des concessions à Londres. Les pays d’Europe de l’Est pourraient se sentir enhardis à exiger de Bruxelles un assouplissement des réglementations.

Les responsables gouvernementaux allemands et français ont donc loué à plusieurs reprises l’unité avec laquelle les 27 États membres ont abordé les négociations avec Londres. «Nous ne pouvons pas nous permettre d’être divisés», a fait remarquer le secrétaire d’État allemand à l’Europe, Michael Roth. Le secrétaire d’État français de Montchalin s’est enthousiasmé: «L’unité entre nous est totale».

On peut être certain que dans les coulisses, l'on va faire un grand nombre d’«offres que vous ne pouvez pas refuser» afin de conserver cette unité.

Pour Johnson et son gouvernement, de Brexiteers purs et durs, de telles conditions sont inacceptables. L’un des principaux objectifs de leur campagne pour le Brexit était de se libérer des règles et réglementations de l’UE afin de poursuivre la déréglementation de l’économie.

Le mandat de négociation britannique préconise «un marché libéralisé pour le commerce des marchandises, sans droits de douane, taxes, redevances ou restrictions quantitatives sur le commerce des produits manufacturés ou agricoles». Il s’oppose aux conditions de l’UE qui y sont liées. Londres veut également négocier séparément certaines questions, notamment celles dans lesquelles elle estime avoir une position forte ou des intérêts particulièrement vitaux.

Par exemple, elle veut «reprendre le contrôle de nos eaux» en n’autorisant aux bateaux de pêche de l’UE qu’un accès limité aux zones de pêche britanniques lucratives. L’accès pour l’UE sera fondé sur un système de quotas à réviser chaque année. Cela menace les moyens de subsistance de nombreux pêcheurs français et espagnols.

Le gouvernement britannique exige également «un accord sur l’équivalence des services financiers à décider avant la fin du mois de juin». En outre, il n’a plus l’intention d’accepter les décisions de la Cour européenne de justice, ni les mandats d’arrêt et les décisions d’arbitrage européens.

Le gouvernement britannique s’oppose catégoriquement à la prolongation de la période transitoire de 11 mois pendant laquelle rien ne change dans les relations entre Londres et l’UE, même si les experts affirment qu’il sera pratiquement impossible de parvenir à un accord dans ce délai.

Michael Gove, le ministre en charge du Brexit, a déclaré à la Chambre des communes qu’il «ne devrait y avoir aucun doute»: À la fin de la période de transition, le 31 décembre, le Royaume-Uni retrouvera pleinement son indépendance économique et politique». Il a ajouté: «Nous voulons avoir les meilleures relations commerciales possible avec l’UE, mais dans la recherche d’un accord, nous n’échangerons pas notre souveraineté.»

Les opposants à Brexit estiment que Johnson a déjà décidé de se préparer à une sortie sans issue. Le porte-parole du Parti national écossais, Pete Wishart, a décrit l’offre du gouvernement britannique à l’UE comme «un ramassis de foutaises, de balivernes et de bobards». Il a poursuivi: «Ce n’est rien d’autre qu’une feuille de route vers le “no deal” chérit — la véritable ambition de ces fanatiques de Brexit.»

Les conséquences économiques d’une séparation sans accord seraient horribles pour les deux parties. Les dispositions de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) vont réglementer les relations commerciales, avec des droits de douane élevés en conséquence. Les échanges commerciaux entre l’UE et la Grande-Bretagne, qui en 2017 représentaient des marchandises d’une valeur totale de 423 milliards de livres sterling, s’effondreraient. Les droits de douane et les longs délais vont briser les chaînes d’approvisionnement internationales qui traversent la manche, et l’accès des banques et des prestataires de services serait restreint.

Mais bien que les experts économiques et les patrons de l’industrie mettent en garde contre les conséquences de l’absence d’un accord, Londres et Bruxelles sont sur une trajectoire de collision. La raison de ce comportement apparemment irrationnel est le stade avancé de la faillite du capitalisme mondial.

La lutte pour les marchés et les profits se traduit par l’incitation au nationalisme et à la guerre, comme il y a un siècle. Le slogan de Donald Trump «L’Amérique d’abord» a été traduit dans toutes les langues et dialectes.

La classe ouvrière ne peut pas se permettre de lier son destin à l’un des camps concurrents. Elle doit plutôt unir ses forces dans une lutte transfrontalière contre la guerre, les réductions des dépenses sociales et la dictature. La section britannique du Comité international de la Quatrième Internationale a refusé dès le départ de rejoindre les camps pour ou contre le Brexit. Le Parti de l’égalité socialiste a appelé à un boycott actif du référendum sur le Brexit et continue à se battre pour l’unification internationale de la classe ouvrière dans la lutte pour les États socialistes unis européens.

(Article paru d’abord en anglais 29 février 2020)

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