Après les Césars, le gouvernement de Macron intensifie sa campagne contre Polanski

Après les Césars du 28 février à Paris, où J’accuse, le film de Roman Polanski, a été primé trois fois, le gouvernement d’Emmanuel Macron et les représentants du mouvement « #MeToo » intensifient leur campagne de calomnies contre le réalisateur franco-polonais.

J’accuse est une œuvre extraordinaire traitant de l’affaire Dreyfus, un épisode majeur dans l’histoire de la France et du mouvement ouvrier. Il a à juste titre reçu le prix de meilleur réalisateur, meilleure adaptation d’une œuvre littéraire, et meilleure fabrication de costumes. Pour choisir les gagnants en vote anonyme, plus de 4,000 professionnels de la culture ont rejeté une campagne de plusieurs mois contre Polanski par le gouvernement et les médias.

Sibeth Ndiaye, porte-parole de l’Élysée, a déclaré lundi à la suite des cérémonies que, comme la comédienne Adèle Haenel, elle aussi « aurait quitté la salle » Pleyel lorsque l’on a annoncé le prix de meilleur réalisateur. Elle n’avait pas non plus vu le film, a-t-elle dit, parce qu’elle « considère que Roman Polanski est une personnalité qui aujourd’hui n’a pas assumé ses responsabilités dans des crimes, y compris des crimes avérés, confirmés, puisqu’il y a encore une affaire pendante aux États-Unis ».

Franck Riester, ministre de culture, a condamné, dans une entrevue avec le Parisien le 8 mars, le César attribué à Polanski, comme un « mauvais signal », qui serait « perçu, par une grande partie de la population, en France et au-delà, sinon comme une insulte, du moins comme l’expression d’une indifférence à la souffrance de toutes ces femmes victimes de violences sexistes et sexuelles. »

Marlène Schiappa, ministre de l’Égalité hommes-femmes, a publié une tribune dans Libération, écrivant : « Si vous tenez tant vous aussi à ce que le cinéma reste une fête ne violez pas, ne touchez pas les fesses, les seins, les cuisses des femmes qui n’ont pas exprimé leur consentement. »

Qui sont ces gens qui font la leçon à la population sur la morale, la nécessité d’« assumer ses responsabilités, » et la protection des femmes ? Le lendemain des Césars, le même gouvernement a annoncé l’usage de la clause constitutionnelle 49-3 pour imposer des attaques contre les retraites de la population, dont plus de 70 pour cent sont opposés à la nouvelle loi. En conséquence, des centaines de milliers d’hommes et de femmes travailleront des années de plus, seront poussés plus loin dans la précarité, ou mourront plus tôt.

Au cours des manifestations des « gilets jaunes » et des grèves les deux dernières années, les femmes furent parmi les manifestants matraqués, gazés, insultés et mutilés par les forces de l’ordre. Le gouvernement de Macron a récompensé les policiers, dont le chef d’escadron qui a tué l’octogénaire Zineb Redouane, par des légions d’honneurs. Et le même gouvernement laisse des dizaines de milliers de réfugiés, y compris les enfants, à languir sans abri dans les rues de France sans aucun soutien, et en condamne des centaines de plus à se noyer dans la Méditerranée chaque année.

Lorsque de telles personnes élèvent la voix et parlent de moralité, chaque personne qui réfléchit devrait se demander quelles sont les vrais motivations et intérêts derrière cela. Naturellement, aucun des anti-Polanski fanatiques de #MeToo n’ont levé la voix pour défendre ces enfants et ces femmes—victimes de l’impérialisme français et l’État policier en France.

Leur présentation de Polanski comme un paria moral, un « monstre » et un « violeur » est obscène. En 1977, il y a presque 50 ans, Polanski a plaidé coupable dans le cadre d’une négociation de plaidoyer, des actes sexuels avec une mineure, Samantha Geimer, quand elle avait 13 ans. Sur la base des faits et des circonstances – dont le passé tragique de Polanski qui a vécu son enfance dans le ghetto de Cracovie en Pologne sous l’occupation allemande, a perdu sa mère dans le camp d’extermination d’Auschwitz, et presque perdu son père dans un autre camp de concentration, et dont la femme enceinte, Sharon Tate, a été assassinée en 1969 – toutes les parties ont décidé que la peine la plus appropriée serait une évaluation psychologique de 90 jours. Après avoir subi cette peine, Polanski a appris que le juge – apparemment motivé par l’autopromotion et coupable d’inconduite judiciaire, avait l’intention de revenir sur le plaidoyer et rendre une peine sévère de plusieurs années de prison. Polanski a quitté le pays, entraînant le mandat d’arrêt qui reste valide aujourd’hui.

Geimer, une victime de cette affaire malheureuse, a parlé puissamment à plusieurs reprises pour s’opposer à la chasse-aux-sorcières contre Polanski. Dans une entrevue récente avec Slate, Geimer a dit qu’elle « n’etait pas du tout d’accord » avec la déclaration d’Adéle Haenel que « distinguer Polanski, c’est cracher au visage de toutes les victimes. » Geimer a répondu : « Une victime a le droit de laisser le passé derrière elle, et un agresseur a aussi le droit de se réhabiliter et de se racheter, surtout quand il a admis ses torts et s’est excusé. »

Elle a ajouté qu’elle ne « cesser[a] d’attirer l’attention sur les fautes commises par le tribunal, car on ne peut pas passer outre. Quand un système judiciaire dysfonctionne à ce point, nous sommes tous en danger. » Elle est « contente que Roman ait pris cette décision », celle de fuir, a-t-elle ajouté. Il « reste toujours victime d’un système corrompu et d’un juge immoral. »

Dans l’atmosphère plus récente de #MeToo, où plusieurs figures artistiques ont disparus à cause d’accusations anonymes ou sans preuves, plus de femmes ont accusé Polanski. Chacune de ces accusations porte sur un événement s’étant prétendument déroulé il y a entre 44 et 51 ans. Toutes sont donc prescrites, et ne peuvent pas être soumises à examen ou justification, ou réfutation. Les médias en France et à l’international ont néanmoins traité ces accusations comme des vérités. Six des accusatrices restent anonymes, et toutes les accusations ont été niées par Polanski.

Le rôle du gouvernement Macron dans cette campagne a plusieurs buts réactionnaires. Premièrement, de fournir au gouvernement un vernis progressiste et de mobiliser des couches aisées de la classe moyenne sur la politique d’identité personnelle, pendant que le gouvernement coupe les droits sociaux de la classe ouvrière, attaque des réfugiés, les musulmans et les immigrants, et élargit les pouvoirs de la police.

Deuxièmement, de fournir une justification pour la censure, la suppression de l’opposition artistique et politique, et pour un élargissement des pouvoirs de la police. Marlène Schiappa a exprimé le plus clairement cet élément de la campagne contre Polanski. Dans les semaines qui menaient aux Césars, Schiappa a déclaré que non seulement elle s’opposait à l’attribution d’un prix Polanski, mais aussi qu’elle ne voyait « pas de différence » entre honorer Polanski ou Ladj Ly, le réalisateur de Les Misérables, un film qui porte sur l’inégalité sociale et la violence policière en France — soi-disant parce que Ly avait purgé une peine de prison d’un an. Schiappa déclarait essentiellement que toute personne ayant été condamnée est exclue des récompenses artistique. Les votant des Césars ont également rejeté cet argument en attribuant le prix de meilleur film à Ly.

Troisièmement, l’argument que la ligne de séparation principale dans la société française est entre les hommes et les femmes, dans les conditions d’inégalités sociales sans précédent, a pour but de diviser la classe ouvrière selon l’identité personnelle et empêcher la montée de luttes de classe en France et en Europe.

L’un des éléments les plus remarquables de la fureur contre Polanski et J’accuse est le fait que ses protagonistes ne font presque aucune référence au contenu du film lui-même. Du point de vue esthétique et historique, le film est une œuvre artistique extraordinaire. Plus d’un million de français l’ont déjà vu, ainsi que des dizaines de milliers en Israël, en Allemagne, en Pologne et ailleurs. Scandaleusement, aucun distributeur n’a jusque-là sorti le film aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou au Canada.

Son portrait du complot dans la classe dirigeante française visant à envoyer en prison Alfred Dreyfus, et promouvoir l’hystérie antisémite, est émouvant et contemporain, dans des conditions où Julian Assange pourrit dans la prison de Belmarsh et est actuellement menacé d’extradition vers les Etats-Unis pour avoir exposé les crimes de guerre, et ou les gouvernements de partout, y compris en France, incitent à la xénophobie contre les immigrants et les musulmans pour détourner des tensions de classe croissantes.

Ceux qui soutiennent la compagne contre Polanski s’alignent avec des tendances les plus droitères qui restent farouchement hostiles au résultat final de l’affaire Dreyfus et au film de Polanski. Cela dans les conditions où Macron lui-même a salué le dictateur fasciste du régime de Vichy, Pétain, comme un « grand soldat. »

L’attribution d’un César à Polanski reflète une opposition de principe démocratique à l’hystérie #MeToo dans le monde artistique français. Plusieurs comédiens l’ont défendu dans les dernières semaines. Fanny Ardent, qui a gagné le prix de meilleur second rôle dans La belle époque, a dit en marge de la cérémonie qu’elle était contente que Polanski ait gagné le prix. « J’aime beaucoup Roman Polanski, donc je suis très heureuse pour lui. Après, il faut comprendre que tout le monde n’est pas d’accord mais vive la liberté. Je suivrais quelqu’un jusqu’à la guillotine, je n’aime pas la condamnation. » Dans ce même sens, dans un entretien avec France 2, la comédienne Isabelle Hubert a cité William Faulkner pour avertir que « le lynchage est une forme de pornographie. »

Le comédien Lauren Wilson a attaqué ceux qui « osent évoquer un metteur en scène en ces termes … Et en plus, qu’est-ce qu’on va retenir de la vie de ces gens par rapport à l’énormité du mythe de Polanski ? Qui sont ces gens ? Ils sont minuscules ».

Le mouvement #MeToo mobilise des couches aisée petites-bourgeoises qui visent à exploiter des éléments d’identité personnelle – comme le genre, la couleur de la peau et l’orientation sexuelle – pour obtenir des positions dans les 10 pour cent les plus aisés du monde académique, politique, artistique et professionnel. Si toutes leurs demandes étaient réalisées, et si les différentes identités recevaient des privilèges en accord avec la formule désignée, cela n’aurait pas le moindre impact sur les conditions de vie de la grande masse de la population – hommes et femmes, blancs et noirs. Il n’y rien de progressiste dans cette politique.

Aïssa Maïga a exprimé leurs intérêts égoïstes quand elle a arrêté son discours de la cérémonie pour compter le nombre de visages noirs dans la salle, dire bonjour à tous les comédiens noirs, et déclarer : « À chaque fois que je me retrouve comme ça, dans une grande réunion du métier, je ne peux pas m’empêcher de compter le nombre de noirs dans la salle. » Ces positions ont beaucoup plus en commun avec l’extrême-droite qu’avec la gauche.

Dans la classe ouvrière, pourtant, les préoccupations croissantes et centrales qui poussent des millions dans la lutte sont la pauvreté, l’inégalité sociale, et la guerre.

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