Les nationalistes tamouls exploitent la commémoration des victimes de la guerre pour promouvoir une politique pro-impérialiste

Le mois dernier a marqué le onzième anniversaire de la fin sanglante de la guerre de près de 30 ans du Sri Lanka contre les séparatistes des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE), le 18 mai 2009, ordonnée par le gouvernement de l'ancien président Mahinda Rajapakse. Plus de 40.000 hommes, femmes, enfants et personnes âgées ont été tués au cours des dernières semaines de la guerre lors de tirs aveugles de l'armée sri-lankaise.

Des centaines de jeunes hommes et femmes, y compris des combattants des LTTE qui se sont rendus aux forces armées, sont toujours portés disparus. Plus de 300.000 civils qui ont survécu à la guerre ont été internés pendant des mois dans des camps sous contrôle militaire à Vavuniya. Environ 11.000 jeunes ont été regroupés dans des camps dits de réadaptation.

Le président Gotabhaya Rajapakse – qui, avec son frère Mahinda, dirigea ce bain de sang – a organisé cette année une célébration de la victoire de la guerre dans la banlieue de Colombo, en rendant un hommage élogieux aux «héros de guerre». Rajapakse a déclaré qu'il s'opposerait à la pénalisation des criminels de guerre comme les dirigeants des États-Unis et d'autres pays impérialistes.

Le peuple tamoul se souvient de la catastrophe du 18 mai de chaque année depuis la fin de la guerre, commémorant ses proches. Cette année, l'armée et la police sont intervenues pour réprimer toute commémoration. Alors que l'armée menaçait d'arrêter quiconque se «souvenait de terroristes», la police a obtenu des ordonnances judiciaires interdisant les événements, affirmant que les rassemblements de plus de cinq personnes étaient interdits en raison du coronavirus. Colombo a dirigé la répression dans le nord du pays, craignant toute expression d'opposition des travailleurs et des pauvres contre les crimes de guerre.

Le 18 mai, des soldats et des policiers ont été massivement déployés dans le nord et l'est du pays. Des soldats en uniforme et en civil ont été vus aux carrefours des routes menant à Mullivaikkal, armés de fusils, de bâtons et de couteaux. La participation à l'événement Mullivaikkal a été faible.

La police a également empêché des politiciens bourgeois tamouls comme l'ancien ministre en chef de la province du Nord CV Wigneswaran et Gajendrakumar Ponnambalam de se rendre sur le site.

Le même jour, Wigneswaran, qui est également le chef de l'Alliance du peuple tamoul (TPA), s'est adressé à une réunion tenue dans son bureau du parti à Jaffna. Wigneswaran a déclaré qu'il «insistait continuellement sur la nécessité d'une enquête internationale sur le génocide de Mullivaikkal». Il a ajouté: «Le programme pour l’attribution des responsabilités mis en œuvre par le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a échoué. Par conséquent, des mesures devraient être prises pour trainer le Sri Lanka devant la Cour pénale internationale» et pour retirer le Sri Lanka de l’Agence pour la protection des réfugiés des Nations unies (UNHCR).

Il a appelé à la création d'un «conseil consultatif tamoul mondial» comprenant des personnes de la diaspora tamoule pour former un comité chargé de monter un dossier.

Wigneswaran a conclu son appel en demandant que «la communauté internationale doit se manifester pour faire face aux violations des droits de l'homme qui se produisent partout dans le monde, y compris le génocide commis contre les Tamouls au Sri Lanka».

À qui Wigneswaran demande-t-il justice pour les victimes de la guerre? Ce sont des pays impérialistes, y compris les États-Unis et les États de l'Union européenne (UE), ainsi que la puissance régionale, l'Inde, qui ont fourni aux gouvernements successifs de Colombo la logistique, l'armement et la formation des militaires sri-lankais sous prétexte de soutenir une «guerre contre le terrorisme».

Ces puissances ne défendent les droits de l'homme nulle part dans le monde, comme le suggèrent Wigneswaran et d'autres politiciens bourgeois tamouls. Washington, avec d'autres puissances, viole les droits de l'homme et s'est engagé dans des guerres génocidaires, notamment en ex-Yougoslavie, en Irak, en Afghanistan, en Libye et en Syrie, tuant des millions de personnes. Ce sont d'immenses crimes de guerre. Ces puissances déclenchent également une répression brutale contre les immigrants sans défense et suppriment les droits démocratiques des travailleurs dans leur propre pays.

Wigneswaran ne fait pas appel à ces puissances pour la justice, mais signale qu'il est à leurs ordres. L'ancien ministre en chef était un chef de l’Alliance tamoule nationale (TNA), qui a soutenu Colombo et Washington alors qu'ils préparaient une résolution en octobre 2015 à l’UNHCR pour mettre fin aux enquêtes sur les crimes de guerre. La résolution appelait à une enquête interne sans pouvoir, permettant au gouvernement et aux militaires de ne pas avoir à répondre de leurs actes.

Elle a confirmé le fait sur lequel insiste le Socialist Equality Party, SEP (Parti de l'égalité socialiste), que les droits démocratiques des masses tamoules, y compris la justice pour les victimes de la guerre, ne peuvent être réalisés qu'à travers la lutte unie de la classe ouvrière pour le socialisme.

Contrairement aux positions réactionnaires de Wigneswaran et d'autres partis bourgeois tamouls, le SEP au Sri Lanka – et son prédécesseur, le Revolutionary Communist League, RCL – ont maintenu une opposition de principe à la politique bourgeoise séparatiste des LTTE, qui parfois utilisaient parfois des méthodes terroristes pour réaliser leur programme. Leur ligne séparatiste était basée sur l’obtention du soutien des puissances internationales pour se créer un État ethnique tamoul qui aurait pu servir d'avant-poste stratégique des États-Unis.

Le RCL/SEP avait expliqué que la défaite des LTTE n'était pas seulement une question militaire mais le résultat de la faillite de cette perspective séparatiste. Dans un éditorial du 21 mai 2019, il a écrit:

«Ce mouvement était totalement incapable de lancer un appel politique aux travailleurs cinghalais et opprimés ou de contrer les tentatives incessantes de la bourgeoisie cinghalaise d’attiser le chauvinisme anti-tamoul. En raison de ses perspectives séparatistes, il n'a pas été en mesure de lancer un tel appel même aux travailleurs tamouls en Inde. Et son caractère antidémocratique, qui a trouvé son expression dans la répression impitoyable de toute opposition politique – en particulier au sein de la classe ouvrière – dans les zones sous son contrôle, a conduit à la désaffection de larges couches de la population tamoule sri-lankaise elle-même.»

Il a poursuivi: «Les événements tragiques au Sri Lanka marquent la fin de toute une période, mais n'ont résolu aucune des contradictions profondes du pays. Dans la période qui s'ouvre, la lutte du SEP pour unir les travailleurs tamouls et cinghalais contre toutes les formes de nationalisme et de communautarisme dans une lutte commune pour une République socialiste du Sri Lanka et d'Eelam fournira une voie à suivre pour les masses de l'île. Elle servira également de pôle d'attraction internationaliste pour les travailleurs de toute l'Asie du Sud dans le cadre de la lutte pour l'unification socialiste de la classe ouvrière à l'échelle mondiale.»

Cependant, la responsabilité principale de la guerre au Sri Lanka incombe entièrement à l'élite dirigeante de Colombo et aux gouvernements successifs qui ont utilisé la discrimination anti-tamoule pour diviser l'opposition de la classe ouvrière selon des critères ethniques afin de défendre le régime capitaliste. Cette discrimination raciste et ces provocations systématiques ont abouti à l'éclatement en 1983 d'une guerre qui a duré des décennies. Le SEP s'est constamment opposé à la guerre, exigeant le retrait des militaires sri-lankais du nord et de l'est. Il a expliqué que la guerre n'était pas seulement contre les LTTE, mais que son objectif principal était de réprimer toute la classe ouvrière.

L'appel de Wigneswaran aux grandes puissances pour une soi-disant enquête internationale démasque la politique réactionnaire des partis bourgeois tamouls, y compris la TNA, le Front populaire national tamoul (TNPF) et des organisations similaires plus petites. Ces partis soutiennent principalement le programme géopolitique de Washington et ses préparatifs de guerre contre la Chine. Sur fond des ravages causés par la COVID-19, Washington intensifie ses provocations contre la Chine. Et les partis tamouls cherchent à en profiter.

La position proaméricaine des partis bourgeois tamouls a de nouveau été exprimée ouvertement par le chef du TNPF, Ponnambalam, dans son discours du 18 mai. Il a déclaré que dans le cadre de la concurrence stratégique mondiale dirigée par les États-Unis dans la région de l'Asie du Sud, les nationalistes tamouls devraient «se dresser contre la faction soutenue par le gouvernement sri-lankais».

Il a ajouté que les partis tamouls «doivent comprendre la politique internationale impliquant l'île de Sri Lanka. Il fallait également observer la concurrence des principaux pays présents sur l'île de Sri Lanka. Ainsi, nous devons concentrer notre attention sur les opportunités et les pertes de la politique nationale tamoule». Il a appelé à une politique consistant à «négocier intelligemment avec les superpuissances».

Le Sri Lanka est stratégiquement situé dans l'océan Indien. Ponnambalam, qui ne cesse de faire appel à Washington, laisse entendre que le régime Rajapakse de Colombo prend le parti de la Chine et que son mouvement peut négocier avec l'Amérique. Et quelle serait la monnaie d’échange? Des privilèges accordés aux grands propriétaires tamouls, en échange de leur soutien aux préparatifs de guerre américains contre la Chine.

Sur cette ligne réactionnaire, les partis tamouls, y compris la TNA, se sont alignés sur l'opération de changement de régime de Washington en 2015 qui a évincé Mahinda Rajapakse, qui s’orientait davantage vers Pékin, et a amené Maithripala Sirisena au pouvoir avec le soutien du Parti national uni (UNP) proaméricain. La TNA devint un partenaire du gouvernement de facto pour soutenir un changement de politique étrangère sri-lankaise en faveur de Washington, la censure des enquêtes sur les crimes de guerre et la mise en œuvre d'un programme d'austérité dicté par le FMI.

Wigneswaran, qui a été élu en 2013 en tant que ministre en chef de la province du Nord pour la TNA, faisait partie de ces machinations. Plus tard, il a pris ses distances avec la TNA qui est devenue profondément discréditée parmi les travailleurs et les pauvres et a organisé le Forum du peuple tamoul, l’Alliance tamoule du peuple (TPA) et Eluka Tamil (Tamouls levez-vous) pour détourner la colère de masse derrière la politique nationaliste réactionnaire.

Le gouvernement Sirisena-Wickremesinghe a été déchu par l’agitation de la classe ouvrière contre l'austérité au milieu d'une résurgence internationale de la lutte des classes. Les travailleurs tamouls, cinghalais et musulmans ont participé à ces luttes montrant leur unité objective dans la lutte contre le capitalisme.

Depuis que le gouvernement de Gotabhaya Rajapaske est arrivé au pouvoir, la TNA et le TPA manigancent avec lui. Alors que la pandémie a créé une crise sans précédent au Sri Lanka, la TNA a participé à deux reprises à des conférences multipartites et a tenu des réunions secrètes avec le premier ministre Mahinda Rajapakse. (Voir: L’Alliance nationale tamoule soutient le régime de Rajapakse au Sri Lanka et sa gestion du COVID-19 )

La crainte partagée par l'élite dirigeante tamoule et cinghalaise est le développement de conditions objectives pour les luttes unies de la classe ouvrière de l'île.

Les travailleurs et les jeunes de langue tamoule doivent s'opposer au programme pro-impérialiste des partis tamouls. La défense des droits démocratiques des masses tamoules dépend de l'unité des luttes ouvrières en opposition à toute fracture ethnique dans une lutte pour le socialisme international. Seul le SEP, la section sri-lankaise du Comité international de la Quatrième Internationale, lutte pour ce programme.

(Article paru en anglais le 4 juin 2020)

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