«Pour moi, c’est la vie avant les profits»

Des travailleurs québécois de la santé associent les coupes budgétaires au manque de préparation au COVID-19

Mardi, le WSWS a publié des entrevues menées auprès d’infirmières qui travaillent dans des centres pour aînés. Au Québec, comme dans l’ensemble du Canada et ailleurs dans le monde, les résidents et le personnel soignant de ces établissements sont durement touchés par le coronavirus. Des centaines de personnes âgées, ainsi que deux travailleurs de la santé, ont perdu la vie dans la pandémie.

Comme ces infirmières l’ont révélé, les résidences pour aînés, comme l’ensemble du réseau de la santé et des services publics, sont victimes des coupures massives opérées par les gouvernements successifs au cours des dernières décennies. Le manque de personnel et d’équipement de protection a beaucoup contribué à aggraver la crise qui frappe les CHSLD (Centres d’hébergement et de soins de longue durée) et autres résidences.

Les entrevues qui suivent mettent à nu la négligence du gouvernement québécois actuel de François Legault, ainsi que des gouvernements péquistes et libéraux passés. Quelle que soit leur étiquette politique, et tant au niveau fédéral que provincial, les gouvernements qui se sont succédé, au lieu d’investir dans des mesures sanitaires préventives qui auraient pu éviter un nombre important de décès, ont plutôt saigné à blanc la santé publique et privatisé les soins de santé tel qu’exigé par l’élite financière et patronale.

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Mylène est technologue en imagerie médicale et Charles travaille à la salle d’opération pendant les chirurgies et s’occupe, entre autres tâches, de faire les rayons X. Les deux travaillent dans un hôpital de la Montérégie.

Mylène nous a expliqué qu’elle a des problèmes médicaux et «un papier d’arrêt de travail de mon médecin», mais qu’elle est forcée de travailler en tant qu’employée du réseau de la santé. «On m’a assignée à des tâches où je ne suis officiellement pas en contact avec les patients, mais je travaille avec des gens dont je n’ai aucune idée de leur état de santé. Nous n’avons aucun plexiglas pour nous protéger et nous sommes souvent 4, parfois 6, dans un bureau restreint. J’ai juste un petit masquer en papier».

Elle a souligné le manque de rigueur dans l’application des mesures sanitaires à l’hôpital: «Les règles changent toujours et on se sent plus ou moins en sécurité à l’interne. Je pense qu’il y a beaucoup d’improvisation. Par exemple, les gens entrent et sortent pas trois portes différentes. On ne sait pas ce qui est contaminé ou non.»

«Les autorités auraient dû prendre des mesures dès la semaine de relâche, comme restreindre les voyages. Aussi, surtout pour l’ équipement, ils auraient pu prendre des mesures bien avant», a-t-elle conclu.

Charles a pour sa part expliqué que son département ne traite maintenant que les cas jugés urgents «comme les femmes enceintes, césariennes et fractures qui ne peuvent pas attendre». Par rapport au manque d’équipement de protection individuel (EPI), il a expliqué que «quand on sentait que ça commençait à arriver, on nous disait: "Les masques, mettez-en pas trop". Les gestionnaires fermaient à clé des masques dans les armoires.»

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Josée est travailleuse sociale dans un centre local de services communautaires (CLSC) qui fait partie d’un centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) en Montérégie. Elle travaille au soutien à domicile avec les personnes âgées en pertes d’autonomie et les personnes vivant avec un handicap physique.

Josée a expliqué que les travailleurs sociaux font beaucoup plus de télé-travail et voient peu les usagers. Toutefois, les mesures sanitaires étaient négligées au départ : «Un infirmier a dû être placé en quarantaine parce qu’il a appris qu’une de ses patientes, visitée à domicile, était atteinte du COVID-19, mais ne le savait pas. Il n’avait pas d’équipement de protection à ce moment».

Critique envers la gestion de la crise par le gouvernement Legault, Josée a dit: «Il n’y avait déjà pas assez de ressources avant le COVID. C’est pire maintenant avec tous les gens qui sont partis en maladie. Je pense que l’aide vient trop tard, [les autorités] auraient dû y penser avant.»

La travailleuse sociale a souligné que la crise dans le système de santé existait bien avant la pandémie. «Comme partout ailleurs dans le réseau, il y a un manque chronique d’employés. Par exemple, lorsqu’on fait une demande d’aide au bain pour un patient, celui-ci peut attendre deux à trois mois avant que le service soit mis en place.»

«Avec la pandémie», a-t-elle ajouté, «ce qui devient évident c’est l’impact des coupes qui ont été faites entre autres au niveau de la prévention en santé publique. On est dans le capitalisme sauvage, et ce qui est valorisé c’est l’argent.»

Elle a ensuite mentionné que «si on avait eu dès le départ des mesures sanitaires adéquates, assez d’employés, des mesures assurant qu’un employé ne se promène pas sur plusieurs étages et l’isolement des gens atteints, les risques de propagation auraient été moindres».

Josée a dit ne pas être étonnée de l’hécatombe qui a pris place à la résidence privée Herron, où 31 personnes sont décédées en quelques jours et où 75% des résidents sont infectés à la COVID-19. «Les résidences privées sont là pour faire de l’argent. Donc ils engagent des gens qui sont moins formés, ils les payent moins cher, donc la qualité des services s’en ressent. Souvent on peut voir des résidences où il n’y a que deux employés de nuit pour 150 personnes sur place.»

Même comme elle l’a dit, «ce n’est pas toujours mieux au public. Les salaires sont un peu plus élevés, mais il manque du personnel». Et elle a ajouté: «J’ai vu des burn-outs à chaque année, et après la réforme Barrette [sous l’ancien gouvernement libéral de Couillard], il y a eu une saignée».

Questionnée sur la gestion de la crise par le gouvernement de la CAQ, Josée a dit: «M. Legault, il a déjà eu une entreprise, il avait la [compagnie aérienne] Air transat. Avant la crise, pendant les négociations collectives, il offrait des hausses salariales inférieures au coût de la vie. Il voulait aussi nous en passer une petite vite pendant la crise [sur la signature d’une convention collective]».

Josée était critique de la volonté du gouvernement Legault de rouvrir prématurément les entreprises non essentielles et les écoles: «Je pense que c’est encore une question d’argent. Est-ce que ça va être bon pour la population par rapport au virus, je ne pense pas.» Elle a conclu en disant que pour les dirigeants, «c’est encore les profits avant la vie. Pour moi, ce doit être la vie avant les profits».

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