Après qu‘un tribunal a exigé la protection des employés contre le coronavirus, Amazon ferme ses centres de distribution en France

Amazon a maintenu la fermeture de ses centres de distribution en France hier, en représailles à une décision de justice la semaine dernière exigeant qu'il limite les livraisons aux seuls articles essentiels et prenne des mesures pour protéger les employés de la pandémie de coronavirus.

Le 14 avril, un tribunal de Nanterre avait statué en faveur du syndicat SUD dans son procès contre Amazon. Il avait ordonné à la société de continuer à distribuer uniquement les articles essentiels, comme les aliments et les produits médicaux, et à finaliser des directives politiques officielles avec SUD conformément aux exigences de distanciation sociale et d’autres protections contre la pandémie.

Amazon emploie un peu plus de 10 000 salariés à travers la France dont 3 700 intérimaires. Il y a eu une vague croissante d'opposition parmi les travailleurs d'Amazon en France, comme à l'international au cours des deux derniers mois, contre le maintien de conditions de travail dangereuses par le géant mondial de la logistique et contre le fait qu’il expose ses employés et leurs familles au virus mortel.

Rejetant toute restriction à ses opérations, Amazon a publié jeudi une annonce disant, «Nous restons perplexes quant à la décision rendue par le Tribunal», et «nous devons suspendre temporairement les activités dans nos centres de distribution en France.» Bien qu'ayant précédemment promis de restreindre ses opérations à l’acheminement d'articles essentiels, Amazon a affirmé qu'une telle exigence était impossible à satisfaire en raison de « la complexité inhérente à nos activités logistiques».

Dans une menace à peine voilée, Amazon a ajouté que « cette décision aura probablement des conséquences pour de nombreuses personnes dans notre pays, notamment pour nos milliers de collaborateurs et de clients qui comptent sur nous en ce moment plus que jamais ou des nombreuses TPE et PME françaises qui dépendent d’Amazon pour se développer ».

Amazon a déjà fait appel de la décision, et son appel a été entendu mardi devant la cour d'appel de Versailles. La fermeture nationale, qui devait initialement durer jusqu'à lundi, a été prolongée jusqu'à mercredi après l’audience, mais Amazon a annoncé qu'elle pourrait être prolongée jusqu’à nouvel ordre.

On a dit à environ 8 000 employés de rester chez eux. L'entreprise affirme qu'elle continue de leur verser leur plein salaire au moins jusqu'à mercredi et n'a pas encore requis qu'ils déposent une demande d’allocation chômage pour travailleurs confinés par la pandémie. Au moins certaines livraisons se poursuivent en France via le réseau de distribution international d'Amazon.

L'annonce d'Amazon est un acte de pur chantage économique, menaçant d'utiliser son contrôle monopoliste sur les infrastructures logistiques critiques pour saboter la distribution de biens au milieu d'une pandémie mondiale meurtrière. La société et ses actionnaires n'accepteront aucune restriction à leur «droit» de générer des milliards de dollars de bénéfices en exploitant ses employés et en mettant leur vie en danger.

Les médias et le gouvernement Macron n'ont fait aucune critique des mesures d'Amazon. Le mois dernier, lorsque des informations ont fait état de la possibilité d'une grève des employés des services sanitaires et des autres services publics pour protester contre le manque de gants et d'autres équipements sanitaires essentiels pour protéger leur vie, le gouvernement et les médias avaient exprimé leur indignation morale et soutenu que cela était égoïste et sabotait la lutte contre la pandémie.

D'innombrables déclarations de travailleurs d'Amazon sur l'absence de mesures élémentaires de protection ont été rapportées au cours du mois écoulé.

Le Parisien citait un travailleur de Lille le 18 mars disant : «Les gens sont collés. Ils n'ont pas de masque. Le gel n'est pas disponible partout et les gants sont limités à deux paires par mois par un système de badge. Ce jeudi, un email a annoncé que les arrivées à la cantine, qui contient 700 personnes, se feraient en décalé mais les cartons, les chariots et les scans continuent à passer de main en main sans être désinfectés.» 

Un autre travailleur d'Amazon a déclaré à France 3: «Même s’ils disent qu’on est éparpillé sur le site, on est amené à se croiser, notamment dans les vestiaires, et il n’y a pas un mètre, et
tout le monde touche les vestiaires, sans gants, sans rien. Donc la, possibilité de propager le virus et déjà de l’avoir emmené. Et puis quand on ressort, comme on a croisé beaucoup de personnes, on est susceptible à contaminer nos familles.»

La décision du tribunal de la semaine dernière à Nanterre notait qu'il n'y a pas de système mis en place pour alerter les employés s'ils sont entrés en contact avec un autre employé qui a contracté le COVID-19. En raison de la politique du gouvernement Macron de ne tester personne, sauf les groupes les plus à risque, même lorsqu'ils présentent des symptômes évidents de coronavirus, il est impossible pour les travailleurs de savoir combien de leurs collègues ont été infectés.

La décision notait qu'entre 150 et 450 employés ont continué d'arriver au centre en même temps, entrant dans les mêmes tourniquets, où les employés sont obligés de toucher la porte à mains nues ou d'utiliser leurs vêtements pour éviter tout contact direct. Après qu'Amazon ait imposé des restrictions sur les vestiaires, les employés ont été forcés de laisser leurs manteaux en tas, de toucher d’autres employés et de créer de nouveaux risques de contamination.

La décision du syndicat SUD de lancer une action en justice était une réponse d'arrière-garde pour éviter d'être complètement débordé par les débrayages sauvages déjà en cours chez des employés d'Amazon. Ses affirmations que la décision de Nanterre représentait une victoire majeure pour la classe ouvrière sont cyniques car elles visent à masquer la collaboration étroite des syndicats avec Macron pour créer les conditions d'un retour au travail le 11 mai dans de nombreuses industries, notamment l'automobile et l'aérospatiale, en pleine pandémie.

Les grèves des travailleurs d'Amazon se sont déjà propagées dans plusieurs centres logistiques en Italie, en Espagne et aux États-Unis. En France, plus de 300 travailleurs avaient déjà refusé de se présenter au travail à Lille fin mars, avec des actions similaires sur d’autres plate-formes. Deux travailleurs temporaires à Lille ont été testés positifs pour le coronavirus il y a deux semaines et ont déclaré aux médias qu'ils avaient attrapé le virus au travail. Un nombre inconnu d'employés d'Amazon sont déjà porteurs du virus.

Alors que les travailleurs d'Amazon et leurs familles sont en grand danger, Amazon et ses actionnaires profitent largement de la pandémie de coronavirus qui a déjà tué plus de 170 000 personnes dans le monde et plus de 20200 en France. Alors que d'autres entrepôts ont été fermés en raison d'ordonnances de confinement et qu'Amazon a pu resserrer son emprise sur les ventes, la société a vu ses actions en bourse monter en flèche.

Le PDG Jeff Bezos, l'homme le plus riche du monde, qui détient une participation de 11 pour cent dans la société, a vu sa richesse bondir de 24 milliards de dollars depuis le début de l'année du à la hausse du cours des actions. Chaque jour de cette année a fait don à Bezos, en moyenne, au milieu de la plus grande pandémie mondiale en un siècle, de 195 millions de dollars supplémentaires.

La réponse d'Amazon au jugement de Nanterre n'est qu'une manifestation du sabotage de la lutte contre la pandémie par la classe capitaliste. Pendant des décennies, les réductions des dépenses sociales consacrées aux infrastructures de santé ont servi à acheminer la richesse dans les poches de l'aristocratie financière, tandis que les équipements médicaux essentiels étaient négligés. La classe dirigeante a réagi à la pandémie, non pas comme à une crise sanitaire, mais comme à un événement financier nécessitant une injection massive de richesse dans les marchés d'actions. Maintenant, le gouvernement Macron et d'autres gouvernements à travers l'Europe tentent de pousser les travailleurs à retourner au travail dans des conditions dangereuses.

Il est directement et vitalement nécessaire pour la lutte contre la pandémie qu’Amazon et d'autres sociétés géantes soient retirées des mains privées et placées sous le contrôle direct de la classe ouvrière, et l'infrastructure critique utilisée pour organiser une réponse rationnelle et scientifique. La richesse de l'oligarchie financière, incarnée par Bezos, doit être confisquée et utilisée pour fournir des conditions de vie décentes à toute la population.

(Article paru en anglais le 22 avril 2020)

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