Le nouveau leader travailliste britannique Keir Starmer propose l'unité nationale au gouvernement conservateur

Le premier geste du chef du Labour (Parti travailliste) nouvellement élu, Sir Keir Starmer, a été de convenir d'une coopération avec le gouvernement conservateur de Boris Johnson pour la durée de la crise du coronavirus.

L'accolade donnée par Starmer au gouvernement anti-classe ouvrière virulent de Johnson confirme que le leader sortant Jeremy Corbyn a présidé à un virage à droite massif de la politique officielle ayant de graves conséquences pour la classe ouvrière.

Près de cinq ans après que Corbyn fut élu chef du parti sur la promesse d’en finir avec le programme pro-entreprise, pro-austérité et pro-guerre du Labour, la droite blairiste est à nouveau aux commandes et envisage des mesures que même Tony Blair aurait estimé être du suicide politique. Les reculs systématiques de Corbyn sur toutes les questions fondamentales : l’exigence que les municipalités travaillistes imposent l’austérité ; la permission à ses députés de voter pour la guerre contre la Syrie ; le soutien à l'adhésion à l'OTAN et le maintien des armes nucléaires, ainsi que son lâche refus de s'opposer à la chasse aux sorcières contre ses partisans, ont abouti à une débâcle.

Les travailleurs ont abandonné le Labour en masse, et les centaines de milliers de nouveaux adhérents qui avaient élu Corbyn deux fois à la tête du parti se sentent délaissés et sont en colère. En conséquence, près de 300 000 votants admissibles se sont abstenus de voter pour le nouveau leader et beaucoup quittent maintenant un parti aussi pro-impérialiste que jamais.

Starmer a facilement remporté le premier tour, avec 56 pour cent des voix, tandis que Rebecca Long-Bailey, la candidate de gauche nominale, est arrivée deuxième avec seulement 27,6 pour cent. Angela Rayner a été confortablement élue chef adjointe, tandis que les trois postes en jeu au Comité exécutif national ont été remportés par des figures de droite.

Immédiatement avant l'annonce des résultats samedi, Johnson avait invité tous les chefs de l'opposition à une séance d'information sur le coronavirus à sa résidence, déclarant: «En tant que chefs de parti, nous avons le devoir de travailler ensemble en cette période d'urgence nationale.»

Starmer était prêt avec une réponse préparée à l’avance. Dans sa déclaration de victoire filmée il dit: «Notre volonté de nous rassembler comme ça en tant que nation est restée en sommeil pendant trop longtemps […] Sous ma direction, nous collaborerons de manière constructive avec le gouvernement et ne ferons pas de l’opposition pour le plaisir de s’opposer. Pas pour marquer des points politiques partisans ou faire des demandes impossibles. Mais avec le courage de le soutenir là où cela convient ».

Le pas suivant de Starmer fut d'appeler Johnson, ce qu’un porte-parole qualifia de « proposition de collaborer de manière constructive avec le gouvernement», puis de convenir que soient prises «les dispositions pour les briefings et discussions du Conseil privé [de la reine]».

Tout en tendant une branche d'olivier aux conservateurs, Starmer a clairement indiqué que la chasse aux sorcières contre les centaines de travaillistes de gauche traités d’antisémites serait intensifiée. « L'antisémitisme a entaché notre parti », a-t-il affirmé. « Et je vais éradiquer ce poison jusqu’à la racine ... »

Le Sunday Times de Rupert Murdoch avait prédit la semaine dernière que Starmer « purgerait les alliés de Jeremy Corbyn au sein du cabinet fantôme et du siège du parti dans les semaines qui suivraient sa prise de fonctions comme chef travailliste ». Cette semaine, la rédactrice en chef adjointe du journal, Sarah Baxter, écrit que Starmer serait jugé par la classe dirigeante selon qu'il « renverrait les marxistes, les ultra-gauchistes et les antisémites qui avaient afflué vers l’étendard de Corbyn ».

Le Parti travailliste fait maintenant partie d’un gouvernement d'unité nationale avec les conservateurs, bien que pas encore officiellement, étant donné qu’il est prêt à faire tout ce qui lui sera demandé. Mais l'annonce que Johnson a été hospitalisé en raison du COVID-19 pourrait accélérer les discussions sur la formation d’un tel gouvernement.

Le Parti travailliste fera tout ce qu'il faut pour renforcer le message que la classe ouvrière doit accepter l'érosion de ses droits démocratiques, qui va bon train sous prétexte de lutte contre le coronavirus. Il insistera pour dire qu'on ne doit pas défier un gouvernement qui a remis 370 milliards de livres sterling aux banques et aux grandes sociétés, même si les semaines d'inaction de Johnson sur le COVID-19 et les coupes radicales des dépenses dans le Service national de santé (NHS) et les services sociaux causent maintenant des milliers de morts inutiles.

Une stratégie «d'unité nationale» a été discutée en détail à huis clos et dans les médias pendant des semaines, dans un complot politique éhonté contre la classe ouvrière.

Le pro-conservateur Daily Telegraph expliquait dans son éditorial du 18 mars: «Tout le monde, y compris l'opposition, doit ramer dans la même direction. Peut-être qu'un cabinet de guerre multipartite est nécessaire. » George Freeman, ancien ministre du gouvernement Johnson, déclarait au Guardian le 24 mars: «L'ampleur de cette crise nationale […] exige une suspension de la politique habituelle. Lorsque le Parti travailliste aura un nouveau leader sensé, Keir Starmer [s'il est élu] devrait être invité au cabinet COVID, au conseil d’urgence Cobra et aux briefings conjoints de Downing Street. ».

Les divers partisans de l'unité nationale citent sans cesse la coalition de Winston Churchill en temps de guerre avec le Parti travailliste sous Clement Atlee comme exemple. Cependant, la collusion d'aujourd'hui entre travaillistes et conservateurs n'est pas motivée par une supposée «guerre contre le coronavirus» mais par la poursuite de la guerre en cours contre la classe ouvrière. Comme l'un des principaux partisans de Starmer l'a déclaré au Financial Times, «Le précédent cité d’Attlee n'est pas mauvais […] Si les cadavres commencent à se s’amonceler sérieusement et si le confinement doit continuer et que nous commençons à voir des troubles civils […] Johnson pourrait dire: pourquoi ne pas venir nous aider, vous êtes les bienvenus? ».

Rien de tout cela ne cessera après que COVID-19 sera maitrisé. Des centaines de milliers de personnes ont déjà perdu leur emploi. Des millions d'autres sont menacés. De plus, comme avec le sauvetage de 2008, les sommes massives remises à l'élite patronale ces dernières semaines seront payées grâce à une austérité accrue et une exploitation brutale dans les usines et les lieux de travail. Une fois que le pic prévu des cas de COVID-19 sera passé, le Parti travailliste soutiendra le gouvernement dans toute démarche visant à réprimer le mécontentement social croissant à un moment de «crise nationale» continue.

Aucune opposition ne se manifestera de la part de la prétendue «gauche» travailliste, dont l'impuissance et la lâcheté de Corbyn sont l’incarnation parfaite. Son successeur autoproclamé, Long-Bailey, a déjà indiqué qu'elle était prête à rejoindre un gouvernement d'unité nationale, déclarant à Sky TV avant l'annonce des résultats du scrutin: «J'ai déjà collaboré avec le gouvernement et je les ai exhortés à écouter mes conseils et les conseils de mes collègues pour faire face à cette crise, parce que nous voulons être aussi utiles que possible […] Nous essayons d'aider et c'est ce que je ferai en tant que leader, et c'est ce que je ferai si je ne suis pas leader, si je soutiens un nouveau leader ».

Le Parti travailliste est mort pour ce qui est des intérêts de la classe ouvrière. Les travailleurs et les jeunes doivent maintenant se lancer sur une nouvelle voie: la lutte de classe et la lutte pour le socialisme. Le Socialist Equality Party appelle les travailleurs à se joindre à lui pour rejeter tous les appels à l'unité nationale, qui sont utilisés pour justifier des attaques brutales contre les emplois, les salaires et les droits démocratiques. Les travailleurs doivent exiger:

· La fin du renflouement des banques et des entreprises. L'argent public doit être affecté à la lutte contre la pandémie, à la fourniture des ressources nécessaires au NHS et au secteur des soins et à la sauvegarde des emplois et des moyens de subsistance des travailleurs.

· L’expropriation de la richesse des super-riches. Il faut transformer les banques et les grandes entreprises en propriété publique sans compensation pour financer les protections sociales essentielles.

· Pas de réductions d'emplois et de salaires. Il faut geler le remboursement de prêts de logement, les loyers et le paiements de factures de gaz, d’électricité et d’eau pendant la durée de la pandémie. Il faut placer la production industrielle sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière.

· Aucune confiance en les syndicats, qui sont des instruments du gouvernement et des employeurs. Former des comités de la base dans chaque lieu de travail et quartier.

La lutte contre le COVID-19, le réchauffement climatique, la guerre et d'autres menaces existentielles exigent une collaboration intensive et planifiée entre les peuples du monde, entre autre entre les scientifiques et autres experts. Mais cela signifie mettre fin à la division du monde en États-nations antagonistes basés sur la production pour le profit privé, et non sur les besoins sociaux, à travers le transfert révolutionnaire mondial du pouvoir politique de la classe capitaliste à la classe ouvrière.

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(Article paru en anglais le 6 avril 2020)

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