Qu'est-ce qui se cache derrière le pourcentage élevé de décès dus à COVID-19 chez les Afro-Américains?

Alors que le nombre de décès quotidiens de coronavirus aux États-Unis atteint de nouveaux sommets, une vague d'articles est apparue dans la presse présentant l'impact mortel de la crise comme le résultat du racisme.

La couverture médiatique se concentre sur Detroit au Michigan; la Nouvelle-Orléans en Louisiane; Chicago en Illinois; et Milwaukee au Wisconsin, où les résidents afro-américains souffrent de taux d'infection et de mortalité qui dépassent de loin la proportion noire de la population totale.

Les chiffres sont troublants. En Louisiane, 70 pour cent du total des décès dus au coronavirus sont noirs, bien qu'ils ne représentent qu'un tiers de la population. À Chicago, 67 pour cent des personnes tuées par le virus sont noires, bien qu'elles ne représentent que 32 pour cent de la population. Dans le Michigan, les Noirs comptent pour 40 pour cent des décès et un tiers des tests positifs, même s'ils ne représentent que 14 pour cent de la population de l'État. Dans le Milwaukee County, les Noirs constituent 26 pour cent de la population mais représentent 73 pour cent des décès dans le comté.

Les patients portent un équipement de protection individuelle tout en maintenant une distanciation sociale en attendant un test COVID-19 au Elmhurst Hospital Center, le mercredi 25 mars 2020 à New York. (Photo AP / John Minchillo)

Les données montrent l'impact mortel du virus sur l'ensemble de la classe ouvrière, et en particulier sur ses populations les plus vulnérables. Les travailleurs de toutes ethnies qui manquent de soins de santé adéquats, qui sont obligés de travailler dans des conditions dangereuses par leurs employeurs et qui souffrent d’autres maladies comme l'obésité, l'asthme, le diabète et les maladies cardiaques et pulmonaires sont les plus à risque de contracter le virus et de mourir une fois infectés. Dans les quatre zones urbaines très inégales énumérées ci-dessus, les Noirs constituent une grande partie de la classe ouvrière appauvrie.

À partir de ces données, des représentants de la classe dirigeante, et en particulier des figures du Parti démocrate et de sa périphérie, colportent un récit selon lequel l'impact social catastrophique de la maladie n'est pas dû à l'impact de décennies de contre-révolution sociale bipartite et aux effets de la réponse rapace de Wall Street à la pandémie sur la classe ouvrière, mais serait dû spécifiquement aux préjugés raciaux dirigés contre tous les Afro-Américains.

Dans un éditorial du 8 avril intitulé «Les données manquantes de la pandémie», le New York Times affirme que faire face à la crise sanitaire signifie reconnaître «que les établissements de santé américains ont été conçus pour discriminer les Noirs, qu'ils soient pauvres ou non».

Lors d'un événement en ligne organisé par Bernie Sanders mardi dernier intitulé, «L'impact du coronavirus sur les Afro-Américains», Sanders a déclaré que, «La communauté afro-américaine souffre à un rythme beaucoup plus élevé que la communauté blanche.» Le représentant de la campagne, le Dr Darrick Hamilton, a minimisé les inégalités entre les Afro-Américains, affirmant que «les Noirs ont a priori peu de richesse».

Le coronavirus est une maladie mondiale et ne respecte pas les frontières des États-nations ni la pigmentation cutanée de ses victimes. En Europe, l'épicentre de la maladie se trouve dans le nord de l'Italie, où vivent des Italiens au teint plus clair. Jusqu'à présent, l'impact de la maladie a été beaucoup plus dévastateur en Europe qu'en Afrique, tandis qu'en Afrique, le virus a frappé la région du Maghreb à la peau claire beaucoup plus durement que les pays d'Afrique subsaharienne, bien que l'état lamentable des soins de santé menace de dévaster l'ensemble du continent.

Il n'est pas non plus vrai qu'aux États-Unis, les Noirs de tous les niveaux de revenu sont confrontés à un niveau de risque plus élevé. À New York, 34 pour cent des décès concernent des Hispaniques, bien que les Hispaniques ne représentent que 27 pour cent de la population de la ville. Les Noirs représentent 28 pour cent des décès, ce qui est à peu près égal à leur part de la population, 27 pour cent. L'impact sur les résidents hispaniques est dû au fait que de nombreux immigrants de la classe ouvrière vivent dans des logements exigus en raison des loyers élevés et des bas salaires, tandis que les immigrants sans papiers évitent également de chercher des soins de santé et un soutien social par crainte d'être expulsés.

De plus, dans un article du 8 avril intitulé «Le coronavirus a pris du temps à se propager en Amérique rurale. Ce n’est plus le cas», le New York Times arapporté que le virus a maintenant commencé à se propager à travers les contrées rurales largement peuplées de blancs pauvres avec un accès très limité à des soins de santé de qualité. Les Appalaches sont particulièrement vulnérables. En outre, le Times écrit que «les réserves indiennes, qui sont confrontées quotidiennement à une pauvreté élevée et à des services médicaux inadéquats, sont désormais confrontées à un nombre croissant de cas».

La véritable cause du nombre élevé de morts noires à Detroit, Milwaukee, La Nouvelle-Orléans et Chicago est la pauvreté et les inégalités massives. Les études médicales soulignent à plusieurs reprises la corrélation non seulement entre la vulnérabilité à la maladie et le revenu, mais aussi les inégalités sociales dans leur ensemble.

Par exemple, une étude de 2019 intitulée «Inégalité de revenu et pronostics de l'insuffisance cardiaque» explique que « les pays affichant le même PIB peuvent avoir des résultats de santé assez différents, reflétant la répartition des revenus au sein de ces sociétés. Autrement dit, il semble que ce ne soit pas seulement la richesse d'une société mais la répartition des richesses au sein de cette société qui influe sur la santé.»

Parmi toutes les villes américaines de plus de 350.000 habitants, Detroit, Milwaukee, La Nouvelle-Orléans et Chicago se classent respectivement aux 1er, 4e, 5e et 11e rangs des villes les plus pauvres. Chaque ville a un coefficient de Gini – utilisé pour mesurer les inégalités – entre 0,46 et 0,50, pire que la plupart des pays d'Amérique centrale ou d'Afrique subsaharienne.

La classe ouvrière de chaque ville a été dévastée par des décennies de désindustrialisation, de coupes dans les soins de santé, l’aide sociale et d'autres programmes sociaux. Dans chaque ville, des niveaux d'inégalité massifs sont le résultat de la stratégie de la classe dirigeante pour transférer des milliards de dollars de la classe ouvrière aux riches. Le pillage social effectué par la classe dirigeante lors de la faillite de Detroit en 2013 et la réponse à l'ouragan Katrina en 2005 ont davantage ouvert la voie à l'explosion de décès de coronavirus aujourd'hui.

Mais la contre-révolution sociale qui a dévasté Detroit, La Nouvelle-Orléans, Milwaukee et Chicago n'a pas été menée par la «communauté blanche» contre la «communauté noire». Dans ces quatre villes, des attaques incessantes contre les conditions de vie ont été menées ou mises en œuvre avec le soutien actif de responsables du Parti démocrate afro-américain servant les intérêts de la classe dirigeante et des grandes entreprises.

Des politiciens noirs comme l'ancien maire de Detroit Kwame Kilpatrick et l'ancien maire de La Nouvelle-Orléans Ray Nagin, tous deux jetés en prison pour fraude et corruption, incarnent les types sociaux corrompus qui ont atteint le sommet des machines politiques démocrates à l'ère de la promotion du «capitalisme noir», s'enrichissant alors que la classe ouvrière majoritairement noire des leurs villes perdait ses maisons, ses emplois et ses soins de santé.

Les 10 pour cent les plus riches des Afro-Américains possèdent désormais 75,3 pour cent de toutes les richesses détenues par les Afro-Américains, tandis que 65 pour cent des Afro-Américains, soit quelque 27 millions depersonnes, en détiennent 0 pour cent. De 2007 à 2016, le 1 pour cent le plus riche des Afro-Américains a fait passer sa part des richesses de 19,4 pour cent à 40,5 pour cent.

De tels niveaux d'inégalités dépassent ceux des Blancs et des Hispaniques, montrant que la politique raciale n'a fait qu'exacerber les inégalités, ouvrant des positions de privilège aux Afro-Américains aisés sans produire aucun gain pour les travailleurs afro-américains. Au contraire, les conditions de vie des travailleurs afro-américains ont baissé dans tous les domaines au cours des décennies d'ascendance de la politique raciale.

La croissance massive des inégalités parmi les Afro-Américains de 2007 à 2016 correspond aux deux mandats de Barack Obama. Pendant la présidence d'Obama, le coût moyen des soins de santé familiaux est passé d'environ 13.000 $ à 19.000 $, tandis que plus de 20 millions d'Américains étaient toujours sans assurance maladie lorsqu'il a quitté ses fonctions.

Les partisans aisés de la politique raciale n'ont aucun intérêt à améliorer les conditions de vie des travailleurs de toute appartenance raciale.

Leurs perspectives sociales sont exprimées par le fait que les riches Afro-Américains ont voté massivement lors des primaires démocrates de 2020 pour Joe Biden et ont exercé leur pouvoir social pour soutenir le discours démocrate selon lequel Biden était le candidat de toute la «communauté noire». Cette couche est prête à ignorer les récents éloges de Biden pour les ségrégationnistes et sa responsabilité dans l'incarcération massive de millions d'hommes afro-américains appauvris, à condition qu'il protège leur position de classe et garantisse leur accès spécial aux avantages et privilèges politiques et d’affaires.

Partout dans le monde, des travailleurs de toutes ethnies et nationalités déclenchent des grèves et des protestations contre les conditions de travail dangereuses et les plans de retour au travail des gouvernements capitalistes. Lorsqu'un employeur ordonne à un travailleur de faire face à la mort afin de pouvoir en profiter, le travailleur n'est pas susceptible de considérer la couleur de son employeur comme étant d'une grande importance.

Le développement d'un récit racial vise à bloquer le mouvement unifié naissant de la classe ouvrière et à protéger le flux des bénéfices des entreprises. Les socialistes se battent pour l'unité de la classe ouvrière internationale, pour une compréhension de classe de l'impact de la maladie et pour la confiscation de milliers de milliards de dollars en richesses amassées par les riches, pour protéger les populations les plus vulnérables – notamment à Detroit, à La Nouvelle-Orléans, à Chicago et Milwaukee – de l'impact physique et économique dévastateur du coronavirus.

(Article paru en anglais le 13 avril 2020)

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